Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
29 décembre 2010 3 29 /12 /décembre /2010 11:01

Le dix-neuvième film de Billy Wilder, et son quatrième en couleurs, est adapté d’une comédie musicale, on attendrait donc assez logiquement qu’on y chante. Il y a bien de la musique, de grande classe, signée d’André Prévin, et un intermède chanté ou deux, mais ils sont systématiquement en situation : une jeune prostituée met un disque dans le juke box, et tout le monde danse, et sinon il y a une adaptation de Alouette, gentille alouette, interprétée par une cargaison de « poules » ( pour reprendre le terme choisi, en Français dans le texte, par Wilder et Diamond), qui menacent assez clairement de faire subir les derniers outrages à l’agent Nestor Patou qui les a embarqué dans un panier à salade. Bref : ne faisant rien comme tout le monde, et ayant de toute façon décidé de faire rendre gorge à la censure et au (toujours en vigueur)code de production de 1934 qu’il a continuellement attaqué, Wilder fait un film totalement personnel à partir d’une comédie musicale Parisienne, et c’est un plaisir.

Mais un plaisir parfois un peu long, c’est le principal défaut de ce petit plaisir coupable. L’argument vaut bien sur une fois de plus d’être exposé : à Paris, Rue Casanova, dans le quartier des Halles, les « poules » et leurs « macs » (Toujours en Français dans le texte) vivent en bonne intelligence avec les gens de la police, qui ne les empêchent nullement d’exercer leurs lucratives activités, et y puisent de temps en temps de quoi les aider à fermer les yeux. Au milieu de cette situation bien établie, arrive Patou , un flic honnête, mais un peu distrait, qui met du temps à comprendre la dite situation. Pourtant une fois qu’il ouvre les yeux, il n’est pas long à réagir, et opère une rafle, qui se passe tellement bien, que le pauvre Nestor Patou va devoir ensuite abandonner son uniforme, ayant un peu molesté certains clients, dont son supérieur hiérarchique. Il trouve alors refuge auprès d’Irma La Douce, la plus populaire des prostituées de la rue, dont il devient assez rapidement le souteneur. Le problème, c’est qu’il est aussi très amoureux, et surtout très jaloux…

Grace au rythme franchement indolent de cette mini-épopée des faubourgs, on peut voir la machinerie Wilder à l’œuvre. C’est aussi ce que beaucoup de commentaires reprochent au film, le fait de tourner un peu à vide, parfois. Admettons, d’une part, que le film pêche parfois par trop de fausse guimauve (ces couleurs !!), voire par excès de mauvais gout, franchement revendiqué. Ajoutons que certaines situations rappellent un peu trop d’autres films, notamment la scène lors de laquelle, seule avec un client (qui s’avère être Nestor déguisé, prétendant être irrémédiablement impuissant) Irma réveille de façon inattendue ses ardeurs, ce qui nous renvoie à Some like it hot, mais le champagne en moins. Il faudrait ajouter qu’en dépit de la ressemblance, la scène dans Irma ressemble à une provocation : dans le film précédent, sis en 1929, on y parlait d’embrassade, ce qui évidemment ne trompe personne. Là, on parle à mots à peine couverts, d’érection, d’impuissance, de rapports sexuels. C’est d’ailleurs la franchise du film, plus que son bricolage pour le rendre faussement naïf, qui en fait la force. Mais aussi les limites ; Wilder, en France, avec les décors d’Alexandre Trauner, et les mêmes comédiens (et quels!) que dans The apartment, ne pourra pas faire un film aussi beau que celui qu’il a fait aux Etats-Unis. Si ni Irma ni Nestor ne sont dénués d’intérêts, s’ils sont décidément bien mignons, et si leurs aspirations peuvent passer pour tendrement comiques (Irma, qui souhaite se dédier à son métier), ou si adorablement naïves (Nestor, qui se dévoue pour son Irma, sans que celle-ci ne s’en aperçoive, va travailler dès le lever du soleil afin de lui éviter le trottoir), il faut bien dire que la France présentée dans ce film tient vraiment de la fantaisie poétique, et qu’il est bien difficile de prendre le film au sérieux, ce qui n’est d’ailleurs nullement l’intention. Le film, après tout, tient une fois de plus du conte de fées : il y a même une authentique fée, en la présence de Constantinescu, dit Moustache, un homme qui a tout fait : la guerre, avocat, médecin, et qui va aider le proxénète Patou afin de donner un revenu à Irma dans pour autant qu’elle couche avec un autre que lui, et tous deux vont inventer Lord X. Drôle de prince charmant, joué par un Jack Lemmon qui se lâche, mais qui n’oublie pas de se retrouver un moment avec une seule des chaussures de sa Cendrillon vêtue de collants verts. Mais lord X, lui aussi, va échapper à ses créateurs, dans un final ouvertement fantastique.

Placé entre deux charges grossières, irritantes, mais si féroces à l’égard des Etats-unis (One, two, three, et bien sur Kiss me stupid), Irma est une petite halte, en forme de bluette, mais une bluette qui permet à Wilder d’être l’un des premiers au cinéma à montrer une femme enceinte avec un relief convaincant, dans un film qui voit Shirley McLaine se coucher nue dans un lit, et faire un regard lourd de promesses à Jack Lemmon. Le film a démontré l’inutilité du code de production, qui n’allait pas tarder à rendre l’âme. Quant à ce film mal fichu, mais adorable, il continue à intriguer, placé au cœur des années 60, et constamment sur le fil du rasoir : hautement provocateur, revendicatif et sordide, mais tourné avec un soin de maniaque, par des artistes du cinéma à l’ancienne… Pour ma part, et sans que je puisse l'expliquer, c'est l'un de mes préférés.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Billy Wilder