Donc, pas content de son premier court métrage personnel The high sign, qu'il juge imparfait, Keaton réussit à obtenir de son ami et producteur Joe Schenck de retourner au charbon, pour faire un film qu'il sortira en premier: il veut marquer le coup, et promettre au public du solide. Il obtient, avec One week, du TRES solide. C'est même parfait: sorti en France sous le nom un peu impropre de La maison démontable, One week ne fait pas mentir son titre original, et utilise pour structurer le film un calendrier qu'on effeuille, et dont la première image est justement le premier plan du film. Cet accessoire temporel et chronologique s'avère aussi être un symbole de domesticité, et ça tombe bien, puisque la suite nous conte les aventures de deux jeunes mariés, Keaton et Sybil Seely, qui se voient offrir à l'issue de la cérémonie un cadeau très pratique: une maison préfabriquée. Mais l'ancien petit ami éconduit de la jeune femme se venge en intervertissant les numéros des caisses qui contiennent les éléments de la maison afin d'en rendre la construction hasardeuse...
Le film n'a pas la moindre graisse, et Keaton utilise la maison pourtant difforme et biscornue au grand bénéfice d'un film qui avance logiquement sur ses 22 minutes, truffé de gags sans qu'aucune scène soit indigeste, et le tout joué avec précision par les acteurs. La maison fournit un grand nombre d'occasions pour les gagmen de s'en donner à coeur joie: On sait que l'équipe de Keaton était composée de fameux virtuoses, Keaton, Eddie Cline et Clyde Bruckman en tête, mais l'occasion de se laisser aller tout en restant logique et réaliste, avec un sujet pareil, était trop belle: la maison a donc, à l'étage, des portes qui s'ouvrent sur l'extérieur, les accessoires de cuisine sont aussi à l'extérieur, les fenêtres semblent tout droit sorties d'un film expressioniste Allemand, etc... Chaque séquence exploite une pièce ou une particularité de la maison qui rend fou, et on appréciera l'ingéniosité de Keaton, qui trouve des solutions quelquefois inattendues, toujours excentriques mais aussi toujours géniales...
Les actrices des films de Keaton sont généralement oubliées, parlons donc de Sybil Seely, celle qui a à mon sens le mieux réussi à incarner la partenaire de Buster dans certains de ses films. Ce n'est sans doute pas une grande actrice, mais elle est physiquement une réponse idéale à Keaton, petite, aux traits simples, et aux gestes sans exagération. Keaton et son partenaire Eddie Cline la dirigent à la perfection, elle partage le temps de pellicule avec Buster, et le couple est plausible du début à la fin. Bien sur, c'est au mieux une ravissante idiote, mais le film offrant l'image physique de la désagrégation littérale du confort marital, sous le couvert de cette maison sans queue ni tête, c'est d'autant plus approprié... D'ailleurs, la plupart des films de Keaton s'intéresseront plus à la séduction avant le mariage qu'à la vie commune. Le couple, toutefois, fait front, et j'aime particulièrement le plan qui voit les deux jeunes mariés se réveiller au lendemain de la tempête, après avoir passé la nuit dehors, dans l'impossibilité de rentrer dans cette maison-derviche... nous voyons l'effet de la tempête sur la maison, encore plus biscornue qu'avant, mais eux vont se retourner pour la voir, et tombent dans les bras l'un de l'autre. Durant ce film, Sybil fait donc comme son mari, elle construit cette maison sans trop se poser de questions sur le résultat obtenu, commettant parfois des digressions en dessinant des petits coeurs sur le mur de la maison. Elle offre même à Keaton un gag lié à la nudité, le seul passage franchement absurde du film, puisqu'elle demande littéralement au caméraman de cacher l'objectif pendant qu'elle sort nue de la baignoire afin de rattraper le savon... De son coté, Keaton prouve à quel point il sait habiter ses films physiquement, payant de sa personne avec la précision qu'on lui connait. chaque séquence recèle une trouvaille dans ce sens, et on verra avec plaisir la progression des tâches physiques à accomplir, de plus en plus difficiles, de plus en plus drôles aussi. Le point culminant est sans doute le moment ou cette maison tourne sur son axe à la faveur d'une tempête, et Keaton cherche à y entrer, en visant la porte, mais ratant son coup un certain nombre de fois; parmi les autres gags les plus notables, on remarque une préfiguration du plus fameux moment de Steamboat Bill Junior (1928): un pan de mur tombe sur Keaton imperturbable: la fenêtre lui permet d'être indemne. Dans un ordre d'idées équivalent, Joe Roberts arrive à la maison avec un piano, et le jette littéralement sur Buster, qui reste coincé pendant quelques instants. Ca a l'air très réel, et ça l'est probablement.
Le film est aussi célèbre pour une fin très accomplie (Et qui reviendra plus d'une fois tant elle impressionnera), dans laquelle Keaton montre son talent pour l'accumulation de situations: une fois qu'ils ont appris que la maison est construite au mauvais emplacement, le couple tente de la déplacer, et la maison se retrouve coincée sur les rails. A l'horizon, un train se profile... jetez-vous sur le film, je n'en dirai pas plus.