Une sacrée surprise! Ce téléfilm, écrit par l'acteur Danny Strong (Pour les connaisseurs, c'est l'ineffable Jonathan dans Buffy!) et réalisé par Jay Roach (connu surtout pour deux franchises, Austin Powers, et Meet the parents, avec de Niro et Ben Stiller....) est une fictionalisation de la fameuse élection controversée de 2000, lorsque les Etats-Unis se sont retrouvés devant une impasse, impossible à régler, entre le candidat Démocrate (Al Gore, alors vice-président) et le candidat Républicain (Alors Gouverneur du Texas, l'un des pires hommes politiques de l'histoire Américaine). Le film, produit par HBO, suit la tradition maison du thriller politique, à savoir qu'il est filmé dans une fausse urgence, avec des caméras nerveuses, au plus près des acteurs. Avant de rappeler les faits, il convient d'ajouter que l'histoire est vue aux deux tiers par le camp démocrate, et pour le tiers restant par le camp Républicain. Mais les deux camps ont bien pris le film, qui ne prend pourtant pas de gants avec les forces en présence...
Rappel des faits: Aux Etats-Unis, l'élection présidentielle est une affaire compliquée: les citoyens votent par état, et le vainqueur de chaque état emporte alors les suffrages symboliques de 538 "grands élécteurs", proportionnels au nombre de citoyens par état. Dans un petit état comme le Vermont, les grands électeurs sont en petit nombre (3); de plus grands états en dénombrent 27 (Floride), 34 (Texas) et même 55 (Californie). Il suffit donc pour un candidat de gagner à 50,5% l'élection dans un état pour raffler les suffrages de tous les grands électeurs du dit état: on comprendra pourquoi certains états sont considérés comme des états-clés. Pas la Californie, pourtant, généralement considérée comme acquise au camp Démocrate sur le plan fédéral, et oscillant d'un parti à l'autre pour les élections locales. Par contre, la Floride, qui a longtemps été Démocrate comme beaucoup d'états Sudistes, et est passée dans le camp Républicain depuis 1994, est un point chaud avec ses 27 électeurs, puisque l'état est très divisé: les classes moyennes, les Blancs et les Cubains votent traditionnellement Républicain, alors que la classe ouvrière, les Noirs votent traditionnellement démocrate, et à chauqe élection, c'est l'état dans lequel le vote est le plus serré. Mais en 2008, l'affaire a été plus loin encore: d'une part, Gore et le gouverneur du Texas ont été au coude à coude dans le reste des Etat-Unis, laissant la Floride, le dernier état à proclamer ses résultats, décider qui allait gagner l'élection.
Mais un facteur supplémentaire allait faire empirer la situation: de nombreux électeurs ont constaté que leur vote avait été mal comptabilisé. Il faut dire que le vote Américain n'est pas aussi simple que le notre, avec ses petits papiers dans de petites enveloppes: il est en fait effectué sur une carte, il faut cocher un point à coté d'un "ticket" (le couple de candidats pour président et vice président). Et cette année là, le carton était si mal fichu en Floride, que lorsqu'on cochait un ticket, on pouvait en fait voter pour un autre ticket: il a été avéré que de nombreux électeurs ont souhaité voter pour Gore, et ont en fait voté pour Pat Buchanan, un candidat indépendant, ce que celui-ci a d'ailleurs reconnu...
Pour compliquer encore les choses, de nombreux électeurs ont été refusé dans les bureaux, au motif que leurs noms étaient des homonymes de divers malfrats, que la loi de Floride déchoit de leurs droits civiques. Bien sur, ils étaient tous noirs. Voilà tout ce que le camp Démocrate, incarné entre autres par l'avocat Ron Klain, l'ancien secrétaire d'état Warren Christopher, mais aussi bien sur Al Gore lui-même, ont pu constater dans les 36 jours de batailles juridiques, de recomptage, d'appels à la cour suprême et autres moyens légaux à leur disposition. De leur côté, les Républicains, de Jeb Bush gouverneur de Floride (Et frère du candidat Républicain) à James Baker, ancien secrétaire d'état, en passant par Ben Ginsberg, avocat, et Katherine Harris, secrétaire d'état de Floride, ont également bataillé pour faire triompher leur thèse, à savoir que les Républicains avaient gagné, que toutes ces histoires de vote irrégulier et d'électeurs écarté des urnes étaient des trucs, de la poudre aux yeux.
Le film fait la part belle aux acteurs, et on retrouvera avec plaisir en particulier Kevin Spacey en Ron Klain, et Laura Dern en Katherine Harris, une femme pas du tout faite pour la politique et qui se retrouve tout à coup sur le devant de la scène, comme une diva qui aurait oublié d'apprendre à chanter... Mais surtout on applaudit à la faculté de faire un film basé sur des images vues par tous les Américains (le générique de fin se déroule sur ces authentiques images d'actualité reproduites dans le film), qui montre les rouages de la politique, on n'ose pas dire de la démocratie, et qui laisse l'impression à la fin que tous ces gens sont malgré tout humains. James Baker, à la fin, se réjouit de l'élection de son poulain, le gouverneur du Texas, en saluant la victoire du système, contre le chaos, dont il pense qu'il aurait pu résulter des manigances des Démocrates.
Mais s'il ne fait aucun doute que si les Démocrates avaient eu la main, ils n'auraient pas plus bougé le petit doigt que les Républicains ne l'ont fait pour laisser le décompte des voix se faire, il n'en reste pas moins que le film démontre que le système a certes fonctionné, mais que la victoire évidente d'Al Gore a été volée par d'autres, que des électeurs, notamment Noirs, ont été écartés de cette si parfaite démocratie, et que les décisions judiciaires de faire compter ou non le voix de nouveau étaient suspendues au pouvoir décisionnaire de Katherine Harris, Républicaine de droite, partisane acharnée du candidat qui sera élu. Bref, le système a fonctionné, mais la démocratie...
Avant de gloser pendant des heures sur les Américains et leur prétendue démocratie, maintenant, qu'on rappelle que ce film a été réalisé en toute indépendance, montré et sollicité par la presse Américaine, applaudi comme une leçon d'histoire par la droite et la gauche. le système a encore besoin d'être réformé, mais le cas fera sans doute jurisprudence. on sait du reste que depuis, les deux élections présidentielles de 2004 et 2008 se sont déroulées sans heurts, y compris en Floride. Donc on pourra toujours ironiser sur la démocratie Américaine, mais ce film paradoxal et sain me semble décidément une preuve que les Américains ont bien de l'avance sur le pays qui fut celui des droits de l'homme, mais est devenu celui de Nicolas Sarkozy, Marine Le Pen, Manuel Valls et Eric Zemmour.