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9 février 2011 3 09 /02 /février /2011 13:32

"From the headlines!": En Mervyn Le Roy, Zanuck a finalement trouvé un partenaire de choix.le jeune prodige des années 28-29 est devenu en ces débuts du parlant un réalisateur influent, aux idées proches de celles du producteur: il s'agit, pour eux, de faire un cinéma non pas documentaire, mais inspiré du réel. Il n'est pas forcément question de dénoncer de façon délirante, mais bien de montrer, et éventuellement de proposer des solutions. A coté de trois films plus traditionnellement Hollywoodiens dans la mesure ou ils renvoient à un genre spécifique (Little Caesar, film de gangsters; Three on a match, mélodrame; Gold diggers of 1933, comédie musicale), ce film au titre choc représente le type même d'histoire qui accomplit le désir des deux hommes, puisqu'inspirée d'une histoire vraie, balisée dans le temps par quelques allusions historiques sans pour autant être une dénonciation de la crise, mais attaque en règle toutefois non de l'Amérique, mais plutôt de certaines pratiques honteuses effectuées dans le Sud du pays: le système carcéral Sudiste et ses bagnes à ciel ouvert dans lesquels des êtres humains s'abîment dans une spirale de travaux forcés et de déshumanisation.

Le film est conté comme un parcours. Aux habituelles coupures de journaux, un péché mignon de Le Roy pour asseoir l'autorité de son récit et son réalisme, viennent s'ajouter des cartes, qui sont le plus souvent précises quand il s'agit de montrer les voyages et l'évasion de Jim Allen, le héros, et moins précis lorsqu'on touche aux pratiques carcérales: aucun état n'est cité dans le film, mais plusieurs se sont reconnus, notamment le Mississippi, la Louisiane et l'Alabama.

Les dates sont parfois claires, souvent indiquées indirectement (la fin de la guerre, ce qui pourrait être 1918, 19 ou 20 tant la démobilisation a pu être longue), ou parfois totalement floues; aucune allusion ici à la crise de 1929, par exemple, et il est probable que l'essentiel du film se déroule bien avant.

Jim Allen (Paul Muni), un sergent démobilisé, revient chez lui, et peine à reprendre ses marques. il se résout à tenter sa chance dans les métiers du bâtiment, une carrière qui ressemble à un idéal pour lui, mais cela ne fonctionne pas, et il a de plus en plus de mal, jusqu'au moment ou il est devenu chômeur, et n'a plus rien. Il est arrêté malgré lui dans un hold-up auquel il n'a pas participé, et va donc purger une peine de dix ans de travaux forcés. Très vite, il comprend la nature du lieu, et souffre comme d'autres du traitement inhumain qui lui est infligé, avant de se résoudre à s'évader. Une fois dehors, il reprend le cours de sa vie, devient un ouvrier qualifié, contremaître puis ingénieur... Mais sa nouvelle épouse, qui l'a forcé par chantage à l'épouser, va se venger de lui, et le dénonce...

 

Le moins qu'on puisse dire, c'est que ce film frappe fort, très fort. A l'interprétation généreuse (Paul Muni, mais aussi tous les acteurs, de Glenda Farrell à Berton Churchill en juge froid, à Allen Jenkins en sympathique malfrat, sont justes) vient s'ajouter une mise en scène comme toujours dans ces films pré-code de Le Roy, qui ne passe pas par quatre chemins, aussi directe que possible. Le montage, typique de la Warner, alterne plans longs, et flashes (le passage du temps), et laisse beaucoup les acteurs faire leur travail. Au baroque de Curtiz, voire à l'opéra de Wellman (Public enemy) le cinéma de le Roy oppose les scènes "coup de poing", en laissant la musique en dehors du film, comme dans Little Caesar. Le parti-pris de Le Roy lui autorise quelques notations discrètes, comme ces ironiques rimes entre les scènes (Le juge frappe de son marteau, et un fondu enchaîné nous montre les masses des forçats en gros plan...) voire entre le début et la fin: bien sur, Jim Allen, qui a tant voulu construire, notamment des ponts, s'évadera en détruisant... un pont.

Faire mentir la légende d'un cinéma aveugle aux vrais problèmes, c'est l'un des atouts majeurs de ce grand film, au style volontiers réaliste, à la fois typique des Warner pré-codes (ah, la diction de Glenda Farrell ou Allen Jenkins... on ne s'en lasse pas), et qui va plus loin, dans la polémique comme dans la représentation d'un certain réel. la cible de ce film ne s'y est pas trompée: mais on peut se demander si derrière ce film déjà si corrosif en tant que tel, ne se cacheraient pas d'autres messages, sur le Sud toujours: les pratiques typiques et locales ne manquaient pas dans des états dominés par le KKK, aux lynchages à la fois secrets et publics, avec leur ségrégation d'état. Dans le film, le Roy n'hésite pas à montrer les bagnards partagés entre Blancs et Noirs, comme Curtiz le fera de ses prisonniers dans 20, 000 years in Sing-Sing, ou de ses mineurs dans Black Fury. L'homme qui brise les chaînes de Jim, c'est d'ailleurs un grand noir. Bomber, le camarade de Jim, lui dit: ce gars-là, les gardiens aiment tellement son travail qu'ils envisagent de le garder jusqu'à sa mort... Enfin, le principal sujet "social" abordé à la Warner, qui permettait de faire tout passer sans accusation de communisme, car il fallait bien sur faire attention à ça, c'était évidemment le sort indigne des vétérans, dont fait partie Jim Allen; voir à ce sujet Heroes for sale, de Wellman, ou Gold diggers of 1933, du même Le Roy. Le film, c'est une évidence, est chargé en sens.

De fait, il y aura une descendance à I am a fugitive from a chain gang; d'une part, il inaugure d'autres réalisations polémiques dont la Warner va se faire une spécialité, mais il établit aussi une image du bagne Sudiste qui va passer directement dans les habitudes. On lui doit donc autant certains aspects de Sullivan's travels de Sturges que de son héritier O Brother, Where art thou? des frères Coen... Plus généralement, c'est l'un des joyaux du cinéma Américain, de la Warner, de la carrière de Paul Muni et de celle de Le Roy. excusez du peu. Si je lui préfère Three on a match, je dépose quand même les armes devant son efficacité vénéneuse.

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Published by François Massarelli - dans Pre-code Mervyn Le Roy