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6 janvier 2025 1 06 /01 /janvier /2025 14:44

Moins connue que ses films fédérateurs tournés plus tard, cette histoire d'amour déguisée en film d'aventures exotiques est l'un des plus beaux Capra. Sorti en 1933, en pleine période dite pré-code, c'est un film qui joue constamment avec la censure, et qui affiche des possibilités surprenantes, mais c'est aussi un tour de force technique qui laisse pantois.

Dirigeant une nouvelle fois Barbara Stanwyck, qui décidément l'inspire, Capra use de tout son savoir-faire en matière de mise en scène pour recréer une Chine fantasmée, dans laquelle Megan Davis, une jeune femme Américaine vient se marier avec un missionnaire; mais juste avant le mariage, elle le suit dans une équipée improvisée qui tourne au ridicule: ils souhaitent sauver des enfants, et n'ont comme sauf-conduit qu'un papier soit-disant signé par un soldat félon, le général Yen. Celui-ci leur a en fait donné un papier sans valeur, et dans la confusion qui s'enfuit, Yen fait enlever Megan Davis, qui se retrouve donc à ses cotés, plus ou moins prisonnière, hostile vis-à-vis de Yen qu'elle prend pour un homme cruel (C'est surtout un militaire) mais irrémédiablement attirée par lui, d'abord sexuellement, puis de plus en plus clairement amoureuse.

Le film aurait pu être l'histoire d'un échange, ou pire d'une conversion de Yen, qui aurait dit adieu à ses manières barbares pour les beaux yeux de la belle Megan Davis. Pourtant, et c'est ce qui fait la force du film, si conversion il y a, ce n'est pas Yen qui la subit. Les indices ne manquent pas dans le film pour nous montrer l'étrange sympathie (pour la période) manifestée par Capra à l'égard de Yen et de ce qu'il représente. Au début, bien sûr, le Général est un homme cultivé, versé aussi bien sur la culture occidentale que sur la civilisation Chinoise, et il est d'ailleurs en uniforme, autant dire en habits occidentaux. Mais Capra s'ingénie, au fur et à mesure que les barrières qui empêchent Megan d'admettre son amour sautent les unes après les autres, à nous montrer Yen habillé de façon de plus en plus traditionnelle. Des phrases confirment, entendues dans des conversations entre Yen et Megan, ou entre le général et son conseiller financier Jones, un Américain (le savoureux Walter Connolly): Lorsque Yen affiche son ambition de conquérir la belle missionnaire, Jones lui demande s'il a réalisé qu'elle est blanche, faisant une allusion à l'interdit moral de mélange des races, vieux tabou poussiéreux si prisé dans les années 30. Ce à quoi Yen rétorque: "ce n'est pas grave, je n'ai pas de préjugés..."

Le sujet est donc bien l'hypothèse du rapprochement entre les êtres, toutes couleurs confondues, vu d'un point de vue qui n'exclut pas une reddition de la femme blanche sans condition. C'est ce qui est contenu en filigrane dans les dernières scènes du film, qui nous montrent Megan Davis qui a compris d'une part la vraie personnalité de Yen, mais aussi qu'il ne lui forcerait pas la main. Il y a des coupures manifestes, qui traduisent sans doute les soucis entre Capra et la Columbia, qui devait trouver le sujet explosif et a peut-être essayé de freiner les audaces du metteur en scène. Mais le film est déjà, à 87 minutes, rempli de beautés et de trésors tel quel. Si un jour on en sait plus sur ces petites sautes dans la continuité, on y verra peut-être plus clair. En attendant, dans le dispositif tel qu'il est, elles sont d'autant plus évidentes. la plus notable est celle qui voit Stanwyck se détacher de Yen soudainement, après que celui-ci l'ait enlacé. Il manque quelque chose, une explication, ou une réaction. Tel qu'il est dans le film, ce geste est ambigu.

Au-delà de l'érotisme (Barbara Stanwyck a non seulement une discrète scène de déshabillage, mais surtout un rêve assez drôle dans lequel elle nous expose son trouble sensuel vis-à-vis de Yen), le film est notable pour son rythme rapide et sa beauté picturale. La photo de Joseph Walker est toute en nuances de gris, et la Chine en désordre a été superbement recréée avec les moyens du bord, une profusion de détails. Au-delà d'un certain réalisme, ce film est un digne successeur des oeuvres qui étaient tournées dans un studio fermé à double tour à l'époque du muet, et le sens de la composition de Capra fait merveille, ainsi que son sens du montage, aussi bien de l'image que du son: les scènes de Capra dans les années 30 sont parmi les plus réussies techniquement, et son ingéniosité pour influer sur le rythme est légendaire. Et avec Walter Connolly, Capra montre un personnage délicieusement ambigu, un financier sans scrupule qui incarne les égarements parfois conscients d'un occident qui se sert de la Chine sans aucune humanité...

Le film, selon moi, n'a peut-être qu'un défaut: la composition de Nils Asther souffre un tant soit peu de sa voix, et de sa diction. Il est à peu près visuellement acceptable en Chinois, et son regard est utilisé avec beaucoup de talent, mais quand il parle, on décroche un peu. Et face à lui, il a Barbara Stanwyck, donc, il ne fait pas le poids... elle est parfaite, comme d'habitude!! D'une part elle s'est jetée corps et âme dans le rôle, avec la passion qu'on lui connaît, mais en plus, le film est là pour nous montrer son abandon, tous les discours de charité et de bienfaisance, de christianisme bien-pensant, sont comme un château de cartes, qui ne pourra pas tenir face à la logique assez tendre de Yen. L'actrice se sert de toute sa force de persuasion pour nous montrer une personne qui se trompe, et ce admirablement. Réussir à rendre une histoire d'amour entre un Chinois et une Américaine, dans un film des années 30, en nous prouvant que la logique Chrétienne ne vaut pas grand chose, et fédérer le public autour de ces présupposés, et après ça on va dire que Capra n'est qu'un incorrigible prêcheur? Non, et rendons-lui justice, avec ce merveilleux film.

 

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Published by François Massarelli - dans Frank Capra Pre-code Barbara Stanwyck