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3 février 2013 7 03 /02 /février /2013 16:46

Qu'il n'y ait pas d'équivoque, ce texte est écrit après un nouveau visionnage du documentaire de Janet Bergstrom consacré à ce film de Murnau qui se situait entre Sunrise (1927) et City girl (1929): Murnau's Four devils, Trace of a lost film. Tourné dans la foulée de l'enthousiasme créé à la Fox par l'arrivée du maître Allemand, et alors que Sunrise n'avait pas encore été sanctionné par un relatif flop. Le metteur en scène avait, là encore, carte blanche, et le sujet, inspiré par un sujet Danois déjà filmé en 1911. Contrairement à ce qui a parfois été avancé, le studio n'avait absolument pas puni le metteur en scène pour son échec en lui refilant un vieux truc, d'autant que le mélodrame représenté par le sujet était probablement à l'opposé des désirs de la Fox, attentive aux nouveaux développements de la dramaturgie dans le cinéma contemporain. La production a été marquée par un certain nombre de problèmes: d'une part, la difficulté à trouver une fin appropriée: dans le scénario, il y en avait quatre possibles... d'autre part, le film a été montré au public dès l'automne 1928, à travers des previews qui ont généralement été positives, mais le studio tenait à ajouter une version parlante, qui n'allait pas être prête avant l'été 1929. Les retouches de celle-ci ont du être confiées à un autre metteur en scène, pour trois raisons: d'une part, Murnau souhaitait se consacrer à son nouveau film City girl. Puis, il allait quitter le studio sur un désaccord au sujet de ce dernier. Enfin il refusait de participer à l'établissement de ces versions parlantes (ce fut le même scénario sur City Girl, justement). Le film est donc sorti à la fin 1928, muet, puis de nouveau à l'été 1929, parlant... Et comme beaucoup de ces productions hybrides d'une époque de grands changements à Hollywood, on n'en entendra plus parler, avant qu'une copie ne soit localisée, et entreposée à la Cinémathèque française... Ou elle brûlera comme d'autres films (Dont l'unique copie recensée de The honeymoon, la deuxième partie de The Wedding March, de Stroheim.)... Fin: Janet Bergstrom, historienne Américaine spécialiste de Murnau, a donc rassemblé des documents afin de dresser un portrait aussi complet possible de ce film fantôme...

 

Le film suit donc l'histoire des "quatre diables", un quatuor d'acrobates élevés par un vieux clown, interprété par J. Farrell McDonald, un vieil ami à nous: ancien metteur en scène dans les années 10, complice de Ford à la Fox, et "character actor" du studio, il apparaît entre autres dans Sunrise dans le rôle d'un photographe farceur... Les quatre diables devenus adultes sont interprétés par Nancy Drexel, Barry Norton, Charles Morton, et... Janet Gaynor. Cette dernière est la star en titre du film, dont la distribution est  complétée d'une vamp, en la personne de Mary Duncan, une jeune actrice qui monte à la Fox, qu'on reverra en compagnie de Charles Farrell dans The River (Borzage, 1929) et bien sur City Girl... Ele joue le rôle de la femme qui jette son dévolu sur Charles (Morton), provoquant la jalousie de Marion (Gaynor), et le drame final, c'est à dire dans la version présentée en 1928, la mort des deux héros, provoquée par Marion qui a décidé de garder son amour pour elle par-delà la mort. Une deuxième version de cette fin sera légèrement différente pour la version parlante: le jeune homme survit...

 

Le film semble assez fidèle à l'esprit du drame Danois de base, forcément noir. Du reste, on a l'impression devant cette intrigue d'assister un peu à la vengeance de la citadine de Sunrise, Murnau retournant à son péché mignon qui consiste à casser les couples trop gentils... Du reste, d'après ce que laisse imaginer la continuité de Berthold Viertel ré-assemblée par Bergstrom, la femme fatale interprétée par Duncan prend plus de place dans ce film que celle de Margaret Robinson dans le film précédent. de plus, tout en jouant un rôle de prédatrice, elle a un véritable rôle de premier plan, rejoignant à sa façon Nosferatu, dont elle assume quasiment la position sur le gentil couple, le détruisant malgré elle à la fin du film... On retrouvera ce type de rôle avec le vieux prêtre de Tabu... Mais si le film fait appel aux vieux principes du mélo (Et on se souvient que Sunrise faisait lui aussi partie, à l'instar de Lonesome ou Street Angel d'une sorte de revival des intrigues simples dans un cinéma Américain de plus en plus attiré par les expérimentations formelles), il y a fort à parier qu'il tirait sa spécificité et son intérêt d'un festival d'images sublimes et d'effets visuels, le cirque ayant été choisi par Murnau pour y montrer une explosion d'émotions, de l'angoisse à l'émerveillement en passant par le rire, grâce à une caméra plus déchaînée que jamais... C'est ce que confirment les dessins préparatoires préparés à la demande de Murnau par son vieux complice  Robert Herlth.

 

Mais on ne saura jamais. Si vraiment une copie de ce film dormait quelque part dans le monde, je pense que la personne qui la dissimulait l'aurait sortie de ses cartons il y a dix ans, au début du boom du DVD, à une époque où, brièvement, il devenait possible à un studio comme la Fox de sortir un coffret aussi luxueux que Ford at Fox, ou, justement, Murnau and Borzage at Fox... On n'a rien vu, à part quelques plaisantins qui ont tenté de se faire mousser en prétendant posséder une copie, comme il y en a du reste souvent qui prétendent avoir en leur collection une version de London after Midnight, ou une copie intégrale de Greed. On a retrouvé une bobine de Marizza, mais on ne retrouvera sans doute jamais Four Devils, le chaînon manquant entre Sunrise et City girl.

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Published by François Massarelli - dans Friedrich Wilhelm Murnau Muet 1928 Film perdu