Three Cedars, Arkansas 1917: Mrs Hannah Jessop (Henrietta Crosman) en veut à son fils Jimmy (Preston Foster) de passer du temps avec une fille qu'elle méprise (Son père est un alcoolique notoire). Elle le chasse, et va jusqu'à faire en sorte qu'il parte en France pour combattre afin de briser le couple. Peu de temps avant son départ pour le front, Jimmy apprend de sa petite amie (Marian Nixon) que celle-ci est enceinte. Quelques mois plus tard, la jeune femme accouche, alors que de son coté Jimmy est tué. La mère ne s'ouvrira pas pour autant, et se contente de regarder son petit-fils grandir au loin, d'un air méprisant. Dix ans après, un comité décide d'envoyer des "gold star mothers", des mères de soldats disparus au Front, en France afin de commémorer leur sacrifice. Hannah hésite à partir, puis se décide, pour un voyage qui va transformer sa vie...
Le remise en circulation de films méconnus de Ford a été l'un des évènements les plus significatifs de la décennie passée. On a fini de considérer l'oeuvre d'un des cinéastes les plus importants et reconnus comme tels uniquement sous l'angle de ses quelques classiques et films les plus vus, de cette trentaine d'oeuvre qui pour beaucoup sont majeures, mais resteaient la partie visible de l'iceberg. Certes, dans ce qu'on ne voyait pas, il y avait aussi des films embarrassants (When Willie comes marching home), des films irrémédiablement datés (Black guard, du parlant typique de 1929, statique, lent et bavard) et des films sans gran intérêt, tout court... Mais on a pu enfin mettre la main sur cette rareté, un film pourtant essentiel, qui d'une certaine façon fait le lien entre plusieurs tendances chez Ford, son gout pour la comédie Américaine et son sens du drame; son sentimentalisme et sa veine symboliste, et bien sur l'influence de Murnau transposée dans un cadre rural Américain, plus tangible et réaliste que les décors symboliques des films du maitre. Et Pilgrimage est un émouvant portrait, qui nous montre le parcours d'une femme qui a tenté de remplacer l'amour qu'elle voue à son fils disparu par de la haine et de la rancoeur, vers une nécessaire rédemption qui lui permettra de s'ouvrir enfin à l'autre, et en particulier à la petite amie de son fils, et à leur enfant naturel, qu'elle embrasse enfin avant qu'il soit trop tard dans un final tourné essentiellement en un plan. Henrietta Crosman est formidable, aidée par d'autres acteurs tous excellents. Marian Nixon aurait pu n'avoir pas grand chose à faire, mais Ford lui a assigné autant d'émotions que celles refusées par la mère: tentation, affection, souffrance, résignation... De son coté, la mère ne parviendra pas seule à sa catharsis, il lui faudra lors d'une escapade Parisienne voir un jeune couple vivre, qui lui rappellera étrangement son fils et sa petite amie...
La photographie de George Schneiderman se situe dans la droite ligne de ce qui se faisait à la Fox sous l'influence de Murnau, et l'intelligence de la reconstituion des univers en studio est remarquable. On notera la façon superbe dont Ford et Schneiderman diffusent la lumière permettant notamment dans la première séquence bucolique et pastorale d'indiquer au spectateur qu'on assiste presqu'à un rêve, à la vision idéale d'un fils par sa mère. Et bien sur ça ne durera pas. Le passage des saisons marqué par la neige, l'utilisation des éléments (La tempête lors de la naissance qui arrive en écho à la guerre qui fait rage, et qui va tuer Jimmy) sont en droite ligne de leur usage traditionnel dans le mélodrame à l'époque du muet, mais peu importe: c'est dans la ligne du style visuel et dramatique du film.
Le film est un duel à distance entre deux femmes, mais la plus forte personnalité aura finélamane l'intelligence de reconnaitre la vérité des sentiments. Film sur la rédemption, sur la part de l'individu dans l'errance collective (Ces séquences à la gravité soulignée de mères qui partent en silence pour se recueillir en groupe sur les tombes de leurs fils en Europe), Ford en a soigné la mise en scène en usant avec gourmandise de ruptures de ton, en particulier dans la deuxième partie en France, aidé par la gouaille de Lucille La verne en copine délurée de l'héroïne, qui lui rend la vie en France supportable. De la même manière, l'escapade Pariesienne de la mère commence sous le signe du renoncement (Elle se refuse à aller sur la tombe de son fils) et de la comédie (Elle aide un jeune Américain échoué à Paris, saoul à rentrer chez lui), pour aller vers une paix intérieure retrouvée, et vers un ton dramatique apaisé. Portrait de femmes, portrait de mères: comment s'étonner que ce film soit si important dans les années 30 de Ford?