![](https://image.over-blog.com/Se2LP_5BQvbL1LmEAKyYNs3ntF0=/filters:no_upscale()/image%2F0994617%2F20230721%2Fob_0703b7_vpwzbcv1hihys5nbp1k1nrmavew3mm-large.jpg)
Passé généralement inaperçu lors de sa sortie, et jamais montré à la télévision, ce film possède en plus le handicap d’avoir été presque désavoué par son réalisateur. A la base, un scénario de Richard La Gravenese, qui s’illustrera quelques années après par son script de The bridges of Madison County pour Clint Eastwood. C’est la première réalisation « Hollywoodienne » de Terry Gilliam, pour Tri-Star, et il a du changer sa façon de travailler après les tournages pharaoniques de Brazil et Münchausen : fini les mondes intégralement recréés en studio, « The fisher king » a été tourné dans les rues de New York, et le budget décor a été sérieusement limité ; son histoire le rattache pourtant au reste de la carrière de Terry Gilliam, y compris au premier long métrage auquel il a collaboré, Monty Python and the holy grail, de façon inattendue. Mais n’y voyons pas trop, le script ce LaGravenese aurait de toute façon incorporé ces allusions au Graal y compris si le film avait été tourné par Ron Howard ou Joel Schumacher (pour prendre deux exemples rigolos…).
Jack Lucas, sorte de Howard Stern fictif, est un animateur de radio auto-satisfait, qui jette sa bile sur les ondes, dans un talk-show dont le principe n’est pas d’apporter du sens, mais plutôt de laisser l’animateur dire des horreurs en rebondissant sur la naïveté de ses interlocuteurs: c’est donc très méchant, très populaire, et un soir, Jack répond à un auditeur d’une façon tellement noire et provocante que celui-ci va déclencher un massacre dans l’heure suivante, tuant 7 personnes. Criblé de remords, Jack abandonne son métier, sa vie, et tente de se refaire auprès d’une jeune femme, gérante de vidéo-club, mais il a du mal à ne pas sombrer dans l’alcoolisme. Un soir de beuverie, alors qu’il traine sous un pont, il est attaqué par des hommes qui souhaitent terroriser des clochards, mais il est sauvé par Parry, un SDF fantasque qui s’avère être l’époux d’une des victimes de la tuerie. L’association des deux hommes va changer leurs vies de façon durable…
Au-delà de la surprise de découvrir un film de Terry Gilliam qui se passe dans le monde réel, on est dans un univers familier: Le réalisateur donne libre cours à son génie pour les angles bizarres de caméra, les lentilles diverses et variées, et son sens de la composition est toujours aussi affirmé. Les acteurs, Robin Williams et Jeff Bridges en tête, sont des gens de confiance auxquels le metteur en scène a fait appel justement pour leur compétence, il serait illusoire de parler de direction d’acteurs avec Terry Gilliam. La palme du bizarre et du drôle revient tout de même à Amanda Plummer : elle joue une petite employée d’une maison d’édition, bardée de tics, dont le clochard Parry est amoureux. Elle est inadaptée, mal élevée, mal dégrossie, mais totalement séduisante dans son excentricité. Une scène à 4 dans un restaurant Chinois durant laquelle les deux « gens normaux » (Bridges et Mercedes Ruehl) assistent médusés à l’étrange ballet de raviolis et de nouilles absorbés salement par deux personnes totalement inadaptées et maladroites est un grand moment de n’importe quoi plutôt tendre, que Gilliam a choisi de traiter à la façon du burlesque muet, en un seul plan, et qui sent bon l'improvisation réussie.
L’essentiel de la thématique du film tient dans la générosité affichée de la rencontre entre l’univers de Jack Lucas, impatient de se reconstruire après avoir fauté en causant de fait la mort de plusieurs personnes, et celui de Parry, ancien professeur d’université qui s’est réfugié dans son nouveau monde afin de ne pas affronter son deuil: il s’est inventé un ennemi, un chevalier fantastique et rougeâtre, cracheur de feu, qui apparait à chaque sollicitation de son passé, lorsqu’on l’appelle par son vrai nom, ou s’il se rappelle sa femme. Les apparitions du chevalier, traitées au ralenti, nous rappellent le sens visuel du graphiste Gilliam. Mais elles sont utiles pour visualiser le problème de Parry, qui comme Jack a besoin de vivre en acceptant quelque chose : s’il veut se reconstruire, il va devoir regarder la vérité en face, et si Jack veut se reconstruire, il faut vraiment que pour une fois il fasse quelque chose pour quelqu’un d’autre. En allant chercher le « Graal », en fait une coupe quelconque aperçue sur une photo, et en le ramenant à Parry, Jack donne à sa destinée un sens, et il accomplit un acte totalement dénué d’égoïsme, puisqu’il sait que cet objet n’est pas le Graal. Mais il va aider Parry à renaitre, et à passer désormais une vie tournée vers l’avenir en compagnie de Lydia, sa bizarre mais attachante amoureuse. De son coté, Parry va aider Jack à regarder les autres, et va lui permettre d’affronter sa plus grande peur : admettre ses sentiments à l’égard de sa fiancée. Toute cette thématique de l’échange de bons procédés est sans doute à porter au crédit de Richard LaGravenese, mais une part de cette histoire est à rattacher entièrement à Terry Gilliam, et nous rappelle Time Bandits, Brazil, et Münchausen : La façon dont Parry affronte la réalité en passant totalement de l’autre coté du miroir, en devenant un chevalier et en redressant les torts sur les quais, nous est désormais vraiment familière…
Voilà donc un film vaguement religieux, mal fichu, mais sympathique, dans lequel un metteur en scène habitué à la toute puissance sur ses tournages va essayer de réapprendre son métier, et si ce n’est pas une totale réussite, c’est loin d'être indigne; et les séquences avec Amanda Plummer valent à elles seules le visionnage. Pour son premier film Hollywoodien, Gilliam a eu la chance de pouvoir prendre ses marques ; il fera beaucoup mieux avec son film suivant, dans lequel il saura se souvenir de certaines des expériences de The Fisher King.