Au milieu des mélodrames contemporains essentiellement urbains de Mikio Naruse (Quand une femme monte l'escalier, pour ne citer que le plus célèbre), ce film apparait de prime abord comme une halte rurale inattendue, mais on va vite se rendre à l'évidence: si le film parle effectivement de la condition paysanne, Naruse dresse un constat maussade, et parle comme à son habitude de gens arrivés à une période difficile de leur vie.
Yaé, veuve de guerre, reçoit un journaliste, Okawa, venu étudier les effets d'une réforme des héritages imposée par les Américains, et lui expose la situation familiale: elle-même est presqu'une esclave pour sa belle-mère, jusqu'à ce que son jeune fils se marie. Son frère Wakusé est quant à lui confronté à des problèmes: son grand fils Shin travaille désormais dans une banque, et souhaite s'affranchir de la tutelle paternelle, qui lui coute; Hatsu, son deuxième fils d'une deuxième épouse, a vieilli sans trouver d'épouse, et il faut le marier; enfin, Jun, le troisième fils, d'un troisième mariage, souhaite prendre son indépendance lui aussi: devant tant de manquements à la tradition, le frère de Yaé est submergé par le conflit de générations. de son coté, les rencontres de yaé avec Okawa se multiplient, et vont progressivement la pousser à s'affirmer, à tenter elle aussi de s'affranchir des traditions. Plus grave, elle tombe amoureuse de lui, alors qu'il est marié...
L'enchevêtrement de personnages, mélangés par Naruse au gré d'un chengments permanents de points de vue, ne rendent pas la navigation facile dans le film, mais l'accumulation des anecdotes et des rapports entre es gens sont une récompense pour le spectateur, qui s'atache forcément à tous ces gens, à Shin et Hamako, les deux cousins qui tombent amoureux, indifférents aux tractations de leurs parents, en coulisse; à Hatsu et Michiko, qui vont assumer tant et si bien leur mariage arrangé qu'ils vont de leur propre chef prendre les devants; à Chié, la condisciple de Yaé tellement indépendante qu'elle apprend à conduire; à Wakusé, le paysan si attaché à ses traditions qu'il ne se rend pas compte qu'il souhaite imposer à ses enfants les mêmes limites que lui imposait son propre père et dont il a tant souffert... Mais surtout il y a Yaé, personnage central, à laquelle naruse a donné les scènes les plus belles; cette rencontre sur la plage avec Okawa, durant laquelle les sentiments commencent à se révéler à travers des non-dits... puis l'adultère est montré comme un développement logique, assumé avec tristesse par l'héroïne. Le réalisateur a confié à l'actrice Chikage Awashima le rôle de ce trait d'union entre tous les êtres, qui finit par constater que tout s'est arrangé, que tous ont évolué, mais qu'elle est elle-même toujours au même point... Naruse est tellement rare, que n'importe lequel de ses films est une occasion de se réjouir de toute façon.