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12 mars 2011 6 12 /03 /mars /2011 17:26

Une star se tue: elle se jette sous un train près de Paris, comme Anna Karenine, et comme Garbo dans la deuxième version qu'elle a interprétée du classique de Tolstoï. Fedora (Marthe Keller), l'actrice décédée, vivait en recluse auprès de quelques amis dans une villa à Corfou, mais personne ne l'a oubliée: ses funérailles sont grandioses, et un producteur Américain, Barry Detweiler (William Holden), vient rendre un dernier hommage à une femme qu'il a côtoyée... et entame alors un monologue en voix off, racontant comment il se sent responsable de cette mort depuis que, venu tenter de sortir la star recluse de chez elle, miraculeusement restée jeune malgré les années, il a mis les pieds dans ce qui est un sacré panier de crabes, découvrant en particulier l'actrice séquestrée par ses "amis", et maintenue dans une solitude qu'elle supporte de plus en plus mal... mais le producteur n'était décidément pas au bout de ses peines.

Ce scénario, adapté d'une nouvelle, Wilder se l'est approprié dans la mesure où après avoir refait The front Page, il voulait à nouveau s'attaquer à Hollywood. Mal lui en a pris; non qu'il ait subi une censure de la part d'Hollywood, mais le moment était mal choisi: après l'échec commercial de The front page, les producteurs de la universal voyaient d'un oeil maussade le has-been Wilder revenir à ses vieilles amours de Sunset Boulevard, et prédisaient un nouvel échec. de fait le film se fera loin de Hollywood, en co-production, entre la France et l'Allemagne. Loin de Hollywood, Wilder avait réussi un tour de force avec son Holmes, avait accompli des miracles en Italie avec Avanti... Mais pas ici. Les intentions de Wilder concernant ce film sont une chose, le film fini en est une autre: c'est un ratage.

Le miroir aux alouettes, depuis Sunset Boulevard, a encore bien changé. Je dis "encore", puisque c'était déjà le sujet du film de 1950, avec le regard incompréhensif de Norma Desmond sur une ville du cinéma qui ne la reconnaissait plus, elle dont les films avaient bâti toute l'industrie, du moins le pensait-elle; ce n'est donc pas un hasard si de nouveau le "passeur" pour Fedora, est joué par William Holden, et de nouveau lui aussi est dépassé: producteur, mais indépendant: lorsqu'il l'apprend, l'hôtelier (Mario Adorf, excellent) lui propose sa plus petite chambre. De fait, les allusions à ces changements subis par le cinéma américain sont nombreux dans le film, que ce soit de la part de Holden, de Fedora (ou de son alter ego, la diabolique Comtesse qui séquestre "Fedora"), ou de Wilder lui-même: lorsque Holden se plaint de la profusion de barbus qui "tournent sans script, avec une caméra sur lépaule", comment ne pas penser au dédain de Wilder pour une industrie qui se jette effectivement à corps perdu dans de nouveaux défis, et à une incompréhension du vieil artisan pour les méthodes d'improvisation des Coppola, Scorsese et autres Spielberg? De fait, ils sont bien barbus, concédons-le.

Fedora, l'actrice, est donc obsédée par son apparence, ce qu'elle va prouver dans ce film, qui possède une petite énigme: quelle folie pique Fedora, et pourquoi est-elle séquestrée ainsi par son amie la comtesse, et le curieux Docteur Vando (Jose Ferrer), l'homme qui depuis 25 ans maintient l'actrice de nombreuses façons (Chirurgicales, pharmaceutiques, etc) en état de constante jeunesse? Disons que si on reconnait bien Wilder qui dissimule l'indice principal dans des gants blancs qui sont l'un de ces petits cailloux narratifs qu'il aimait tant, le secret est pourtant bien éventé, à tel point qu'il est révélé au public au bout d'une heure, mais c'était cousu de fil blanc. Plus intéressante est l'analogie entre Fedora et son petit monde, plus son retrait de la vie publique, et bien sur Greta Garbo, souvent nommée dans les dialogues, et par des allusions plus ou moins discrètes: son manque total de pudeur sur les plateaux, son film avec Robert Taylor (Camille, ici attribué à Fedora), sa fed.jpgcarrière à la MGM, ses étranges amis, et son obsession de la santé par les plantes ou encore par l'alimentation (Elle a eu une amitié prolongée avec le diététicien Gayelord Hauser). Wilder, qui a côtoyé Garbo pour laquelle il n'avait humainement aucune admiration ni affection, a repris de nombreux traits du personnage, mais il ne faut pas y voir un film à clef: le fait est que le personnage de Greta Garbo, par son sens du secret et du mystère, était un modèle bien pratique. Elle servait ainsi le propos de montrer une vedette qui avait tant à coeur de rester jeune qu'elle en était arrivée à des extrémités inattendues, y compris en mettant en scène sa mort d'une façon morbide et déplacée. Le cinéma, on ne le quitte jamais, semble dire Wilder... Qui s'amuse à mêler le vrai et le faux, en évoquant la culture populaire, mais aussi en convoquant le jeune Michael York et le moins jeune Henry Fonda pour jouer leurs propres rôles. Mais la scène de la remise à Corfou de l'oscar est intéressante: Fonda, président de l'Académie du cinéma, vient chez elle présenter à Fedora un Oscar pour l'ensemble de son oeuvre. Le vieux comédien est très ému, mais sait-il que la femme qu'il a en face de lui n'est pas Fedora? Non, et c'est sans importance: Fedora n'est qu'une image, presqu'un label. De son coté, le vrai Henry Fonda est présenté comme 'Le monsieur', 'le gentleman', voire, 'le président'... On oublie manifestement bien vite qui est Henry Fonda, mais on n'est pas près d'oublier Fedora, qu'importe si c'est elle ou son reflet. Non, Wilder n'aime plus tellement Hollywood, en cette fin des années 70.

D'autres clés du film sont à prendre auprès d'autres actrices que Garbo, toutefois: la relation destructrice de Fedora avec sa toute jeune fille fera penser d'une part à Marlene Dietrich et sa difficile relation avec Maria Riva, sa fille. D'ailleurs, la voix grave affectée par Marthe Keller pour incarner Fedora, en rajoute sur ce point, surtout quand elle chante. Comme elle chante faux, on croirait vraiment entendre Marlene Dietrich... Citée aussi, Joan Crawford était une mère indigne à sa façon. Certes, les comportements lamentables de ces deux mères ont été connus plus tard du grand public, mais Wilder, qui travaillait à Hollywood dès le milieu des années 30, n'était pas le grand public... Bref: Fedora est un film au bagage lourd et aux multiples ramifications, à n'en pas douter.

Le problème, donc, n'est pas dans les intentions, mais dans deux aspects du film, l'un selon moi rédhibitoire, et l'autre furieusement embêtant. Dans cette histoire de la plus grande vedette que la terre ait jamais portée, on n'a à voir son talent que dans une scène d'un de ses films, où la vedette n'a qu'à barboter nue (voir photo plus haut), allusion par ailleurs à une jolie scène de nu de Myrna Loy dans The barbarian, de Sam Wood (ci-contre). Bref, on n'en verra pas grand chose, sinon les caprices et le coté star intouchable et imbue d'elle même... De plus, Marthe Keller n'est pas à l'aise en Anglais, et j'en viens à l'aspect rédhibitoire. Production internationale, le film a été tourné surtout en Anglais, et majoritairement post-synchronisé. Ni Marthe Keller ni Hildegarde Knef (la Comtesse) n'utilisent eurs voix (Knef est doublée et Keller doit affecter une voix grave dans laquelle elle est ridicule), et au moins la moitié des dialogues sonnent faux. Ajoutons que loin des studios Américains, Wilder se lâche. Beaucoup de plans donnent l'impression d'avoir été tournés à la sauvette. On sait quelles difficultés Wilder a du rencontrer pour tourner son film, mais le résultat n'est pas à la hauteur techniquement.

Quoi qu'il en soit, le vieux Wilder est désabusé, et ne tournera qu'un seul film, de retour aux Etats-Unis, pour la MGM, encore en plus... mais la MGM en 1978, comme le dit Barry Detweiler, ce n'est plus ça: c'est exactement ce qu'on pourrait dire de ce film, hélas: Wilder, ce n'est plus ça. Les intentions étaient louables, mais on obtient un étrange film, parfois gauche, parfois attachant, mais dont les coutures craquent de partout.

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Published by François Massarelli - dans Billy Wilder