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12 novembre 2011 6 12 /11 /novembre /2011 10:35

Shakespeare, dans Hamlet (Acte II, sc. II)  nous gratifie d'une allusion à Hitchcock: Hamlet définit sa folie par la désorientation géographique, I am but mad north-northwest. Le barde avait nécessairement vu le film, ou alors cette introduction absurde n'est ici que pour souligner à quel point il est vain de vouloir à tout prix renvoyer à Shakespeare lorsqu'on a Hitchcock entre les mains. Et si effectivement le titre etait une allusion consciente à Hamlet, quelle importance, réellement? North by northwest est sans doute, pour reprendre la formule chère à Hitchcock, d'abord et avant tout une "tranche de gateau", un film, à consommer avec plaisir. Et peut-être un peu plus, aussi.... Un opéra de celluloid dans sa forme la plus parfaite, la plus classique.

 

The 39 steps (1935), bilan de la période Anglaise, se présentait comme un fascinant catalogue de tout ce qu'Hitchcock savait faire et souhaitait faire, un film en liberté totale dans lequel on avait le sentiment d'un accomplissment parfait: rien, absolument rien ne manquait, tout était en place, et l'excitation de voir le film est encore palpable aujourd'hui. C'est à peu près à ce type de sentiment que renvoie ce film, sorte de bilan de la période Américaine, mené tambour battant, et dont on se dit après tout qu'il ne peut rien y manquer, aucune scène coupée n'attend d'être redécouverte, bref, il est tel qu'il doit être, sorte de mètre-étalon par lequel repenser toute la gamme des films d'espionnage et d'aventures... et à la base de ce film parfaitement Hitchcockien à 100 %, il y a... le scénariste Ernest Lehmann. Celui-ci a de son propre aveu livré clés en mains à Hitch un film parfaitement Hitchcockien, dans lequel il a su insuffler le souffle nécessaire, un personnage à la Cary Grant, des allusions humoristiques à la mère abusive, des lieux emblématiques, une blonde fatale, une histoire d'amour qui se met à prendre le pas sur l'aventure, un faux coupable, une solide dose d 'absurdité, un méchant suave, façon James Mason, et des enchainements anthologiques d'évènements qui ne perdent jamais le spectateur en route, tout en rendant la navigation aussi fluide que possible... On le voit venir, ce brave Lehmann; de là à s'attribuer tout le mérite, il n'y a qu'un pas que peu de scénaristes hésitent à franchir, enflammés par le regard trop partial de la critique à l'égard du réalisateur, sorte de symbole de la politique des auteurs (Voir à ce sujet les remarques hallucinantes d'un Nunnally Johnson s'atribuant tous les mérites de quelques films de John Ford, et considérant l'apport de Ford lui-même comme nul)... Avec Hitchcock, quand bien même ce brave Ernest aurait effectivement été l'auteur des péripéties dans leur intégralité, on aurait quand même une leçon de mise en scène dans chaque plan, d'une part; et d'autre part, le grand Hitch était célèbre pour sa proension à s'accaparer le matériel, et l'infléchir dans la seule direction possible, celle dictée par la mise en scène. Inutile d'attribuer à quelqu'un d'autre la présence dans ce film d'une hallucinante scène de suspense en plein jour dans un champ, à la fois contrepied du cliché du film noir et mise en abyme exceptionnelle d'une matérialisation du vide, ou d'une allusion salace en bouquet final, ou de scènes de cinéma muet visant à nous montrer en silence, paradoxalement, des personnages qui téléphonent. C'est du Hitchock pur...

 

Hitchockienne également, cette notion de parcours qui est imposée au personnage principal, de New York, et le Plaza Hotel, à Rapid City, à coté du Mont Rushmore, en passant par Glen Cove, Long Island ou les Nations Unies, voire Grand central Station à New York, Chicago, sans oublier le train Twentieth Century Limited, cher à Hawks, ou une portion importante du film se déroule, devenant ainsi un lieu, plus qu'un moyen de locomotion. Cette géographie s'accompagne bien sur d'une grande lisibilité, chaque lieu faisant l'objet d'une exposition et d'une mention explicite dans les dialogues... Impossible de se perdre en apparence dans ce film dont la perfection narrative est légendaire. Cette perfection est pourtant batie, a priori, sur du vide... en effet, comme il se définit lui-même, le héros Roger Thornhill n'est 'rien': lorsqu'il offre du feu à Eva Marie Saint, cary grant lui explique que le O de son nom, dont les initiales (R. O. T.) figurent sur l'étui d'allumettes qu'il lui a tendu, renvoie à rien, O is for nothing. Ce n'est pourtant pas tout à fait rien puisque la vision de cet acronyme incongru renvoie lors de la fin du film à un signe, la jeune femme découvrant ce même symbole comme une preuve, en plein danger, que Roger est présent, prèt à la sauver du destin qui la menace. Néanmoins le début du film, avec ce Roger Thornhill, publicitaire, est un menteur professionnel, quelqu'un qui a bati son aisance financière sur du vide. Et bien sur, quand on le prend pour un agent secret (Ce qui est très clair et très Hitchcockein dans le film, grâce encore une fois à la lisibilité et aux enchainements des évènements), Thornhill ne sait pas que cet agent secret est encore plus vide que lui, puisqu'il n'existe pas... Donc, du vide, partout, y compris dans les convistions des méchants, dont l'appat du gain reste la principale motivation pour trahir. Mais de toutes façons, dans ce film, tout le monde ment, personne ne semble croire en rien; comme lorsque quelqu'un dit la vérité, il est ausstôt pris pour un menteur: Martin Landau, en suave secrétaire, dit à Thornhill qu'il est inutile de tenter de prouver son indentité, les papiers ne pouvant qu'être faux, ou encore Van Damm, joué par James Mason, parle des dénégations de Thornhill comme d'une performance... ce thème du jeu, de la mise en scène, est aussi cher à Hitchock, bien sur. On le retrouve tout au long du film, avec ses manipulateurs, ses objets en trompe l'oeil, et ses péripéties: le personnage de Kaplan est peut-être inventé, mais cela ne l'empêche pas d'avoir une existence suffisamment tangible, grâce à quelques trucs de mise en scène de la part de la CIA. la fausse mort de Thornhill est dûment mise en scène elle aussi lorsque c'est nécessaire, et Thorhill joue l'imbécile  afin de se tirer d'une situation embarrassante.

 

Et puis, il y a Eve. C'est bien sur son vrai nom, et derrière ce prénom symbolique se cache d'une certaine manière LA femme. Mais bien sur, l'alliage entre Eva Marie-Saint et Cary Grant nous vaut un feu d'artifice, Hitchcock ayant particulièrement apprécié de pouvoir se lancer dans ce qui est apparemment une digression une fois son personnage dans le train, mais qui est beaucoup plus une affirmation de son intérêt pour la rencontre érotique entre un homme et une femme; "Boy meets girl", donc, comme par inadvertance dans un premier temps lorsqu'ils se croisent dans un couloir du train. Puis elle l'invite à sa table, et lui fait du rentre-dedans d'une façon très directe, avant de l'inviter sans aucun scrupule dans son compartiment, ou la conversation prend dans la mesure du possible (la censure de 1959 étant quand même un brin tatillonne) un tournant apparemment plus intime. Eva Marie-Saint n'est pas aussi célébrée que peuvent l'être Ingrid Bergman et Grace Kelly, mais elle est fantastique.

 

Il est intéressant de constater que ce film qui professe donc le trou noir politique (Van Damm, de son coté, ne trahit l'Ouest que par appat du gain, et lorsqu'on lui demande ce que fait son ennemi, l'énigmatique "professeur" de la CIA joué par Leo G. Carroll suppose qu'il "vend des secrets gouvernementaux, peut-être") et l'absence d'engagement (Thornhill, exaspéré d'être pris pour un agent secret, propose à la CIA d'apprendre à "perdre quelques guerres froides"...) a débouché dans le cinéma d'aventures sur un héritage fortement paradoxal, puisque il ne faut pas chercher très loin la filiation entre ce film et la série des James Bond, dont le héros s'efforcera toujours d'être du bon coté, même s'il est évident que la encore les véritables motivations des protagonistes pèsent bien peu face au plaisir du spectateur, qui lui n'a pas besoin d'une cohérence politique. Mais aucun film de ce genre n'est jamais parvenu à la cheville de ce North by northwest dont la gestion miraculeuse du suspense, l'humour parfaitement dosé, et la thématique Hitchcockienne habituelle (fausse culpabilité en tête) se conjuguent avec le plaisir d'une interprétation absolument parfaite. Ce film peut se voir aussi souvent que vous le voulez, et je sais de quoi je parle, avec 48 visions au compteur...

 

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Published by François Massarelli - dans Alfred Hitchcock Cary Grant