La magie du cinéma, vue de l'intérieur, et reconstruite à travers un parcours: celui du jeune Hugo Cabret, un garçon qui vit dans une tour, gare Montparnasse; son père horloger mort, il a été recueilli par son oncle Claude, en charge de l'entretien des horloges de la place. Le vieil alcoolique a ensuite disparu, laissant le gamin faire son travail à sa place, se débrouiller par lui-même, et accessoirement s'occuper l'esprit avec un souvenir de son père: un automate dont des pièces manquent. Une mystérieuse clé, en particulier, devrait apporter des réponses importantes à la raison d'être de cette merveilleuse construction, dont le père disparu assurait que l'automate écrivait de sa main droite!
Hugo, quand il ne travaille pas à ses horloges ou à son automate, sort dans la gare et vole de quoi manger d'une part, et des objets qui vont lui apporter de quoi réparer son seul compagnon... Ces objets, il les vole essentiellement au vieux monsieur un peu sec qui tient la boutique de jouets et de confiserie de la gare. Un beau jour, celui-ci, excédé, accuse Hugo de l'avoir volé et lui confisque un carnet, souvenir de son père, qui semble bouleverser le vieil homme. Hugo, sans le savoir, vient de rencontrer Georges Méliès.
Martin Scorsese aux commandes de ce film, c'est une garantie de ne pas se prendre les pieds dans le tapis sur au moins deux points: la reconstitution de ces premiers temps du cinéma, et la ferveur qui s'y manifeste, seront traitées à leur juste valeur! Combien de films ont-ils été coulés par les raccourcis limites, les approximations (même un chef d'oeuvre comme Singing in the rain se plante historiquement!)... Avec "Marty" aux commandes, on l'a échappé belle. Maintenant, le film n'est pas historique: il reprend bien la trame générale de l'histoire de la redécouverte de Méliès qui a eu lieu dans les années 30, orchestrée par quelques amoureux du cinéma qui l'ont traqué jusque dans sa boutique, devenu un anonyme vieillard marié à son ancienne actrice Jehanne d'Alcy.
A ce titre, Ben Kingsley compose un Méliès saisissant de ressemblance, et Scorsese s'est plu à faire comme dans The aviator où il recréait le Hollywood du début des années 30 autour de Jean Harlow et Howard Hugues. On a droit ici à de belles séquences de tournage, qui nous plongent de façon assurée dans l'ambiance du magique studio de Montreuil (même si j'ai du mal à imaginer le metteur en scène, homme à tout faire, génie Méliès disant "Action!" comme le premier Michael Bay venu). Et l'idée de montrer aux enfants, principale cible du film, la redécouverte du vieux cinéaste sous la forme d'une énigme, est une bonne idée. Mais Hugo Cabret et la petite Isabelle, une jeune fille de son âge recueillie par Méliès et Jehanne, n'ont bien sûr jamais existé, pas plus que le providentiel 'historien du cinéma' René Tabard: un tel titre n'existait pas en 1935! Mais cette fiction est baignée dans le réel, direct (affiches d'époque, décors parfaitement répliqués), ou indirect: un rêve de Hugo le voit lié à un célèbre accident de train, survenu en 1895 (symbole!) à la gare Montparnasse, alors appelée Gare de L'ouest. Le réel et l'imaginaire s'entremêlent avec bonheur tout au long du film.
Fort de cette gourmandise qui est la sienne, de cette opportunité de déclarer une fois de plus son amour du cinéma, Scorsese s'est attelé à faire ce qu'on attendait pas de lui: un film pour les enfants, dans lequel le parcours du jeune Hugo tient du voyage initiatique, débouchant sur le merveilleux: l'occasion émouvante de toucher du doigt le génie particulier d'un des premiers inventeurs de forme du cinéma, ici célébré à sa juste valeur, dans son côté artisanal, espiègle, un vieux magicien qui cache un coeur, bien sûr, d'or, sous une rancoeur bien pratique. Pratique, car, et c'est justement ce qui me navre, le film part du principe que la plupart des spectateurs ne vont pas tout de suite repérer qui est ce vieux monsieur à sa boutique de confiserie. Mais de fait, peu de gens dans le public sont au courant de l'histoire, et c'est bien dommage qu'on ne garde pas le contact avec le septième art des premiers temps... Ce qui est valable pour la littérature (Molière et Shakespeare se vendent fort bien...) ne l'est pas pour le cinéma.
Scorsese en tient compte, en lâchant Hugo dans la gare, où il risque à chaque instant de tomber dans les griffes de l'odieux inspecteur de la gare, un ancien soldat estropié, joué avec génie par Sacha Baron Cohen, en militaire de carnaval doublé en humanité par son chien, mais qui va avoir lui aussi sa part de rédemption dans ce conte. Et Hugo, horloger par la force des choses, va lutter contre le temps, en retrouvant à un moment la position d'Harold Lloyd dans un de ses films préférés: Safety Last. Le film affiche une sage, mais saine cohérence en faisant répéter à Hugo, mais aussi au détective, des gestes de Lloyd, vu par ailleurs sur un écran, lors d'une très improbable séance de cinéma dédiée au muet, que Hugo utilise pour donner à Isabelle l'occasion de découvrir un art que son tuteur, le vieux Méliès, lui interdit. Les hommages au cinéma abondent, on retiendra en particulier une jolie scène, durant laquelle Isabelle et Hugo sont dirigés par un vieux bibliothécaire malicieux (Christopher Lee!!!!!) vers un livre d'histoire du cinéma, et l'écran explose alors en extrait multiples des chefs d'oeuvre d'alors: on voit William Hart, Chaplin, Keaton, Intolerance, et c'est beau à pleurer.
Mais en prime, Hugo va devoir passer par le physique, le pyrotechnique, le suspense propre à tous les films pour nos chères têtes blondes. C'est bien fait, plaisant, ça nous accroche gentiment, et ça permet donc de faire efficacement passer toutes les authentiques images merveilleuses contenues dans le film... On mesure à quel point Scorsese, qui a toujours eu à coeur d'étendre son savoir-faire à tous les genres disponibles, a réussi son beau film d'images, dont les couleurs superbes se veulent un reflet d'une époque révolue, et d'une France d'Epinal qui renvoie par instants à Jean-Pierre Jeunet.
Et ça c'est selon moi une grande qualité.