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9 août 2012 4 09 /08 /août /2012 09:41

Qui est Tod Browning? On est parfois surpris d'apprendre que le réalisateur de London after Midnight, Dracula et Mark of the vampire était un homme installé, respecté dans le Hollywood du début des années 20, miné par un alcoolisme qui lui jouera des tours assez souvent. Enfin, il était un réalisateur à l'aise dans le monde des studios, qui y finira tranquillement sa carrière dans les années 30, avant de prendre une retraite bien méritée en 1939... Il est pourtant responsable d'un grand nombre de productions à la réputation sulfureuse, qui lui ont donné une image de pervers pourvoyeur de plaisirs inavouables... Ca se discute.

Et puis il y a Freaks... La genèse du film est embrouillée, contradictoire même: On crédite souvent Lon Chaney (Décédé en 1930, mais collaborateur fréquent de Browning, dont il existe des photos présentant l'acteur essayant un costume emblématique de Freaks) d'une association avec le film, alors que la nouvelle qui sert de base à Freaks aurait été signalée au directeur de production Irving Thalberg et à Browning par Harry Earles, l'acteur nain (Ou "personne de petite taille" pour rester dans une terminologie encore acceptable aujourd'hui), qui voyait en cette histoire de vengeance des "monstres" de cirque un véhicule idéal pour lui. Thalberg, quant à lui, aurait vu en cette histoire une sorte de film d'horreur idéal pour la MGM, en guise de réponse à la vague venue de la Universal: Freaks était une intrigue située dans le quotidien d'une corporation, dont l'horreur des péripéties ne se déroulait jamais dans un cadre surnaturel...

Dans le petit cirque de madame Tetrallini, en France, le nain Hans tombe fou amoureux de la belle écuyère Cleo. Mais si elle l'épouse, c'est plus pour son héritage fabuleux que pour ses beaux yeux. elle tente ensuite de l'empoisonner mais les camarades de la victime vont apporter à Cleo la preuve de la solidarité des gens du cirque...

Cette intrigue est d'une grande simplicité et permet à Browning d'installer ses caméras dans les coulisses du cirque, dont on ne voit quasiment jamais la piste: on découvre ainsi les soucis quotidiens, les amours, les peines et les joies de tous ces gens, femmes à barbe, "squelettes humains", soeurs siamoises, nains, et d'autres personnages, tous des célébrités en leur genre. La différence entre Olga Baclanova (Cleo), Henry Victor (Hercule, l'amant et complice de Cleo), Wallace Ford (Phroso le clown), Leila Hyams (Venus, montreuse de phoques) et Rose Dione (Madame Tetrallini) d'un coté, et les "freaks" de l'autre, fait tout le sel du film. Encore aujourd'hui il y a un débat houleux entre les héritiers des traditions représentées dans le film, tous les artistes qui exploitent de fait leur propre "différence", pour déterminer si le film de Browning n'était qu'une exploitation éhontée, ou un regard direct et sans concessions sur un univers peint dans sa réalité à peine déformée.

L'intention de la MGM était quand même un peu louche à la base, assimilant de fait les artistes, nains, personnes handicapées (les "pinheads", Prince Randian le torse vivant ou Johnny Eck dépourvu de toutes les parties du corps situées en dessous du nombril) aux monstres de la concurrence, Dr Jekyll ou la créature de Frankenstein... Mais entre les mains de Browning, le seul réalisateur capable de faire ce film, on échappe à mon sens à cette lecture. Phroso et Venus ont beau être des gens dépourvus de ces particularismes, ils sont aussi des gens de cirques, et la solidarité des "monstres" de foire est aussi complétée par une sorte de fraternité des gens du spectacle qui est magnifiquement montrée dans Freaks, et que Browning avait déjà mis en scène dans d'autres films, notamment The unholy three, The Show, The Unknown. Et comment faire l'impasse sur la mutilation ce thème troublant, qui revient sans cesse dans l'oeuvre de Browning? Des créations de Chaney à ces authentiques "monstres", il n'y a qu'un pas, franchi sans hésitation par le metteur en scène qui sait filmer aussi directement que possible, nous laissant gérer le malaise éventuel, un homme sans bras qui joue de la guitare avec ses pieds (The unknown) ou un homme privé de tous ses membres et qui roule une cigarette avec la bouche (Freaks). Dans son oeuvre, ce qui fait le prix de Freaks, c'est que le film est une immersion complète dans la différence...

Il y a un aspect d'exploitation aussi, dans le fait de prendre appui sur cette réalité que nous ne pouvons nous empêcher de considérer comme parallèle, afin d'examiner l'homme à l'intérieur, et de n'en tirer que noirceur et désespoir. L'image ainsi obtenue d'une belle femme devenant une poule humaine, qui devait dans la continuité originale du film (Selon la légende, et elle est soumise à caution...) être complétée par l'apparition d'un ex-Hercule émasculé par la vengeance des "freaks", nous renvoie à notre propre laideur et nos tares, que nous soyions "complets" ou non, grands ou petits, victimes ou criminels. Comment s'étonner alors que le film ait eu une réponse si négative de la part des décideurs du cinéma, mais aussi du public? Mais contrairement à la légende, le film n'a pas été mutilé au-delà de toute ressemblance par "la censure", dont il faut rappeler qu'elle était peu active en cette époque sinon, il n'en resterait probablement que quelques minutes, voire rien du tout.

Le film est pour finir le testament d'un cinéaste inégal, capable du meilleur comme du pire (L'abominable Dracula, plombé par une absence totale de rythme), qui fit l'essentiel de sa réputation sur une série de films répétitifs voire inutiles dédiés à l'art de Lon Chaney, mais dont les meilleurs films restent bien les oeuvres fantastiques étranges réalisées pour la MGM, et inaugurées par ce gros coup de poing dans la figure qu'est le film maudit Freaks, du à la conjonction de talents de Browning, de tous ses "monstres" professionnels, de Harry Earles, acteur de petite taille, et du soutien inattendu mais inconditionnel de Irving Thalberg au projet. Un film qui nous rappelle à toutes les facettes de l'humanité... Un film aux destinées présidées par un réalisateur obsédé par la mutilation depuis un accident de voiture qui l'a éloigné des studios pendant un an tout en coûtant la vie à un de ses meilleurs amis, l'acteur Elmer Booth, et par un producteur génial miné par la maladie depuis son plus jeune age... Pas un hasard non plus.

 

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Published by François Massarelli - dans Pre-code Tod Browning Criterion