Somme de comédie, le seizième film de Billy Wilder est un tel classique qu’il n’a pas vraiment besoin d’être défendu. En même temps qu’un film drôle et enlevé, c’est aussi une reconstitution très soignée, d’une époque saisie non seulement dans ses apparences, mais aussi dans son esprit. Si Diamond et Wilder ont, on le sait, du métier, on peut quand même s’étonner de ce que le metteur en scène ait su aussi bien capter l’esprit de l’époque de la prohibition, lui qui était en Europe à cette époque. Du reste, l’élégance et la classe de la mise en scène éclatent au grand jour dans la séquence d’ouverture, toute en mouvement, qui voit un corbillard rempli de mines interlopes, poursuivi par des policiers dont les balles de mitraillettes vont percer le cercueil qui trône au milieu du véhicule mortuaire, révélant un flot de liquide : lorsque les bandits soulèvent le couvercle du cercueil, et contemplent les dégâts sur les bouteilles d’alcool frelaté, l’air désolé. Un titre, alors, confirme ironiquement ce que nous savions déjà : Chicago, 1929. Pas un mot n’a été prononcé.
Donc, reconstitution magnifique et maniaque, bourrée d’allusions à la mode, à la culture populaire de l’époque, Some like it hot remplit sa mission jusqu’à se situer dans le monde du spectacle et sur les lieux de plaisir, de Chicago à Miami, nous montrant le jazz, la prohibition, mais aussi la civilisation des loisirs en action, à travers les séquences de plage, et les scènes situées dans l’hôtel luxueux. On peut ici rappeler l’argument du film : parce qu’ils ont assisté à un règlement de comptes sanglant, deux musiciens (Tony Curtis et Jack Lemmon) sont amenés à se déguiser en femmes pour se cacher dans un orchestre de jazz composé uniquement de femmes. Ils partent donc en train pour Miami on d’une part les gangsters (au premier rang desquels George Raft) ne manqueront pas de venir, et d’autre part l’un d’entre eux (Joe, Tony Curtis) va jouer son va-tout et se faire passer pour millionnaire afin de séduire Sugar, la très plantureuse et irrésistible chanteuse de l’orchestre interprétée par Marilyn Monroe.
La construction fait mouche, divisée en trois actes, le premier avec l’intrigue autour des gangsters, la fuite des musiciens, et les scènes limites des deux hommes arrivant dans le train rempli de jeunes femmes (Jack Lemmon, en particulier, a du mal à cacher sa joie) ; un deuxième acte met en place le stratagème de Joe et ses trucs pour attirer Sugar, au grand dam de Gerry « Daphné » (Lemmon) ; enfin un troisième acte plus nerveux précipite les choses, autour de la rencontre improbable entre les gangsters responsables du massacre (venus assister à un congrès des « amis de l’opéra Italien), et les deux témoins gênants, qui sont vite reconnus. Tous les styles de comédie sont plus ou moins explorés, et Wilder peut ainsi rendre hommage à Lubitsch, Hawks, mais aussi aux burlesques, avec un final très physique. Du reste, le style de Wilder est, n’en déplaise à sa légende et ses propres déclarations, très visuel : son utilisation du signe cinématographique est aussi virtuose que son recours à des gags dialogués : voir en particulier son plaisir à annoncer George Raft, par ses guêtres, et répéter le motif dans toutes les variations possibles, y compris dans les dialogues bien sur. Le film est donc un plaisir constant, magnifiquement capté par Charles Lang dans un noir et blanc superbe : le film reste à ce jour l’un des exemples les plus anciens du choix du noir et blanc, à une époque ou la couleur se généralise. Wilder y sera fidèle jusqu’à 1966. Sinon, outre les dialogues, remplis de bons mots et de phrases qui resteront, on retiendra l’époustouflante imitation de Cary Grant (Epoque Bringing up baby) par Tony Curtis, qui donne lieu à la phrase « Some like it hot, but I personally prefer Classical music » qui bien sur donnera son titre au film. George Raft aura droit aussi à un gag allusif, lorsqu'il reproche à un gangster de jouer avec une pièce de monnaie, le cinglant d'un "Where did you learn that cheap trick?" savoureux.
Les thèmes explorés par le film ont été déjà largement évoqués dans la filmographie de Wilder jusqu’ici : le sexe (De plus en plus présent, et sous des allusions de moins en moins codées, voir à ce sujet la fameuse scène du train, lorsque Jack Lemmon est submergé par des paires de jambes et des filles en nuisette), la dissimulation et le déguisement (Ici source de survie pour les deux musiciens, source d’amour pour Joe et d’embêtements sans fin pour Gerry), mais aussi l’obsession, incarnée par de nombreux personnages, surtout les gangsters (Spats Colombo et ses guêtres, Toothpick Charlie et ses cure-dents). Mais bien sur, comment ne pas évoquer la confusion des sexes, à travers ce très troublant voyage de deux hommes à travers leur féminité cachée, de Joe qui trouve très vite sa voix, et incarne à merveille la sophistication hautaine, à Gerry, qui se trouve si bien en femme qu’il succombe très vite à un certain nombre de réflexes : il sait trouver els mots pour reprocher ses gestes déplacés à Bienstock, le très falot assistant du chef d’orchestre Sweet Sue, il est dans un état second suite à la proposition de mariage d’Osgood Fielding III, et bien sur il s’invente d’autorité un prénom inattendu, comme s’il avait déjà prévu le cas : Daphné, au lieu de Geraldine. Si on se concentre beaucoup sur les mésaventures de Gerry, décidément coincé dans la peau de Daphné puisque contrairement à Joe, il n’a pas l’échappatoire d’être Junior, le faux milliardaire qui tourne la tête de Sugar. Joe n’est pas en reste, toutefois, qui au moment de passer la défroque de Junior, oublie facilement les boucles d’oreilles encombrantes, auxquelles il finit par s’habituer. Une seconde peau ?
L’intelligence de ce film, qui navigue entre deux eaux (le public visé est familial , mais les allusions rendent le spectacle pus chaud . remarquez, certains l’aiment précisément chaud.), ets de ne pas transformer cette histoire de confusion en un prétexte pour toute l’histoire, ce qui donne des résultats moins brillants : prenons par exemple le cas de Goodbye Charlie, de Minnelli. Mais cette comédie ratée est aussi un peu présente dans le film de Wilder : lorsque Toothpick Charlie quitte les lieux de sa trahison, il est par deux fois fait allusion au titre de la pièce de George Axelrod, publiée en 1959 : toujours cette tendance de Wilder de faire allusion à la culture de son temps, y compris lorsqu’il situe un film en 1929. Ce n’est certainement pas un hasard si le film cite par le biais de ce titre une pièce dans laquelle un acteur revient à la vie sous la forme d’une femme, désormais condamné à vivre dans la peau d’une femme…
Voilà, toutes ces raisons conduisent à l’inévitable conclusion : s’il manque parfois un peu de cœur, ce film est un spectacle, une comédie dont on ne se lasse pas, qui a bien mérité son statut de classique, et qui va asseoir une bonne fois pour toutes Wilder, qui pourra ensuite bénéficier de sa nouvelle collaboration avec Mirisch pour 7 autres films, avec lesquels il fera beaucoup de choses, pas toujours ce qu’il veut, mais au moins va-t-il pouvoir essayer. Je reprochais tout à l’heure à cette comédie parfaite de manquer un peu d’âme, ce n’est qu’une petite réserve. Du reste, le film suivant rattrapera de façon spectaculaire ce (petit) défaut.