Bien qu'il soit arrivé aux portes du succès (les trois films suivants lui apporteront la notoriété définitive), Almodovar continue de mélanger le mélodrame et la provcation avec son style personnel dans ce film qui le touche de près; il y est, après tout, question de la vie privée d'un réalisateur et metteur en scène de théâtre Espagnol homosexuel, aux prises avec un amant récalcitrant. Le début est un intéressant trompe-l'oeil ambigu et provocateur: un jeune homme seul à l'écran se déshabille et obéit aux ordres très explicites d'un homme hors champ, qui lui donne de l'argent une fois les actes accomplis. C'est à ce moment qu'on comprend qu'on assiste à une séquence de post-synchronisation, dans laquelle les deux voix des protagonistes sontr interprétées par des hommes d'age moyen, pas vraiment aussi glamour que le jeune homme vu à l'écran; dès le début, Almodovar a su imposer une distance entre ce qui va nous être montré et la vérité, tout en se livrant à une provocation, en montrant un jeune homme soumis à un plus agé et se livrant sur l"écran à des actes sexuels... La quadrature du cercle...
La première partie concerne la vie de Pablo (Eusebio Poncela), metteur en scène arrivé et amoureux d'un jeune homme libre, Juan (Miguel Molina), qui ne l'aime pas. Pablo voudrait plus, mais il voudrait également le dominer, et lui imposer ses faits et gestes. Tina (Carmen Maura), la soeur de Pablo, est également déçue de la vie: elle est en fait le frère de Pablo, et son histoire compliquée l'a faite se détourner des hommes un fois sa transformation accomplie; elle vit avec sa fille, qui aime Pablo d'une façon excessive... Enfin, on rencontre Antonio (Banderas), un jeune homme qui aime Pablo avec déraison. Il va réussir à s'introduire dans sa vie, et y semer la pagaille... la deuxième partie montre l'assassinat de Juan par Antonio, puis la machination de celui-ci pour que le meurtre soit imputé à Pablo. La troisième partie fait intervenir deux policiers antagonistes, l'un vieux et ouvert, l'autre jeune et psychorigide. C'est la partie la moins intéressante du film...
Le désir, donc, est la clé du film. Pas tant le désir sexuel que ses conséquences: chacun des protagonistes a une histoire différente, et une façon différente de traiter ses désirs: Tina a été très loin pour assumer son attirance pour les hommes en devenant une femme, et a perdu toute confiance dans les hommes (Après deux histoires mouvementées... avec un prêtre, puis avec son père... Hum.) Sa fille est manifestement prète à tout pour que Pablo la remarque (mais Almodovar a su rester dans le ton léger de la comédie, il n'a pas franchi la ligne jaune ici); Pablo, lui, est un dominateur frustré: il voudrait que tout marche dans son sens, mais que ça le fasse naturellement: il va jusqu'à écrire une lettre à Juan dans laquelle il lui dicte la réponse qu'il souhaite lire; il ne sera jamais satisfait... Antonio, prèt à tout lui aussi, est le moins inhibé des personnages, c'est lui qui va le plus loin... il va bien sur trop loin.
Le film va loin aussi, nous enjoignant de le suivre dans l'intimité sexuelle de Pablo et Antonio. Les deux acteurs sont remarquables, dans la mesure ou ces scènes réussissent à dépasser la malaise qu'elle pourraient installer, et remplissent avec aisance leur fonction. Elle donnent du poids à la composition des personnages, tout en maintenant un lien avec les années de jeunesse du metteur en scène. De fait, son cinéma est devenu plus rigoureux, plus solide et pour tout dire plus engageant. On assiste ici à une partie intéressante de sa métamorphose: Avec La loi du désir, il a su continuer à intégrer le mélodrame débridé dans son cinéma transgressif, mais sans sombrer dans les excès de Matador...