Véritable épure, parue entre son film le plus extrême depuis longtemps (Kika) et une plongée étrange dans le film noir, La fleur de mon secret est un film-clé de l'oeuvre d'Almodovar, à tel point qu'il y reviendra de façon inattendue dans Volver. Leo (Leocadia, apprend-on à la faveur d'une scène familiale de retour aux sources, justement) est une femme écrivain, qui publie sous un nom de plume des romans à succès qui se vautrent volontiers dans le mélodrame et les pulsions à la Barbara Cartland: Amanda Gris. personne, ou presque, ne connait son secret; mais elle traverse une double crise, conjugale et personnelle, et cherche à diversifier ses écrits; ele obtient une chronique littéraire dans le journal El pais, ou travaille un admirateur d'Amanda Gris, Angel. En même temps, elle va découvrir la vérité sur la double vie de son mari, Paco, un officier engagé en Bosnie qui la délaisse un peu trop facilement...
Bien sûr, le résumé typiquement empreint de mélodrame qui précède ne semble pas s'éloigner de façon trop importante des canons Almodovariens, d'autant que parmi les acteurs on trouve par exemple Rossy de Palma et surtout, bien sur, Marisa Paredes (Leo), souvent de rouge vétue, qui incarne en plus une autrice torturée, en crise. Mais de même que Leo n'est pas célèbre autrement que sous un nom d'emprunt, contrairement à tous les artistes déja rencontrés de films en film chez Almodovar, sa crise ne passera que très superficiellement par une explosion. La mise en pièces de sa vie et son confort passe plus par l'implosion. C'est aussi souvent révélé par les personnages extérieurs, Angel notamment, ou encore la famille proche: la soeur et la mère qui apportent par leurs chamailleries futiles un peu de comédie bienvenue.
La mise en scène, faut-il le rappeler, est confiée donc à un homme en pleine possession de son génie, et qui passe par des idées discrètes, subtiles, mais particulièrement efficaces, pour suggérer le chaos de la vie de Leo; celle-ci est le plus souvent laissée à elle-même pour contempler les portraits nombreux et assemblés en un espèce d'autel dédié à son mari absent. Une visite de celui-ci se passe essentiellement entre deux portes (Littéralement), et elle apprendra vite qu'il est en fait entièrement accaparé par une autre. Les rapports des deux sont souvent vus à travers des miroirs disjoints, les carreaux d'une porte, comme les pièces injoignables d'un puzzle. Leo étend ce problème à d'autres, tel Angel, auquel elle refuse son amour durant une bonne partie du film, alors que lui serait contrairement à Paco plus disponible.
Il faudra à Leo le film entier pour réaliser que rien n'est ce qu'il parait être, mais nous nous le savions dès le début: ces gens dans la première séquence qui doivent annoncer une mauvaise nouvelle à une femme ne sont pas des médecins, et cette femme qui semble écrire un roman écrit en réalité ses sentiments et émotions du moment. De même, Amanda Gris n'est pas Amanda Gris (Encore moins après qu'Angel ait pris l'nitiative d'écrire deux romans sous ce nom sans consulter Leo...)... Paco n'est pas en Bosnie, et Leo qui s'abîme dans l'alcool et les somnifères n'y trouvera rien. Par contre Almodovar est bien lui-même, en dépit des apparences: cette science du moment, cette politesse du désespoir de placer aux bons endroits, ou mieux aux pires endroits possibles des renvois sur terre sous forme de rappel du sexe, de la saleté, du terre-à-terre de l'existence (cette merveilleuse mère toujours là à point pour parler de ses difficultés à déféquer quand Leo éprouve justement une crise de la créativité), ces intermèdes musicaux de moins en moins décalés, mais qui renvoient à une possibilité de sacré (Mélange superbe entre Miles Davis et le Flamenco, via un ballet au son d'un extrait du superbe album Sketches of Spain), et cette fin ouverte, qui nous évite de présenter Leo en totale rémission quant à sa déprime, font tout pour notre bonheur.
Volver, disais-je, reviendra sur ce film par deux aspects: d'une part, en recyclant le même décor de maison, où vit ici la maman de Leo. D'autre part, un petit mystère récurrent dans La fleur de mon secret concerne un scénario de film (Attribué à Bigas Luna!) curieusement inpiré d'un roman non publié de Leo: l'intrigue de base de Volver, avec le meurtre du mari par l'épouse qui n'a pas supporté que celui-ci s'en prenne à sa belle-fille, puis le fait que le cadavre soit caché dans un congélateur... Un lien étonnant entre deux chefs d'oeuvre d'Almodovar, qui passe évidemment par les ficelles du crime et de l'exagération mélodramatique...