(Textes déja publiés en décembre 2009 sur l'infatigable forum DVDclassik)
The Bohemian girl (VOLUME 9) février 1936. Réal : James W. Horne et Charles Rogers. 68
minutes
Fruit d’une longue gestation, ce film planifié dès 1934 a été finalisé lors d’une période durant laquelle les crises se sont
succédées : tout d’abord, l’abandon de fait des courts métrages que j’évoquais plus haut, qui n’a pas du être vécu avec bonheur par Stan et Babe ; ensuite, les difficultés relationnelles entre
Roach et Stan, qui comme on le sait ne vont pas en s’améliorant ; Laurel en plus, est au milieu des années 30 en plain chaos familial, alternant mariages et
divorces ; pour couronner le tout, Thelma Todd qui jouait dans le film est retrouvée morte à son domicile en décembre 1935, dans des circonstances douteuses. Le fait qu’elle soit décédée ainsi va
pousser le studio, à l’approbation générale, à effacer purement et simplement son rôle, n’en retenant que des bribes, et en retravaillant et retournant quelques scènes : il s’agissait, pour Roach
et Laurel, de ne pas risquer d’exploiter de quelque manière que ce soit la mort tragique de l’actrice, à l’approche d’un scandale éventuel. Le décès ne sera jamais
élucidé, et Thelma Todd, tout en n’apparaissant que 5 minutes durant lesquelles elle chante, doublée par une autre, une des chansons du film, conservera au générique sa place, la troisième… Un
hommage, plutôt étrange vu les circonstances, mais un hommage quand même à une grande dame.
Sur cette photo, une scène entre Moreno et Todd, coupée dans la version définitive:
Deux metteurs en scène pour un long métrage de Laurel & Hardy,
ce n’est pas la première fois, mais ici la nouveauté réside dans le fait que Horne et Rogers sont, à part entière l’un et l’autre, des réalisateurs attitrés des courts et longs du duo, là ou
habituellement Roach nommait en co-réalisation un homme pour la comédie, un pour l’intrigue : voir à ce sujet Gus Meins et Rogers, ou encore Rogers et Roach. Il est probable que Horne s’est vu
confier la mise en scène de scènes de l’intrigue principale, et Rogers de la pure comédie. Comme dans les deux précédents films musicaux du duo, on a affaire à une étrange bête à corne dont les
parties s’intègrent mal, même si un effort a été fourni de manière à intégrer les deux hommes à l’intrigue proprement dite : Des Bohémiens s’installent près d’un château, dont le maitre des lieux
est un farouche ennemi des gitans. Ils volent à tout va dans la ville, mais l’un d’entre eux, le fier Devilshoof, se fait prendre, et reçoit en sanction des coups de fouet. Devilshoof, interprété
par Antonio Moreno (Mare Nostrum, The temptress, It, The Searchers...), est également au camp des Bohémiens l’amant de Mrs Hardy, la femme d’un autre gitan. Celle-ci est incarnée par Mae
Busch, qui retourne à cet effet dans le registre odieux de la mégère, et on peut dire que le traitement infligé par ces deux-là à ce pauvre Hardy est du plus haut
sadisme. Au moment ou les gitans vont partir, Mrs Hardy «vole» l’unique enfant du comte Arnheim pour venger son amant, et fait brièvement croire à Hardy qu’il est le père avant de prendre le large avec son amant et les bijoux de son mari. Hardy et son ami Stan vont donc élever l’enfant,
Arline, qui pas un seul instant ne pense à signaler qu’elle a par ailleurs une famille, et qu’elle aimerait les retrouver ; mais douze plus, tard, les gitans reviennent sur les lieux, et la
petite Arline devenue grande s’introduit dans le château. Le seul moyen de faire passer ce ramassis de n’importe quoi pour un scénario, ce sont… des chansons.
On voit qu’on a réussi à introduire Babe Hardy dans le scnéario ; Stan traverse une bonne partie
du film comme s’il s’était trompé d’adresse, mais ce détachement a des effets qui donnent malgré tout de l’intérêt à un visionnage souvent terne : d’une part, comme il semble n’y avoir pas eu
l’ombre d’un capitaine dans le navire, ni Rogers ni Horne ne parvenant à prendre les rênes de la production, et Roach devant éviter comme la peste de se trouver sur le même plateau que
Laurel, les deux hommes ont réussi à infiltrer une bonne dose d’anarchie personnelle dans le film : Stan, en particulier, développe ici beaucoup de dons, depuis la
façon toute personnelle de détrousser les passants en leur disant la bonne aventure, jusqu’à une scène durant laquelle au lieu de mettre le vin en bouteille, il l’ingurgite en le siphonnant, tant
et si bien que le vin lui coule par les oreilles ; il continue à mettre son corps étrange en scène, avec une oreille élastique et un index amovible, et il chante alternativement avec une voix de
soprano et une voix de basse. Sinon, il tente de filouter Hardy à plusieurs reprises, s’affirmant même prêt à collaborer avec l’épouse de ce dernier dans le but de
lui nuire, afin de récupérer les bijoux. Enfin, confronté à la possibilité de recevoir des coups de fouet, il se transforme en Stan Laurel de 1924, agressif et
agile, aussi bien dans la gestuelle que dans l’adresse. Mais un final surréaliste et physique vient nous rappeler que nous sommes bien dans un Laurel et
Hardy de 1936…
Outre Mae Busch et l’infortunée Thelma Todd, le seul grand nom de chez Roach à faire une apparition notable est James Finlayson,
décidément un porte-bonheur, ou un moyen d’éviter le naufrage. Même sous-employé, il reste un plaisir à regarder dans un film bien terne, et que je vais m’empresser d’oublier, en rêvant au
suivant, le plus classique Our relations