Un salon de beauté, situé à gauche dans une rue de Tokyo. C'est le plan le plus vu du film: on y revient six fois. la première fois? eh bien, c'est le tout début. une façon comme une autre d'ancrer doublement son film, pour Naruse, qui non seulement va parler des femmes, ou de la femme (Le titre est traduit soit Histoire d'une femme, soit Histoire de la femme selon les filmographies), mais aussi le maintient accroché au présent de ses héroïnes: Nobuko Shimizu, veuve de guerre et sa belle mère tiennent en effet cet établissement en 1963, suite à un long parcours, qui va nous être conté au hasard de réminiscences toujours motivées soit par des conversations, soit par des voix off, et le film tient debout grâce à ce retour fréquent vers le présent, par le biais du lieu central de leurs vies.
Pour faire simple, disons que le film nous fait suivre la vie de Nobuko, au moment ou son grand fils Kohei meurt, l'ayant laissée pour vivre avec une fille qui travaille dans un cabaret. Elle se remémore ses sacrifices, et surtout son point de vue de femme face aux hommes: le père de Koichi, son mari, Koichi lui-même, qui l'a trahie (ce qu'elle apprendra longtemps après sa mort), Akimoto, l'ami de Koichi, secrêtement amoureux d'elle, et qui sera pour Nobuko une occasion manquée de rebondir, et enfin Kohei. Comme le dit la grand-mère, "Ces hommes, ils nous trompent, ils meurent avant nous, et nous on souffre. Je voudrais être réincarnée en homme, la prochaine fois"...
La beauté de ce film, pourtant réputé mineur, tient comme toujours avec Naruse, à un ensemble fragile de choses: la reconstitution du Japon chaotique d'après-guerre, un thème en lui-même très présent dans tous ses films des années 50, le scope magnifique marié au noir et blanc, comme dans son plus connu Quand une femme monte l'escalier (1960), et puis la rigueur de la narration, suspendue à ces femmes qui nous livrent leur vie sur un plateau. L'enjeu du film aparait évidemment, ironiquement, lors de la confrontation de Nobuko à une autre femme, Midori, celle qui s'est mariée à son fils. Elle éclaire tout le film, à travers la lutte courte, mais incisive entre les deux femmes...
Hideko Takamine est magnifique, elle tient le film à bout de bras, même si la grand-mère semble participer aux réminiscences à parts égales dans le premier quart du film. Mais l'autre grand acteur de ce film pourtant dédié principalement aux actrices, c'est bien sur Tatsuya Nakadai, pas encore repéré par Kurosawa, et qui était bien l'acteur qui monte dans le Japon de ce début des années 60: voir à ce sujet l'imposante Condition humaine de Kobayashi. Dans la scène de flash-back du mariage de Nobuko et Koichi, il a un discours qui en dit long sur sa frustration: il fait la promesse de ne se marier que s'il trouve une meilleure fiancée que son ami. Une révélation qui donne à toutes leurs retrouvailles dans le reste du film, y compris une rencontre tardive dans une gare, une tension très particulière.