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9 septembre 2012 7 09 /09 /septembre /2012 16:36

On connait l'anecdote, dont Hawks, plusieurs années après, a fait le prétexte pour réaliser ce film: en voyant High Noon (Fred Zinnemann, 1952), aussi bien Wayne que Hawks auraient été absolument scandalisés de voir Gary Cooper en shériff sacrifié par la communauté, obligé de courir d'une personne à l'autre pour qu'on l'aide à faire son travail... Quels que soient les mérites réels du film de Zinnemann, le fait est que l'idée d'aller pleurnicher pour qu'on l'aide ne fait pas très professionnel. C'est ainsi que la situation inverse se retrouve dans Rio Bravo, dont le héros John T. Chance ne manque pas une occasion de rappeler qu'il n'a pas à s'encombrer d'amateurs pour faire son travail... Mais réduire ce western à cette seule fin politique (Rio Bravo étant dans cette hypothèse la réponse de droite à un High noon de gauche) serait trop réducteur. Rio Bravo est juste l'un des meilleurs westerns qui soient, l'un des meilleurs films de Hawks, et une histoire dans laquelle on est plongé dès la première seconde, et qui ne nous lâche pas jusqu'à la fin de ses 141 minutes.

Dans une petite ville du Texas, John T. Chance intervient dans un saloon pour venir en aide à son adjoint "Dude", un alcoolique qui est la proie des moqueries d'une bande de malfrats payés par Nathan Burdette, riche éleveur sans trop de scrupules. Durant cette intervention, Joe Burdette tue un homme de sang-froid, et est arrêté par le shérif. Chance va devoir garder le bandit en prison, sans que son frère n'intervienne, jusqu'à l'arrivée du marshall. Il est donc amené à soutenir le siège contre le gang Burdette, et par la même occasion, il va devoir faire attention à son adjoint et ami qui a décidé de redevenir sobre, mais aussi à l'arrivée en ville d'une jeune femme, Feathers, dont il tombe amoureux...

La notion de professionnalisme, le plaisir qu'a un homme de faire son travail, et la représentation d'un environnement professionnel dans ses moindres détails sont au coeur de l'oeuvre de Hawks, à égalité avec la notion de groupe masculin. Il y a peu de différences entre Cary Grant dans Only angels have wings et John Wayne dans Rio Bravo: tous deux sont obligés à l'occasion de mettre leurs sentiments de coté. Mais le personnage de John T. Chance finit par être beaucoup moins froid que le patron de l'aérodrome dans le film de 1940. Il a, après tout, charge d'âmes, et en prime il a moins de monde dans sa "famille": Stumpy, un vieux râleur édenté et handicapé dont la fonction première en temps de paix est de faire la cuisine, et en temps de guerre de garder la cambuse; on aura reconnu l'acteur Walter Brennan, que Hawks adorait faire jouer sans ses dents (Voir Red River); Dude, un alcoolique qui a perdu son savoir-faire depuis trois ans à cause d'une femme, mais dont le film raconte le retour des enfers, interprété avec une sensibilité formidable par Dean Martin, qui n'a jamais été aussi bon à mon avis. Enfin, Chance a trouvé en "Colorado" (Ricky Nelson) un reflet de lui-même, un homme jeune, mais à la tête assez froide pour faire exactement ce qu'il faut au bon moment, et avec une philosophie parfaitement adéquate... Tous ces gens font leur travail, et parlent beaucoup, en réduisant le plus souvent la tension palpable (Soulignée par le regard des passants dans cette petite ville en siège) et en blaguant et se chamaillant en permanence: un atout de plus pour le film qui est constamment drôle. La cerise sur le gateau, c'est Angie Dickinson en Feathers, une femme Hawksienne...

Hawks a passé sa vie à dire qu'il n'avait aucun style, et qu'il se contentait généralement de placer la caméra là ou il était le plus logique de la placer. Grande modestie assurément pour un metteur en scène qui était en 1931 capable de se débrouiller comme un poisson dans l'eau avec un style visuel échafaudé, héritier de la façon de faire de Murnau et des autres Allemands (Scarface). Mais en 1959, il n'a rien à prouver, et ses scènes sont effectivement d'un style épuré, qui laisse la part belle à la lisibilité et au travail des acteurs. Il se paie même le luxe d'une exposition en 5 minutes totalement muettes, qui permettent pourtant d'établir l'alcoolisme de Dude, sa relation père-fils avec Chance, le danger représenté par la bande Burdette, et les deux aspects de la vie quotidienne pour les deux héros: maintenir l'ordre, et préserver les copains... Un superbe début de western, qui ne peut pas se raconter.

Quant à la fameuse réponse supposément conservatrice de Hawks à Zinnemann (qu'il n'aimait assurément pas, mais compte tenu des idées de l'un et de l'autre, on s'en doute un peu), elle est moins radicale qu'il a bien voulu le dire. Bien sur, on notera que c'est à Ward Bond qu'il revient de jouer le rôle de Pat Wheeler, l'ami de Chance qui lui suggère benoîtement de trouver de l'aide, ce qui va permettre à Wayne de dire aussi clairement que possible qu'il est un pro, et n'a pas besoin de s'encombrer de bras cassés, qu'il faudrait protéger au lieu de faire le boulot... Bond, ami de Wayne depuis l'université, ou ils ont joué au football ensemble, partageait de façon claire les idées fort droitières de Hawks et surtout de John Wayne, mais le film n'est pourtant pas le pamphlet politique qu'on attendrait... d'une part, la notion de professionnalisme de la police est beaucoup moins marquée à droite aux Etats-unis (Rappelons que la droite Américaine, à l'instigation des marchands d'arme et de la NRA, préconise purement et simplement que le citoyen se substitue à la police selon le deuxième amendement à la constitution!); d'autre part, Wayne, Martin, Brennan, Nelson et Dickinson évoluent dans un univers marqué par la fraternité et la générosité. au plus dur du combat, Chance se retrouve avec tout le monde autour de lui, dont Stumpy auquel il a demandé de rester à l'écart à cause de sa jambe, et il a même les services inattendus de l'hôtelier Carlos! Toute une famille, quoi...

Sauf que cette famille-là joue avec la dynamite.

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Published by François Massarelli - dans Howard Hawks Western John Wayne