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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 11:49

Avec son accent sur le merveilleux et le gothique, les possibilités de création d'un monde graphiquement innovateur et la participation d'une armée de décorateurs, dont certains ont travaillé sur Caligari, il est évident que ce film était considéré au départ par la Decla Bioscop d'Erich Pommer, déjà productrice du film novateur de Robert Wiene deux ans auparavant, comme la continuation de l'exploration de l'expressionnisme au cinéma. Mais c'est aussi et surtout, heureusement, le premier grand film de Fritz Lang, et sa première collaboration d'importance avec Thea Von harbou (Déjà sa collaboratrice sur Das Wandernde Bild, le scénario de Das Indische Grabmal pour Joe May et Kämpfende Herzen également connu sous le nom de Vier um die Frau).

Les trois lumières comme on l'appelait en France, ou Destiny selon son titre anglophone, est un film charnière de Lang, sa première réussite, et un film ambitieux qui dépasse contrairement aux oeuvres qui l'ont précédé le stade de l'anecdote mélodramatique ou du trop plein d'un serial... Et avec lui, on entre dans le territoire de Fritz Lang en s'installant dans la thématique de la mort (Der Müde Tod, c'est "la mort lasse", ce personnage de faucheur de vie fatigué de répandre la tristesse) et de la fatalité (Le titre Anglais, de son coté, est tout aussi explicite...). Le film ressemble un peu à Intolerance en multipliant les histoires, et beaucoup aux Pages arrachées du livre de Satan de Dreyer, dont il reprend la dynamique inhabituelle: à "la mort lasse" de Lang et Von harbou, le film de Dreyer oppose un Satan qui ne veut plus continuer à faire le travail de tentation imposé par Dieu...

L'argument principal tourne autour de la venue dans un village Allemand d'un couple insouciant (Lil Dagover et Walter Janssen), en même temps qu'un mystérieux étranger (Bernhard Goetzke). Celui-ci s'est porté acquéreur d'un terrain situé juste à coté du cimetière, et y fait ériger un mur impénétrable... Les amoureux ne se rendent pas compte de la menace, et un jour le jeune homme disparaît. Lorsqu'elle le recherche, la jeune femme découvre qu'il a été emporté par l'homme étrange; elle comprend qu'il est la mort et le gardien de l'au-delà, et elle absorbe du poison afin de tenter de négocier son retour parmi les vivants. Sans accéder directement à la proposition de la jeune femme, la Mort accepte au moins de lui donner une chance, en lui permettant d'intervenir sur trois morts situées à trois époques et trois endroits différents. Si elle sauve l'un des trois hommes, elle pourra gagner la vie sauve de son amant...

Trois époques, bien sur, vont permettre à trois décorateurs et trois chef-opérateurs différents de composer un style qui accompagnera également un genre narratif spécifique. La première histoire, située en Orient, renvoie un peu aux "Araignées" (Die Spinnen), le fameux serial incomplet réalisé par Lang en 1919; on sait à quel point le metteur en scène a toujours été attentif aux codes narratifs de ce genre de film d'aventures. La deuxième est située dans la Venise de la Renaissance, et enfin le dernier conte se déroule dans une Chine de carton-pâte... Chaque histoire fait intervenir Lil Dagover et Walter Janssen, qui incarnent l'image même de l'amour, et Goetzke y est généralement l'exécuteur des basses oeuvres... Mais le film revient à la fin à l'histoire initiale, et la développe de façon intéressante, ne se contentant pas d'apporter une conclusion hâtive...

Quoi qu'il en soit, avant les oeuvres monumentales de Lang, ce film reste du domaine du divertissement formel, qui fera bien sur des petits, mais dans lequel le metteur en scène se garde bien de révolutionner quoi que ce soit; au contraire, il met les grand talent de ses décorateurs, la science de l'image de ses opérateurs et son sens particulier du timing au service d'une histoire fédératrice, qui montre de façon fort Germanique la présence de la mort et l'empreinte du destin, mais le fait à travers des motifs inoubliables... Le plus fort étant sans doute cette merveilleuse image de Goetzke seul devant son immense mur, qu'on croirait pouvoir toucher... On n'est pas prêt d'oublier non plus la grande salle de la mort, avec toutes les vies représentées par des cierges en train de se consumer.

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Published by François Massarelli - dans Fritz Lang Muet 1921 **