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28 décembre 2010 2 28 /12 /décembre /2010 11:12

Enfin, Billy Wilder tâte de l’indépendance avec ce film en forme à peine voilée d’hommage à son maître Ernst Lubitsch. Souvent citée, il convient de rappeler la phrase, prononcée parait-il par Wilder à l’enterrement de Lubitsch: a quelqu’un qui lui disait «Vous vous rendez compte, plus de Ernst Lubitsch?» Wilder aurait répondu : «Pire que ça : plus de films de Ernst Lubistch». Flanqué ici de Maurice Chevallier, vedette de quatre films du grand metteur en scène Viennois entre 1929 et 1934, et Gary Cooper, qui n’apparait que dans deux films de Lubitsch, mais l’un et l’autre sont des classiques, Wilder choisit de tourner à Paris (renouant avec la France fantasmée de Lubitsch, dans Bluebeard’s eighth Wife et Design for living) une histoire qui fait du léger avec du lourd, jonglant avec l’adultère, les rendez-vous de cinq à sept… On est en plein vaudeville, et pourtant ça se boit tout seul.

En même temps que cet hommage à son maître, pourtant , Wilder réussit à continuer son parcours de façon cohérente, tout en se renouvelant,, et en construisant désormais son cinéma entièrement à sa façon. Et en plus, il collabore désormais avec deux hommes qui lui seront fidèles, l’un d’entre eux co-signant absolument tous les films à venir : l’incomparable Izzy Diamond. L’autre collaborateur régulier, ce sera le décorateur Alexandre Trauner…

Claude Chavasse (Maurice Chevalier) vit seul avec sa fille Ariane (Audrey Hepburn). En tant que détective privé Parisien, il est forcément amené à intervenir sur des histoires d’adultère en série, et connait particulièrement bien Frank Flannagan, bourreau des cœurs américain (Gary Cooper), souvent de passage à Paris, et généralement très sollicité. C’est justement en entendant son père discuter avec un client, très remonté contre Flannagan qu’Ariane surprend ce dernier qui veut en finir et éliminer tout simplement le Don Juan. Ariane, par ailleurs trouvant une bonne tête à la future victime, intervient et empêche le drame, mettant alors le pied dans un engrenage inattendu, puisque à la suite de cette intervention, Flannagan autant qu’Ariane vont, chacun à leur façon, tomber amoureux l’un de l’autre …

Le vrai et le faux : Wilder s’amuse à déconstruire Paris autour de l’image d’Epinal de la cité de l’amour. Profitant de la présence d’une sorte de narrateur en la personne de Maurice Chevalier, il nous propose un préambule dans lequel il est question du fait qu’à Paris, tout le monde flirte : les images nous montrent des tas de gens, jeunes et vieux, riches et pauvres, beaux et moches, qui s’embrassent joyeusement. L’une de ces anecdotes servira d’ailleurs deux fois, je veux parler des amoureux tellement affairés qu’ils ne s’aperçoivent pas qu’on les arrose… Donc on est bien à Paris, mais un Paris fantasmé, sublimé. Comme on y parle Anglais, avec l’accent de Maurice Chevalier, celui d’Audrey Hepburn ou celui de Gary Cooper, ce n’est pas grave, et on peut s’amuser de cet effet de décalage. Décalage par ailleurs renforcé par le recours à divers leitmotivs, dont l’impayable groupe de musiciens qui rappliquent dès que Flannagan les appelle, et qui le suivent y compris au sauna… C’est un univers qui n’a rien de réel, et dans lequel on se sent finalement assez bien.

Mais s’il renvoie à Lubitsch, on y sent la patte désormais assurée d’un Wilder : s’il choisit de faire comme son maître, d’utiliser les signes ancillaires (Ces domestiques qui ramènent pour la consommation de Flannagan et de ces maîtresses des denrées, plats, et bouteilles, sont clairement un signe à la Lubitsch de grande vie amoureuse, comme le grand Ernst savait faire), mais il y ajoute sa sauce, et surtout on va suivre les domestiques, une fois que le ‘Do not disturb’ aura été apposé à la porte. C’est qu’Ariane, l’héroïne de cette histoire, a beau rêver sa vie sentimentale à partir des fiches professionnelles de son détective de père, elle va passer de l’autre coté du miroir, et pénétrer dans le vif du sujet. Intervenant auprès de Flannagan, menacé de mourir sous les coups de revolver d’un mari, elle va inévitablement prendre la place de l’épouse, et passer définitivement de l’autre coté. Elle se fait d’ailleurs passer pour une grande séductrice auprès de Flannagan, lui servant finalement sa propre potion. Donc si la référence à Lubitsch tient la route, on sent quand même que Wilder a aussi su combiner le monde de Sabrina et celui de The seven year itch : le conte de fées, décalé et charmant, dans lequel la jeune femme romantique détourne ls intentions du vil séducteur en incarnant l’énigme, et un film dans lequel, pour jouer sur les mots, «Everybody’s doing it» in Paris : flirter, oui, mais plus si affinités, aussi.


D’ailleurs, il ne faut pas s’y tromper ; Wilder a déjà tourné avec Audrey Hepburn, et l’actrice est parfaite sous sa direction. Une autre chose qu’il refait ici, c’est d’investir un lieu, en complicité ici avec Alexandre Trauner, qui connait bien Paris, et qui connait aussi son affaire, et d’en tirer ce qu’il veut : qu’on songe au Berlin de Foreign affair et au Hollywood de Sunset Boulevard… On est donc quand même bien dans une certaine continuité de l’œuvre, même si le désir d’expérimenter règne en maître. C’est un film dans lequel le plaisir du metteur en scène est communicatif, ainsi que sa science des ruptures de ton. A ce titre, le travail d’Audrey Hepburn laisse pantois, et son alchimie avec Gary Cooper reste un atout supplémentaire. Ils sont formidables tous les deux.

Inaugurant, sous la houlette d’Allied Artists (et non d’United Artists, comme on le lit parfois dans certaines filmographies) la deuxième partie de sa carrière, Wilder invente un ton nouveau, une style de comédie romantique pour adulte, ou de conte de fée pour grands. Il le fait en toute élégance, en rendant hommage à son maître, mais le film lui appartient en tous points. Comme d’autres films, il a laissé le temps s’écouler, et on peut y remarquer des petits à-cotés (la non-idylle entre l’inutile Michel et Ariane, par exemple) qui ne sont pas du plus important. Qu’importe, Wilder a envie de prendre son temps, ce sera une de ses marques de fabrique désormais, et d’aucuns critiqueront les longueurs d’Avanti par exemple. Moi, je pense que ça fait partie du tout, et que ce tout est un univers cohérent et diablement sympathique, dont Love in the afternoon est l’un des plus beaux fleurons…

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Published by Allen john - dans Billy Wilder