Forcément détaché, à 9 années de distance, du reste de l'oeuvre, ce premier film co-réalisé par Alexandre Esway respire un peu l'amateurisme et l'enthousiasme juvénile, mais il a été réalisé dans des conditions sans doute assez difficiles, quasiment entre deux trains...
Double exilé, le Viennois Wilder, parti à, puis de Berlin, s'investit avec tendresse dans une histoire de fils à papa qui refuse de travailler comme tout le monde, et va presque par idéal devenir gangster (spécialisé dans le vol de voitures) et craquer pour les beaux yeux de Danielle Darrieux.
Le moraliste particulier qu'était Wilder, qui s'attachera aux pas de diverses personnes dotées de leur morale bien à eux (Irma, Miss Piggott, Sherlock Holmes, et on peut sans doute continuer), ne juge pas la jeunesse dépeinte dans ce film, mais s'attache à en rendre la turbulence dans de nombreuses séquences. Des restes de l'improvisation qui a régné sur le plateau des Hommes le dimanche, de Siodmak, auquel le cinéaste a collaboré, colorent ce film d'une urgence que le cinéma de Wilder ne connaitra plus des années après, lorsque le moindre plan devra être bouclé avant tournage, le moindre mot scellé dans le marbre. Ici, les aspects foutraques de certaines séquences font appel à notre indulgence, mais des résurgences de l'avant-garde anticipent sur le film noir, d'une façon inattendue: lorsque les deux héros, trahis par les autres gangsters, se trouvent poursuivis en pleine nuit par la police, l'utilisation du montage rapide, les plans de nuit, et le très beau plan de la voiture tombée dans un lac, dont les deux amants sortent pour regarder la police s'éloigner, tout ça est la preuve d'une conscience déja très forte du cinéma. Le scénario est déjà efficace par ses ellipses. J'ajouterais que il faudra pour le grand metteur en scène passer par la triple école de Mitchell Leisen, Howard Hawks et surtout Ernst Lubitsch, pour lesquels il sera un scénariste essentiel, avant de devenir l'un des plus grands, ce qu'il sera... très vite.
Mauvaise graine ne fait pas exception dans sa carrière, Il contient son lot de gags aussi: le burlesque de Wilder, souvent basé sur les situations, est à l'oeuvre dans ce premier film, d'une façon très poétique, avec des petits à-cotés, des petits moments durant lesquels au garage, par exemple l'un des gangsters se fait presque écraser par une voiture volée. A la fin, le chaiffeur fou qui manque à plusieurs reprises d'écraser son copain se fait aussi remarquer par un échange gouailleur et bouffon, finalement assez Parigot; il vient de voler un bus: "Ces messieurs sont de la police? oui, j'ai trouvé ce bus... Si je le ramène dès demain au commissariat, qu'est-ce que ça va me rapporter? - Entre deux et cinq ans!" Clouzot se laissera aller à ce type de dialogue quelques années plus tard. Sinon, il construit déja ses scénarios avec des balises, des avant-gouts, des étapes que le spectateur se doit de ramasser avant d'en recoller les morceaux à la fin: le nombre d'allusions, généralement loufoques, à la collection de cravates volées du personnage de Jean, ami du héros et frère de l'héroïne, prennent un sens plus grave lorsque les amants en fuite voient un camelot et son lot de cravates: ils se doivent de rester en France afin d'aller chercher Jean, avant de partir pour les colonies...
La gravité de la fin, relativement soudaine, détonne d'ailleurs un peu dans ce film plus insouciant que grave. Wilder apprendra avec les années à doser sa mélancolie, et la mélangera avec son humour avec des résultats fascinants dès les années 40, avec une autre cavale grave et noire, mais n'anticipons pas trop.
Enfin, il est difficile ici, dans un film réalisé avec le même esprit collaboratif que Menschen am Sonntag, en Allemagne, de rendre à César ce qui appartient à anexandre, et de ne pas attribuer à Billy ce qui appartuent à Esway, celui-ci étant après tout déjà un réalisateur confirmé en 1934, qui travaille à ce poste depuis 1929. J'ai déjà montré les liens avec l'oeuvre future de son illustre collègue, et par ailleurs, on voit au générique que le nom de Wilder (sans son prénom, à la mode de l'époque) domine en obtenant systématiquement la première place...