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29 décembre 2010 3 29 /12 /décembre /2010 17:43

Venir à Marcel L'Herbier, c'est quelque chose de difficile: le bonhomme a bien réalisé L'argent (1928), disponible en DVD, qui est un très grand film. Mais à coté, on peut aussi voir le fadasse mélo Eldorado (1921), le très "artistique" (n'est-ce-pas) Homme du large (1920) rassemblés dans un luxueux coffret, ou encore le lourdingue Diable au coeur de 1926, édité en même temps qu'un (beau) livre sur le cinéaste. Pire, dans les années 80, on a "redécouvert" suite à sa restauration le film L'inhumaine (1923), sans doute le film le plus prétentieux du muet.

Pour toutes ces raisons, c'est avec une certaine appréhension qu'on attendait la résurrection de Feu Mathias Pascal (1925), le film dans lequel L'Herbier adaptait Pirandello en compagnie de l'immense acteur Ivan Mosjoukine; ce dernier, probablement le seul monstre sacré du cinéma muet Français, est génial quoi qu'il fasse, et son contrat d'exclusivité avec la société Albatros obligeait L'Herbier à partager la production de son film: le résultat est un miracle, non seulement le meilleur des films de L'Herbier devant L'argent, mais aussi l'un des plus beaux films Français de l'époque muette.

Mathias Pascal (Mosjoukine), un jeune homme fantasque épris de liberté, épouse presque par hasard Romilde (Marcelle Pradot). Ce faisant, il abdique toute liberté et souffre du manque d'affection de son épouse et de la haine de sa belle-mère. Le jour ou la mère, mais aussi sa fille meurent, il prend la fuite, s'arrêtant au hasard à Monte-Carlo, ou il devient riche en jouant une nuit entière à la roulette. Reparti au pays, il apprend qu'il est censé être mort, un cadavre anonyme ayant été repêché en son absence... Il repart pour Rome, déterminé à profiter de cette nouvelle liberté qui lui est offerte sur un plateau.

178 minutes à suivre les égarements de Mathias Pascal, cela peut sembler excessif à l'heure ou le moindre film dépassant les deux heures se voit obligé de multiplier les morceaux de bravoure numériques, et pourtant il n'ya pas le moindre problème: ce film se boit comme du petit lait. L'Herbier est célèbre pour avoir tendance à confier plus de responsabilité à ses décorateurs (Mallet-Stevens et Autant-Lara sur L'Inhumaine, par exemple) qu'à ses acteurs, mais là il a su faire une exception; si le cadre utilise à merveille les décors de Lazare Meerson (Dont c'était le premier film), les acteurs font mouche. On reconnaitra, outre Mosjoukine et l'Américaine Lois Moran (Qui joue Adrienne, la jeune femme dont Pascal tombe amoureux dans la deuxième partie), Michel Simon dans un de ses premiers rôles, mais aussi Pauline Carton, des années avant ses splendides compositions pour Guitry. Mais évidemment, la principale attraction, c'est Mosjoukine: L'Herbier n'imaginait pas un autre Mathias, et c'est tant mieux. On n'ose imaginer s'il avait suivi son coeur et confié le rôle à l'infect cabot qui encombre tous ses premiers films, Jacque-Catelain, qui possèdait autant de charisme qu'une éponge. Mosjoukine se joue des transitions entre le drame et l'humour noir particulièrement important dans lequel le film baigne, et fait penser par sa science gestuelle et son impressionnante présence aux acteurs burlesques du muet, Chaplin et Keaton en tête; L'Herbier a d'ailleurs le bon goût de laisser sa caméra à distance, comme l'aurait fait Keaton, notamment dans les premières scènes Romaines de liberté, lorsque Pascal renconrtre Adrienne, et qu'il "danse" un étrange ballet avec la jeune femme. Ailleurs, il laisse le rêve prendre le pouvoir, donnant libre cours à son extravagance naturelle, qui se combine sans aucun problème à l'excentricité de Mosjoukine: en particulier, la scène durant laquelle Mathias Pascal se voit agresser le fiancé d'Adrienne, tournée au ralenti, est un savant mélange de comique et de quasi-surréalisme. Néanmoins, le cinéaste ne cède pas totalement à l'humour noir du sujet, et explore deux motifs avec une vraie intelligence: dès la scène du début ou, parti pour demander pour son meilleur ami la main de Romilde, Pascal se voit tout à coup fiancé, il sent que son moi lui échappe. Cette dualité va être soulignée, souvent avec humour (les deux chats "embauchés" dans la bibliothèque, pour chasser les rats) dans le film, mais aussi jusque dans le drame: les deux morts simultanées de la mère et de la fille, ou encore le numéro de duettistes de Romilde et sa mère... A l'heure de découvrir sa "mort", Mathias se dédouble littéralement sous nos yeux, et son "fantôme" reviendra périodiquement le hanter. Paradoxalement, en lien avec cette dualité, le film explore l'aliénation terrifiante dont est victime Mathias Pascal, et il se révèle souvent que le jeune homme abandonne non seulement son identité, mais aussi toute existence: privé de son nom, il ne peut faire aboutir aucune démarche, et sait qu'il ne pourra pas se marier, ni vivre heureux. En abandonnant son nom, il a cru trouver la liberté, mais il a en fait tout bonnement cessé de vivre...

On ne remerciera jamais assez Arte de nous donner à voir des films muets au moins une fois par mois, mais il faut reconnaitre que la potion n'a que rarement été aussi agréable: ce Feu Mathias pascal, est tout simplement un film essentiel, toutes époques confondues, et pourvu que la re-découverte des films de Mosjoukine se poursuive!!

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Ivan Mosjoukine Albatros 1925 **