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25 janvier 2011 2 25 /01 /janvier /2011 10:32


Après The Wedding March et ses déboires, et alors même que la question de la deuxième partie soit réglée, Stroheim reçoit une nouvelle proposition, qui va un temps faire croire que le réalisateur n’est pas totalement lessivé. Gloria Swanson, désormais indépendante après sa gloire à la Paramount, vient de triompher dans un film qui avait tout pour faire scandale, Sadie Thompson : une intrigue de sexe et de sueur, un prêtre tenté par la chair, un couple d’acteurs anatomiquement configurés (Swanson et le réalisateur, Raoul Walsh), et un décor d’îles moites. Sous la bannière de la United Artists, Gloria est prête à relancer la machine, et qui mieux que Erich Von Stroheim pour enchérir plus avant sur le scandale. Vrai, lorsque la UA a publié ses sorties programmées pour l’automne-hiver 1928/29, The swamp y figure en troisième position, et il est bien spécifié que Stroheim en sera le réalisateur. Celui-ci est bien sur l’auteur, et si la présence d’une star comme Swanson est une compromission, c’est pour l’instant la seule: le script, épique, est approuvé.

The Swamp, rebaptisé Queen Kelly, concerne à nouveau un petit royaume d’opérette, dans lequel la reine folle s’apprête à convoler en justes noces avec son prince favori. Celui-ci, surnommé Wild Wolfram en raison de ses multiples conquêtes et fréquentations, se sent en vérité prisonnier de cet arrangement, et lorsqu’il rencontre la jeune et jolie pensionnaire d’un couvent voisin (Patricia Kelly), il en tombe illico amoureux. Découvrant l’affaire, la reine fait chasser la jeune fille, qui tente de se suicider, mais sans succès. La reine épouse le prince, et Patricia Kelly apprend en rentrant au couvent que la vieille tante qui paye ses études depuis son enfance est mourante et s’apprête à lui léguer son affaire (Un restaurant ou une maison de danse) dans une poisseuse et lointaine colonie. Kelly s’y rend, est obligé de faire un mariage avec Tully Marshall pour affaires, devient riche et respectée, et lorsque le prince Wolfram, veuf, devient le Roi, il l’appelle à ses cotés.
Les similitudes avec The merry widow sont tellement nombreuses que ça en devient embarrassant. Stroheim a toujours dit le mal qu’il pensait de ce dernier film, mais pourquoi en calquer l’intrigue à ce point? D’autant que les commentaires de Stroheim lui-même sur Queen Kelly, a priori et a posteriori, vont tous dans le même sens: Queen Kelly allait être son chef d’œuvre…

De toutes façons, le film ne se fera pas: commencé en fanfare en novembre 1928, à l’issue d’un casting qui fut long et laborieux, le tournage s’arrête au tiers, en janvier 1929. Swanson elle-même, d’abord subjuguée par son metteur en scène, puis interloquée par sa lenteur et son perfectionnisme excessif, puis horrifiée dira-t-elle par les véritables intentions de l’auteur (Ah bon, ce n’était donc pas une école de danse ?) verra rouge lorsque Stroheim demande à Tully Marshall de lui cracher du jus de tabac dans la main. Honnêtement, peut-on la blâmer?
Un petit retour en arrière s’impose: alors que la production de Sadie Thompson s’est déroulée de façon assez traditionnelle, Queen Kelly a été produit sous la houlette d’un nouveau venu, financier de Boston décidé à faire des affaires à Hollywood, Joseph Kennedy. Devenu l’amant de Gloria Swanson (Quelle famille), Kennedy va laisser l’actrice exercer son autorité morale sur le tournage. Swanson était-elle compétente en la matière? Etait-ce une bonne idée de se lancer si tard dans un film muet ? En tout cas, un grand nombre de choses semblent lui avoir échappé, et la situation dans laquelle elle s’était fourrée avec son financier n’a pas du arranger les choses. De son coté, Stroheim a fait ce qu’on attendait de lui : des tournages longs, harassants, pénibles, pour un résultat certes visuellement magnifique, mais que la censure ne pouvait que rejeter; la scène d’ouverture, avec la Reine qui se réveille, est du pur Stroheim: des plans d’objets nous renseignent sur la vie dissolue de cette reine qui a du champagne à son chevet, des cachets, le Décameron de Boccace et bien sur des statues érotiques partout, dans son palais, mais le coup de Grâce est asséné par Stroheim lorsqu’il nous montre Seena Owen, nue, déambulant d’un pas mal assuré (Elle se lève saoule) au milieu de gardes impassibles. L’actrice a fort peu goûté les journées de tournage dans le plus simple appareil…
Lassée de toutes ces extravagances, Swanson appelle Kennedy et lui ordonne de virer le réalisateur. Kennedy profitera de la débâcle pour jouer un tour de cochon financier à sa maîtresse, mais cela sort du sujet.
Une fois Stroheim viré, Swanson restera longtemps avec le film sur les bras, allant jusqu’à sortir le prologue (Jusqu’au suicide) en y apposant une fin postérieure au licenciement de Stroheim dans laquelle le prince (Walter Byron) se fait hara-kiri devant le corps de son aimée. On ne sait toujours pas qui l’a tournée: le nom de Edmund Goulding est souvent avancé. Cette version ne sera pas montrée aux Etats-Unis, et sortir brièvement en Europe et en Amérique du Sud. Les séquences du marais, avec le fameux mariage, ont été partiellement trouvées (Deux bobines, en fait), et montrent un parallèle intéressant avec le reste du film, mais on se demande, à les visionner, comment il a pu échapper si longtemps à Gloria Swanson qu’il s’agissait d’un bordel… Comme le fait remarquer Richard Koszarki, c’est le genre de lieu dans lequel devait travailler Sadie Thompson.

Outre la parenté douteuse avec The Merry Widow, Queen Kelly souffre sans aucun doute des circonstances dans lesquelles il avait été tourné, et à n’en pas douter, Stroheim fait du Stroheim. Le résultat est selon moi impossible à juger, et si la splendeur visuelle de certaines scènes est admirable, le film en son état se traîne, ce qui n’a rien d’étonnant puisqu’il est essentiellement réduit à on prologue. Ni Swanson, ni Byron ne sont convaincants, même si Gloria reste toujours charmante. Elle est bien meilleure en jeune femme farouche qui découvre l’horreur de sa vraie situation à Poto-poto, mais il ne s’agissait peut-être pas d’une composition. Tully Marshall est fidèle à lui-même, et Seena Owen est plutôt convaincante en particulier dans la célèbre scène du fouet. L’obsession érotique est particulièrement mise en valeur par le recours aux statues et l’omniprésence des tableaux grivois dans le palais, et on déborde du réalisme soi-disant cher à Stroheim pour entrer de plain-pied dans un univers plus proche de celui de Sternberg. Et puis à quoi bon ? Le film n’est pas fini.

Reste à reprendre l’énigme: Stroheim se fichait-il du monde lorsqu’il disait que ce film serait son chef d’œuvre? Pour un menteur invétéré comme lui, pourquoi pas? Mais je crois, à la lumière de ce qui reste de son œuvre, que le metteur en scène se mettait, à chaque film, en position de tout recommencer, et chaque film à faire était le plus grand enjeu de sa carrière. Chaque film était le premier, les autres ne servant finalement que de brouillon. Chaque film prenait toute son attention, il ne voyait rien d’autre: la surveillance de plus en plus inquiète d’un Thalberg ; la situation d’un Goldwyn, qui passe d’une confortable indépendance au cadre plus rigide de la MGM; la déferlante du parlant… Tous ces évènements, Stroheim les a ignorés, préférant se concentrer sur ses films, et considérant chaque film comme le premier. A la fin des années 20, et autour de Queen Kelly, je suis persuadé que cet aveuglement finit par tourner à vide. Il lui était sans doute utile d’un certain point de vue, et cela lui a sûrement permis de survivre aux mutilations de ses films, mais cela l’a sans doute aussi constamment desservi: cet artiste exigeant a été l’artisan de sa propre chute, par son intransigeance et son incapacité à doser son génie: chaque film devant prouver l’étendue de son talent, il a tout brûlé. Le résultat est sans appel: après Queen Kelly, plus un seul nouveau film ne créditera son nom au poste de metteur en scène. Il y aura malgré tout des tentatives…

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Published by François Massarelli - dans Erich Von Stroheim Muet 1929 Gloria Swanson *