St Valentin, 1900: dans l'état de Victoria, les jeunes femmes très comme il faut d'une institution privée se rendent pour un pique-nique à côté d'une curiosité géologique locale, Hanging Rock: la secrétion de lave la plus haute de la région, sorte de gros rocher tout biscornu planté au beau milieu d'une jolie contrée. Toutes les filles ne sont pas parties: Sara, la petite orpheline que Mrs Appleyard (Rachel Roberts), la directrice de l'établissement a prise en grippe, est restée à l'école pour parfaire ses leçons. Sara a vu partir ses amies, dont Miranda (Anne Lambert), une jeune femme au charisme impressionnant pour laquelle elle a une affection romantique assez intense. Sur le lieu du pique-nique, tout se passe bien, malgré la chaleur, jusqu'à ce que Miranda et trois de ses camarades décident d'escalader le rocher. Elle parviennent à une certaine hauteur, se reposent, et prises d'une ivresse incompréhensible, trois d'entre elles continuent, laissant la dernière rentrer sur le lieu de pique nique. Sur le chemin du retour, elle croise Miss McCraw (Vivean Gray), le professeur de sciences qui les accompagnait, partie chercher les jeunes femmes qui manquent à l'appel... Et qui ne reviendront pas, pas plus que Miss McCraw. A part Irma (Karen Robson), une des trois filles qui sera retrouvée, amnésique, quelques jours plus tard, on ne retrouvera jamais personne. L'institution est en émoi, et plus grave encore, Mrs Appleyard semble avoir perdu l'esprit, devenant plus dure et plus sèche au fur et à mesure que les parents des unes et des autres annoncent leur décision de retirer leur enfant de l'institution...
L'énigme provient d'un roman de Joan Lindsay publié en 1967. L'auteure avait résolu l'affaire dans un chapitre final, que l'éditeur a suggéré de retirer afin de donner plus de poids au mystère... Tout comme le livre, le film fonctionne superbement de la sorte. L'essentiel n'est en effet pas l'énigme en soi, mais bien le contexte, et ce que Weir a choisi de mettre en valeur dans son film: une atmosphère incroyablement étouffante de non-dits et de chuchotements, un Victorianisme rendu plus envahissant encore par l'éloignement géographique (Aucune des filles, ni aucune des enseignantes de l'institution scolaire, ne parle avec un accent Australien). Le film, mélange de répression et de liberté, est situé en un territoire donc dans lequel les passions peuvent se déchaîner, mais on n'en saura rien... Ou plutôt si: Sara, la très créative rebelle, et Miranda ont de toute évidence une relation (Amicale ou plus, peu importe) dans laquelle Miranda domine son amie de chambrée; Mademoiselle de Poitiers (Helen Morse), enseignante de français, couve toutes les filles avec un instinct maternel touchant tandis que Mrs Appleyard, une veuve assez agée, a beau avoir dans sa chambre un tableau qui renvoie à l'imagerie mythologique de la maternité, elle se comporte en tyran, en particulier auprès de Sara dont elle ne supporte pas la moindre velléité de rébellion. On apprend incidemment que le frère de cette dernière est Bertie (John Jarratt), un personnage qui a de l'importance dans l'intrigue puisque c'est lui qui sauve Irma. Et Sara ignorera jusqu'au bout la présence proche de son frère qu'elle n'a pas vu depuis longtemps. Mais Bertie est aussi au coeur d'un développement (Du moins dans le montage sorti en 1975) qui voit comment la bonne société locale va naturellement négliger le vrai sauveteur Bertie, issu de la classe ouvrière, au profit de son compagnon Michael (Dominic Guard), un Anglais de l'aristocratie, sans que le jeune homme l'ait cherché. Il est regrettable que Weir ait choisi de se passer de certaines sous-intrigues en enlevant 10 mn de son film...
La trace Aborigène est bien sur très importante: le film ne laisse échapper aucun détail à la caméra, et est ponctué de visions d'animaux qui renvoient à la croyance des premiers Australiens (L'Eden est le monde dans lequel nous vivons, et l'harmonie est dans la terre, les animaux, la relation entre le vivant et l'inanimé: de fait tout animal, toute être vivant et tout rocher ne sont que les pièces d'un puzzle gigantesque créé par les rêves ancestraux). Cette confrontation ironique du Victorianisme et de l'univers Aborigène tourne bien sur à l'avantage de ce dernier... Les scènes sur Hanging Rock sont toujours au bord d'une interprétation surnaturelle, ce que le fameux chapitre manquant du roman tend à corroborer, du reste. Et dans l'obsession de Michael pour Miranda, obsession née de sa rencontre avec la jeune femme quelques minutes avant sa disparition, il y a de nombreuses scènes qui font mine d'indiquer que celle-ci pourrait bien s'être réincarnée... en cygne. Un aspect qui restera irrésolu, comme sa disparition.
Par ailleurs, Les scènes centrales, qui laissent en l'état la porte ouverte à bien des interprétations, sont baignées d'une sensualité naissante (L'une des premières choses que les filles font est de retirer leurs bas et leurs chaussures, et celle qui sera retrouvée aura perdu son corset...), et sont traitées par Weir comme un mythe (A dream within a dream...), avec force ralentis, et un flou narratif savamment entretenu. Miranda, avant de partir vers le rocher pour sa promenade fatale, inspire à Mademoiselle de Poitiers une comparaison d'ailleurs mal formulée, avec la Vénus de Botticelli: "I know, Miranda is a Botticelli angel". Non, elle n'est pas un ange, mais cette jeune femme qui a une beauté à tourner les têtes, et qui dans une disparition symbolique, tourne le dos à l'institution rigoriste qui l'a accueillie pour en faire une gentille victorienne écervelée, est effectivement, au moins, Vénus.
A propos de mythes, la séquence de la disparition n'est pas entièrement documentée par des images, beaucoup d'informations sont reprises de témoignages, et tous ne disent pas la même chose. Certains apparaissent même en contradiction avec ce que nous avons vu: d'où un sentiment, très fort, et qui reste au-delà de la vision du film, de mythe en mouvement perpétuel. Les flash-backs nombreux des images des trois jeunes filles disparues font dominer l'impression d'un film hanté par ces fantômes, trois jeunes femmes et une gouvernante (Qui elle aussi avait ses mystères à en croire Mrs Appleyard qui déplore sa disparition et la perte de sa "masculinité" rassurante) qui l'espace d'une sortie en pleine nature ont comme été happées par une liberté inattendue, qui est totalement incompatible avec le bon esprit Victorien de cette institution bien comme il faut. Les personnages de Peter Weir (Dead Poets Society, Witness, The Truman Show...) sont toujours attirés par une liberté qui va à l'encontre de la marche d'un monde trop ennuyeux... Peut-être que les trois femmes disparues (dans ce film que Sofia Coppola a certainement vu...) l'avaient trouvée.