L'un des plus
connus parmi les classiques muets de son auteur, Male and Female, connu en France sous le titre de L'admirable Crichton (Du nom de la pièce dont le film est une fidèle adaptation), représente une étape décisive dans la
carrière d'un auteur qui a, à son apogée (Vers 1918) pratiqué une mise en scène d'une grande sophistication, mais va désormais revoir ses ambitions. Ce film en porte un peu la marque, le metteur
en scène n'ayant plus rien à prouver en matière d'élégance, et sans doute a-t-il aussi trouvé, avec sa troupe (Thomas Meighan, Theodore Roberts, Gloria Swanson, Bebe Daniels...) des acteurs sur
lesquels se reposer, et un cadre théâtral bien charpenté, qui lui permet d'économiser ses moyens. Ses plans se font plus longs, et l'alternance entre l'intérieur (Bourgeois, bien sur) de la
première partie du film, et les extérieurs (Exotiques, comme il se doit) de la deuxième, lui font élargir le cadre, et on peut remarquer qu'il se concentre beaucoup moins sur le détail dans la
deuxième heure, et laisse le soin aux acteurs d'exprimer l'essentiel. Désormais sa chez lui, la composition se fera plus statique.
Parmi les constantes de l'oeuvre, nombreuses dans ce film, on notera
une de ces fameuses scènes de bain, systématiquement associé à la classe sociale de l'héroïne (Une armée de bonnes s'occupe de Swanson ici-ne serait-ce que pour la cacher à notre regard; on
retrouvera d'ailleurs une scène semblable dans la Princesse aux huitres de Lubitsch) ainsi qu'à la futilité féminine, souvent évoquée dans ses
comédies.
L'histoire du film est connue, qui procède de deux thêmes: d'une part, une étude satirique des moeurs de la Haute société, vue du point de vue d'un domestique dévoué et moraliste, qui prend une tournure inattendue lorsque ce petit monde fait naufrage et que le valet, de par ses capacités, devient littéralement le roi. D'autre part, l'émergence d'une histoire d'amour entre la maitresse et son domestique revient au thême déja exploré des rapports inter-classes, ce qui nous renvoie à The golden chance. Cet aspect du film permet la scène la plus célèbre du film lorsque Meighan et Swanson se voient transportés à l'antiquité, et que l'on assiste eberlués à des visions d'un kitsch retentissant, incluant une Gloria jetée aux lions, avec une vraie Swanson et un vrai lion(Elle en parlait encore 60 ans plus tard, avec une certaine émotion); comme de juste, cette dernière scène, qui nous rappelle les métaphores malencontreuses de Don't change your husband, est restée la plus célèbre du film, et est certainement un sommet en matière de ridicule : une vraie faute de goût, qui préfigure aussi bien les orgies déplacées de Manslaughter que l'ensemble des films antiques de l'auteur. Mais le reste, distrayant et spirituel, est un beau moment de cinéma muet, léger,avec un coté "rêve éveillé" qui en fait un lointain cousin des futurs courts de Buster Keaton, avec ce voyage dans les îles, plus burlesque que satirique, et les scènes dans laquelle les enfants de bonne famille, vêtus de peaux de bêtes, se soumettent de façon presque masochiste au bon vouloir de leur domestique apportent un coté bouffon à l'ensemble, qui contraste avec la gravité du retour final à la civilisation.
En bref, voici une oeuvre finalement assez étrange, mais attachante, qui est d'autant plus représentative de la carrière de DeMille que, outre les aspects repris de l'oeuvre
antérieure, le metteur en scène y fait allusion à son Squaw man: prenant acte du fait que leur amour est impossible, Crichton et sa maitresse se séparent:
elle va rester en Angleterre et lui va épouser la bonne, et immigrer vers les Etats-Unis, ou ils vont trouver le bonheur en achetant un ranch: DeMille cite ouvertement des plans de son premier
film (Dont il a fait un remake en 1918) dont il reprend la composition, et en reprend également le sens, terminant ainsi le film sur une comparaison entre le vieux monde et l'ancien, qui tourne
bien évidemment à l'avantage de l'Amérique, le seul pays ou Crichton peut être lui-même. Autre écho de l'oeuvre, certains thêmes de ce film seront repris dans le mineur (Mais très distrayant)
Four frightened people de 1933. Male and female est donc assez clairement une vraie synthèse de l'oeuvre de son
auteur.