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27 février 2011 7 27 /02 /février /2011 15:25

Habitué à décrire des êtres à la dérive, Curtiz fait les choses en grand avec ce film superbe, qui commence par une vue d'un quartier foisonnant d'une grande métropole à l'aube du 20e siècle. Les gens y sont, majoritairement, d'origine Irlandaise, ce qui ne sera jamais dit mais transpirera du début à la fin du film. Jerry Connolly et "Rocky" Sullivan sont deux amis, des ados grandis trop vite, qui sont toujours à l'affut d'un mauvais coup. Coursés par la police, ils vont être rattrappés, mais Jerry court plus vite et Rocky lui fait comprendre de sauver sa peau. Il ira seul en maison de correction... Les années passent, et Rocky (James Cagney) devenu un gangster revient suite à sa libération sur les lieux de sa jeunesse. Il retrouve son ami jerry (Pat O'Brien), devenu prêtre, "father" Connolly, et passe du temps avec une jeune femme qu'il connaissait durant sa jeunesse (Ann Sheridan), qui a perdu son mari à cause du gangsterisme. Mais surtout, il va se frotter à plus fort que lui, en affrontant le système mafieux du gangster Mac Keefer (George Bancroft), et son associé l'avocat douteux Frazier (Humphrey Bogart), tout en s'occupant d'un groupe de jeunes voyous dont le père Connolly tente par tous les moyens de faire des bons garçons honnêtes, mais qui sont plus attirés par le clinquant d'un Rocky...

 

La foule de choses qui précèdent ne doit pas nous leurrer, ce film est d'une simplicité cristalline. ce qui nous est conté est le crépuscule d'un homme, contrairement aux films de gangsters des débuts des années 30 qui s'intéressaient à l'ascension puis la chute, ce film, tout comme The roaring twenties, passe assez rapidement par les années de formation, pour s'intéresser à la façon dont Sullivan va chuter. Chuter? Pas si sur... le fait que Curtiz ait convoqué la foule des grands jours, et se soit beaucoup plu à filmer au plus large dans les décors très réalistes de Robert Haas, magnifiquement filmés par Sol Polito, nous renseigne sur l'importance que le metteur en scène a accordé personnellement à ce film. Il l'a tout bonnement inspiré, et il s'est suffisamment retrouvé en Cagney pour lui donner un écrin en forme de crescendo émotionnel... Parmi les "héros" qui ont inspiré Curtiz, on retrouve des idéalistes, le plus souvent sur le retour (Bogart dans Casablanca), des criminels fous et vaguement artistes (Lionel Atwill, Mystery of the wax museum, et Claude Rains, The unsuspected), des femmes perdues (Crawford dans Mildred Pierce) ou des démiurges fascinants (Doctor X, Mad genius...). L'anti-héros crépusculaire représenté par Cagney ici fait à la fois partie d'une nouvelle catégorie, qu'on retrouvera dans d'autres films Warner, dont bien sur High Sierra, mais il est aussi un démiurge, à sa façon. on y reviendra...

 

Mais revenons en arrière, à ce moment où Jerry et Rocky s'en vont, poursuivi par les forces dl'ordre... Rocky tombe sur une voie ferrée, et va pousser Jerry à continuer sans lui. Rocky va donc devenir un gangster en allant en maison de correction et en suivant le cursus habituel, mais Jerry va se repentir, et devenir prêtre. Et si il fallait considérer cela, tout simplement comme les deux posisibilités offertes à tout être humain? Sectionnés ironiquement par le passage d'un train, ils vont garder tout au long du film cette amitié presque contre nature, et qui poussera Jerry à ne jamais juger ni abandonner Rocky, y compris lorsque celui-ci polluera ses petits protégés. Le film devient un combat, non entre le bien et le mal, mais entre l'attirance du bien et l'attirance du mal... de plus, l'anecdote nous pousse dans l'idée que Rocky devient par ce geste le bon génie qui va permettre pas son sacrifice à Jerry de prendre de la heuteur, et de fait de les sauver tous les deux. Ce qui n'est pas rien...

 

Ce n'est pas la première fois que Curtiz réalise un film dans lequel une exécution se met en place: il a déjà exploré le sujet avec le très beau 20,000 years in Sing-sing dans lequel un gangster affrontait son destin jusqu'au bout. Ici, il place son propos un cran au-dessus, en ayant recours à une astuce de scénario qui brouille les cartes et donne à la mort de Rocky une connotation sacrificielle, sans jamais nous donner la solution d'une petite devinette... Tendre à l'égard des petits protégés de son ami Jerry, Rocky sait quelle influence il a sur eux... A la fin, lorsque Jerry lui demande de mourir en geignant, en faisant semblant de pleurer, en se comportant comme un lâche, Rocky refuse fermement mais poliment. Puis, au moment de mourir, il pleure, geint, supplie. Le message passe, les gamins l'apprennent, et suivent Jerry, le coeur gros. Ils sont sauvés. Bien sur on ne sait pas si le héros s'est volontairement prêté à cette mise en scène,et on ne le saura jamais. Curtiz, qui de toute façon n'a sans doute pas le droit de montrer de façon directe cette exécution, passe par sa méthode habituelle, de montrer les ombres de l'exécution, de nous montrer de façon furtive quelques gestes de désespoir de James Cagney, de jouer sur la bande-son. En faisant semblant de vouloir montrer l'exécution sans la montrer, il la fait passer au rang du mythe. Seules les larmes de jerry qui assiste à l'exécution nous renseignent sur l'interprétation que celui-ci fait du geste de son ami. Cette  façon inattendue de retourner le film, et le final qui suit (Jerry vient chercher les jeunes voyous dans leur repaire, et ils montent un escalier avec lui, ascension littérale), nous donnent le pouvoir de cropire que Curtiz laisse à chacun des spectacteurs le choix. L'élégance de la mise en scène, le coté "baroud d'honneur" des aventures de Rocky et l'amitié que les gens lui portent, ainsi que la sympathie qu'il inspire au spectateur, de toutes façons, tout fait de lui cet élégant manipulateur qui fait de sa propre mort une mise en scène afin de dissuader six ou sept gamins de suivre son exemple, tout comme il s'est symboliquement sacrifié pour permettre à son ami Jerry de s'en sortir. Magnifique.

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz