Merveilleux! ce court métrage souligne a posteriori le fait que durant deux films, ses derniers courts métrages coréalisés avec Eddie Cline, Keaton tatonnait. Le défaut de ces deux films erratiques et souvent très hétérogènes, le manque de cohésion, est ici passé à la trappe, au profit d'un scénario basé sur un Buster affligé de la même condition qu'ont affrontée beaucoup de ses collègues comédiens: il a faim, comme Chaplin, Langdon ou Laurel et Hardy dans de si nombreux films. La motivation est donc là dès le départ, mais c'est une fausse piste: le principal moteur de son personnage qui va bientôt se débattre avec la justice, c'est surtout d'échapper à la police... A la faveur d'une tentative désespérée d'imiter un passant qui a jeté un fer à cheval en arrière et immédiatement trouvé un portefeuille plein, Buster fait de même, et le fer atterrit, bien sur, sur la tête d'un policeman. Il n'en faut pas plus pour faire du héros un fugitif, et la tentation d'accumuler les policiers, qui ira très loin avec Cops en 1922, est déja là. Néanmoins, le film suit un cheminement autre que le simple enfilage de poursuite. Une séquence voit en effet un bandit faire une photo anthropométrique en prison, alors que Buster passe dans la rue. Par curiosité, il jette un regard discret, et le bandit se baisse à ce moment précis, puis sévade dans une scène hallucinante par son économie: le bandit passe devant une fenètre grillagée, éteint la lumière. On voit alors son ombre passer devant le jour projeté par la fenètre, puis on rallume: il n'est plus là. Un plan-séquence de quinze secondes, d'une clarté absolue, et un sacré sac d'embrouilles pour Buster, puisque c'est sa photo qui va être placardée partout...
La paranoia et la poisse, ce sont bien les deux moteurs de ce film, mais il y en a un autre, c'est le mouvement: courir pour échapper aux policiers, utiliser les voitures, trams ou trains pour se déplacer et aller toujours plus vite, et à l'intérieur des trains, courir pour échapper à se poursuivants. Les variations ici sont nombreuses, j'en retiens deux: d'une part, Buster échappe à des flics en s'accrochant à l'arrière d'une voiture en marche, ce qui a du être assez douloureux; d'autre part, dans un plan célèbre, un train, dans le lointain, s'approche de la caméra. Au fur et à mesure on commence à voir une silhouette à l'avant. Buster, impassible, est assis, et le train ne s'arrête qu'au plus près de la caméra: un plan spectaculaire, inoubliable, qui met en avant le caractère particulier, qui se joue des distances, mais aussi de la profondeur de champ, du style de Keaton, qui ne considère jamais le champ de la caméra comme une scène de théâtre, mais qui utilise toutes les ressources spatiales du cinématographe. Un génie génial, donc, dans un excellent film...