Continuant avec prudence à allonger ses films, Harold Lloyd arrive avec ce film à quatre bobines, comme dans une dernière étape avant le long métrage, qui viendra effectivement avec les films suivants. D'une durée de 48 minutes à peu près, cette petite comédie ne révolutionne rien, ni en matière de comédie, ni dans l'oeuvre de Lloyd, mais on peut au moins y avoir une double satisfaction: d'une part, le comédien s'y livre à une sorte d'adieu à la comédie burlesque débridée de ses débuts sans pour autant délaisser une certaine sophistication. D'autre part, il y a eu un effort pour développer certains personnages au-delà de la simple caractérisation immédiate. Le personnage de Noah Young en particulier bénéficie de cette tendance...
Sommé par le père de la jeune femme qu'il convoite de prouver sa valeur en trouvant un travail, un jeune homme riche et oisif s'engage dans la marine, et apprend à la dure la valeur du travail. Il sympathise avec la grosse brute du bord, et retrouve dans une contrée exotique sa "fiancée" (Mildred Davis, bien sur...), en croisière, qui est dangereusement convoitée par le sheik local... Il va pouvoir utiliser son courage...
Dès le titre, on est dans le monde du burlesque d'avant, celui que les courts métrages de chez Hal Roach et Mack Sennett veulent continuer à faire survivre en dépit des efforts des comédiens pour en sortir: un titre en forme d'abominable jeu de mots pour jouer sur le thème du film et son décor: la marine... Pourtant, l'effort de Lloyd et de ses scénaristes s'est porté sur l'énonciation d'un contexte intéressant, avec ce personnage de lamentable oisif, dénué d'émotions et d'intérêt dans la vie, qui se livre à tout comme s'il s'agissait d'une formalité. Les premiers plans qui nous le présentent, typiquement en trompe-l'oeil, comportent une ouverture partielle à l'iris sur le jeune homme, en veste élégante et canotier, qui semble s'adonner au plaisir de peindre... Mais la caméra nous révèle vite le pot-aux-roses: ce n'est pas lui qui tient le pinceau, et Harold est en fait en train d'observer un peintre, pas de peindre. C'est finalement typique de l'inaction dénoncée chez un homme qui n'agit en rien. Et bien sur son passage dans la marine va en faire un homme... Bien sur, il va surtout utiliser les faux-semblants et sa débrouillardise plus que ses poings.
L'intérêt principal de ce film, une comédie sympathique qui comme on l'a vu esquisse l'un des thèmes de prédilection de Lloyd, sans pour autant en faire beaucoup plus qu'un prétexte, reste pour moi l'opportunité qui est donnée à l'un des plus fascinants acteurs du studio Roach de pouvoir jouer un rôle plus long et plus nuancé que d'habitude: Noah Young, éternelle brute qui croisera souvent les routes de Charley Chase voire de Laurel et Hardy, et qui a très souvent joué les grosses brutes épaisses chez Lloyd avant ce film, est le copain du héros. Les deux hommes s'affrontent, puis sympathisent lorsque Harold prend la responsabilité de leur querelle devant un officier. Maquillé (Il est presque méconnaissable), très en avant, Young est quand même surtout le faire valoir, mais il met tout son poids dans la balance. C'est sans doute l'une des plus belles opportunités qui lui aient été données de toute sa carrière de grand baraqué génial chez Hal Roach...
Voilà, il n'est donc pas une grande étape, mais ce film a au moins servi à prouver que Chaplin n'était pas seul à pouvoir s'aventurer sur la durée, et que Lloyd était prêt à aller plus loin, et chercher à construire des films qui lui permettent d'explorer les personnages plus en profondeur. Le prochain film de sa filmographie est en fait une réussite, qui doit sans doute beaucoup à l'assurance acquise lors de l'élaboration des cinq films de 1921.