Il est paradoxal de constater qu'afin de prouver ce qu'il avançait à cette époque (En gros, que la plupart des metteurs en scène du cinéma Américain contemporain étaient des fainéants en matière de mise en route d'une signification qui ne passe que par les images) Ernst Lubitsch ait été chercher, en compagnie de son complice Hans Kräly, la pièce de Wilde. Oscar Wilde, de fait, est le prince de la suggestion par le sous-entendu, mais cela passe chez lui par la verbalisation de l'innuendo plutôt que par sa matérialisation picturale! Mais peu importe, justement, ou mieux: en utilisant le théâtre essentiellement verbal, et en en trouvant la traduction visuelle, Lubitsch affirme avec génie son incroyable style...
Lady Windermere file le parfait amour avec son Lord, et doit patiemment ignorer les appels du pied de plus en plus insistants de leur ami Lord Darlington, décidément très amoureux d'elle. Mais celui-ci lui révèle que son mari a déjà vu en secret une mystérieuse intrigante, madame Erlynne. Elle confronte Lord Windermere, dont les dénégations ne la satisfont pas. Il se trouve que Mrs Erlynne est en vérité la mère disparue de l'héroïne, qui a négocié avec le mari les conditions de son retour en société, mais souhaite le faire sans révéler son identité, tant le scandale qui l'a vue disparaître a été important... Les faux-semblants, les frustrations et les amours impossibles vont culminer dans une cascade de quiproquos qui seront lourds de conséquences...
Ce film, comme la pièce qui en est à la source, est un sommet de subtilité, mais aussi une oeuvre noire, qui montre comment le bonheur des uns peut être entièrement dépendant du sacrifice et du malheur des autres... Les scènes montrées par Lubitsch, dont la rigueur légendaire ets ici à son sommet, vont toutes dans le sens de l'inéluctable sacrifice de Mrs Erlynne pour celle qui la méprise, la prend d'ailleurs pour sa rivale, un sacrifice double: social, d'une part, mais aussi affectif puisque jamais la vérité des liens entre les deux femmes ne sera mise au grand jour. Lubitsch se paie aussi avec bonheur la bonne société (Londonienne en théorie, mais comme son modèle le Chaplin de A Woman Of Paris, Lubitsch tape sur toutes les sociétés occidentales avec son film). Les mécanismes d'un ostracisme sont montrés de façon rigoureuse dans une superbe et fort satirique scène aux courses, réglées comme avec un métronome; les trois garces de la bonne société qui manifestent leur désapprobation face à l'arrivée d'une femme qu'elles considèrent comme une intrigante, ont-elles pris le temps d'aviser derrière elles, la tapisserie de grande taille sur laquelle on voit Jésus, représenté dans l'anecdote de la femme adultère?
Plus que d'autres, ce film magnifiquement interprété (La palme irait selon moi au rôle difficile de May Mc Avoy en Lady Windermere, et bien sûr à la retenue fabuleuse de Ronald Colman, génial en Lord Darlington), qui ne possède aucun défaut, rigoureux de la première à la dernière image, est une inépuisable source de bonheur cinématographique, l'un des meilleurs films d'un auteur il est vrai surdoué, et peu avare de chefs d'oeuvre...