Il y a un avant et un après Bambi, c'est incontestable... il n'y a qu'à voir la virulence de la réponse de Tex Avery à ce film (Screwball Squirrel, 1943) pour mesurer l'importance de ce long métrage en tant que film fondateur pour le srtudio Disney. Avant Bambi, l'anthropomorphisme dominant se doublait de burlesque, et la rondeur du graphisme se mélangeait à un joyeux fourre-tout particulièrement bien représenté par le bric-à-brac surréaliste qu'est Fantasia. Bambi fait naitre au sein du studio Disney une nouvelle unité, ainsi qu'une rigueur du style qui n'ont de précédent que certains courts métrages de la série Silly symphonies.
A la base du film se trouve un roman de Felix Salten, paru en 1923, dans lequel l'auteur exaltait la nature et diabolisait furieusement l'homme, ce qui laisse des traces
dans le film, même si les commentateurs qui se sont penchés sur le livre et le film ont tous noté une appropriation très Disneyienne: on n'est pas éloigné de tout anthropomorphisme avec ce
film, mais j'y reviendrai. Les difficultés à mettre ce film en route sont d'autant plus palpables si on considère que Walt Disney voulait que Bambi soit son deuxième long
métrage, tout de suite après Snow White. Ce ne sera que le 6e, repoussé et constamment affiné: la comparaison entre Dumbo (1941) et ce film est édifiante: à un
graphisme rond, hérité des premières Silly symphonies, Bambi substitue un réalisme des personnages allié à une stylisation très subtile du décor, et tout en respectant
Dumbo, il faut bien reconnaitre que le studio a fait très fort avec ce nouveau film...

La scène la plus traumatisante du film, la mort de la mère, témoigne bien sur d'une volonté d'aborder les problèmes sans pour
autant virer dans la violence. C'est une réussite graphique et cinématographique, dont le seul défaut est selon moi l'apparition du grand cerf à la fin: venus dans la prairie pour manger un
peu d'herbe qui a percé la neige, la mère et le fils sont tout à coup à porté e de fusils, et doivent s'enfuir; ils s'enfuient, on les voit ensemble; la caméra est cadrée sur Bambi lorsqu'on
entend un coup de feu, et le jeune faon sa réfugie çà l'abri, en forêt. La neige recommence à tomber, et devient vite une véritable purée de pois. L'intervention divine et pédagogique du père,
qui donne forcément corps à la notion d'apprentissage chère à Disney, est de trop,
alourdissant ce qui était une ellipse superbe...
Le roman était écrit en Allemand par un Hongrois, mais le film est furieusmeent Américain; pas dans un sens péjoratif, non, mais dans la mesure ou le bon sens qui règne ici, allié à l'atat de nature, renvoie à une innocence cinématographique chère à Disney, déja présente dans les premiers Mickey Mouse très ruraux, et présente aussi dans le cinéma depuis Griffith (A romance of Happy Valley, True Heart Susie), King (Tol'able David) ou même Harold Lloyd (The kid brother). Le fait que cet Américanisme de bon aloi soit présenté dans une animation splendide est une valeur ajoutée. Mais si le film a eu une descendance en particulier dans l'équilibre revendiqué entre humanisation et état de nature, il me semble qu'aucun de ses descendants ne s'approchera de sa perfection formelle.