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9 août 2011 2 09 /08 /août /2011 08:36

Le plus gros succès de Chaplin est donc aussi son premier film parlant, celui dans lequel il va à l'instar de ses collègues metteurs en scène ouvrir les portes de son studio à des acteurs qui ne sont pas ses employés, mais des gens connus comme Jack Oakie, Reginald Gardiner ou Henry Daniell. Et puis il y a le facteur de la moustache... né quatre jours avant Hitler, Chaplin rappelle avec ce film que le premier moustachu, c'est lui. Enfin, il exorcise avec ce Dictateur son désir intense et constamment frustré de faire un Napoleon, sur lequel il a tant travaillé entre 1936 et 1939. Je pense que beaucoup de gens aiment particulièrement ce film, mais je n'en suis pas. Comme tous les films parlants de Chaplin, il me semble embarrassant, souvent emphatique, trop long. D'un autre côté je reste persuadé que des cinq oeuvres réalisées par Chaplin après Modern times, celui-ci reste le meilleur et de loin. Voilà, c'est posé, ça ne changera pas, mais il était important de le dire. Et puis paradoxalement, si je n'aime pas particulièrement le film, ou du moins s'il m'agace fort, c'est aussi un film important: rendez-vous compte, Chaplin se paie Hitler! ce n'est évidemment pas rien. Surtout à une époque ou Hollywood se faisait tirer l'oreille pour ne pas succomber au fascisme ambiant (Même si le dictateur préféré restait Mussolini); donc The great dictator reste plus que jamais un film nécessaire, une oeuvre mal fichue mais hautement respectable, un film dont la fin me reste en travers du gosier (et je ne suis manifestement pas le seul), mais dont on sait qu'il avait tout un tas de bonnes raisons pour la tourner telle quelle; ajoutons à ça que l'image de Chaplin en Hitler reste un grand moment de l'histoire du cinéma, tout comme ses discours hallucinants prononcés dans un Allemand de cuisine qui ne rate aucune occasion d'être drôle... tout ça pour dire que ce film est selon moi le cauchemar du critique!

Donc, le film commence avec la guerre, par des plans de bataille qui renvoient directement au burlesque de Shoulder arms, mais cette fois-ci les uniformes ne trompent pas: on est de l'autre côté, chez les Allemands, ou du moins les "Tomaniens". Le soldat interprété par Chaplin quitte le champ de bataille avec un officier, Schultz (Reginald Gardiner); leur avion est abattu, mais ils survivent, à temps pour Schultz d'apprendre la nouvelle de l'armisice. De son côté, le soldat n'a pas de chance: il est sérieusement touché, et amnésique. Lorsqu'il sort de l'hôpital pour retourner à son échoppe de barbier, 20 ans après, il n'est pas totalement guéri, mais la Tomanie est quand à elle totalement guérie de toute vélléité de liberté et de démocratie, s'étant donnée corps et âme à un dictateur moustachu... Le fait que Chaplin interprète les deux hommes ne servira qu'à la fin, c'est l'un de ces mystères de l'intrigue qu'il est très facile d'accepter. après tout, pendant environ 120 minutes, ce film reste une comédie, non? Et du reste, le jeu de Chaplin n'est pas le même suivant le personnage qu'il interprète, il est aussi impossible pour le spectateur de les confondre qu'il ne semble impossible pour les protagonistes de s'apercevoir qu'ils sont des sosies. Et bien sur, la dimension allégorique ne peut nous échapper: profondément humaniste et démocrate, Chaplin a longtemps été fasciné par Napoléon (cet enflé, avec son chapeau à la con), et il sait qu'un dictateur ce n'est finalement qu'un homme. Les deux personnages ne sont finalement que deux facettes d'un même animal. Une façon comme une autre de placer un message humaniste profond...

Comédie, disions-nous; si Chaplin qui se reposait tant sur l'improvisation à partir de la feuille blanche avant Modern Times, le recours à des dialogues passe désormais par un script. Mais le film est largement une collection de scènes, et de sketches même, qui font avancer l'intrigue par des chassé-croisés entre le palais de Adenoid Hynkel et le ghetto ou vit le barbier Juif. De fait, la collection de gags fonctionne plutôt pas mal, mais le rythme du parlant a sans doute posé des problèmes à Chaplin, qui repose beaucoup dans de nombreuses séquences sur la vitesse: beaucoup de scènes ont été tournées en muet, à moins de 24 images par secondes, et sont donc ensuite forcément accélérées, c'est très voyant. Le metteur en scène n'a donc pas totalement oblitéré ses méthodes héritées du muet. Sinon, s'il a recours à de nombreux acteurs extérieurs, c'est peut-être parce qu'il n'a justement pas pour habitude de diriger des acteurs qui parlent, il lui faut donc se reposer sur des interprètes aguerris, et de fait, il a su puiser dans le vivier de la comédie (Jack Oakie en dictateur Napaloni, Billy Gilbert en Maréchal Herring) et parmi les acteurs de second plan expérimentés (Henry Daniell en ministre Garbitsch, et Reginald Gardiner qui incarne le noble Schultz, collaborateur du régime qui s'insurge et est incarcéré.) Si Oakie et Gilbert sont excellents (Gilbert surtout, mais comment aurait-il pu ne pas l'être? il semble que Chaplin ne l'a pas vraiment dirigé, il est tel qu'en lui-même), Schultz joue un peu les militaires d'opérette, et Daniell est absolument atroce. J'ai longtemps été traumatisé par les trémolos insupportables de sa voix dans la scène ou Garbitsch suggère à Hynkel de devenir "emperor of the world"... A propos de Garbitsch, le film fait un grand usage du jeu de mots et de langage, notamment à travers certains patronymes. les plus voyants ont Herring (hareng) pour Goering, et Garbitsch (garbage, ordure) pour Goebbels; une façon pour Chaplin d'appuyer sa farce avec une forme d'humour héritée de la caricature de presse, tout en dénonçant dans l'entourage d'Hitler le vrai danger représenté pare l'idéologue Goebbels, et le côté bouffon de la vieille extrême droite militaire représentée par Goering. Plus généralement, le film tend à faire constamment le mélange entre la farce et la tendance joyeuse au gag burlesque d'un coté et le drame de l'autre des pays sous le joug. C'est un curieux mélange, et on a parfois le sentiment que Chaplin n'a pas su choisir dans son sac de gags... Beaucoup restent excellents, mais certaines scènes se trainent, et l'implication physique du gag selon Chaplin trahit ici un peu trop l'âge du comédien, qui n'est plus aussi souple... A noter aussi ici les recyclages d'idées mises de côté dans les années 20.

Bon, venons-en au sujet qui fâche, a toujours fâché, fâchera toujours. Chaplin le savait, ce qu'on ne lui pardonnait pas dans les années 30, c'était cette manie qu'il avait de commenter la crise, la politique, et (Il faut le reconnaitre) d'avoir généralement raison. Il était clairement marqué à gauche, ce qui allait le pousser dans les années 40 à soutenir activement la Russie dans sa lutte contre Hitler, et du même coup sérieusement énerver la droite Américaine. Mais tout cela c'est l'homme, le personnage public, pas le cinéaste. Ainsi, à la fin du film, l'homme Chaplin prend la place du comédien (Sachant que déja celui-ci joue deux rôles, et que le final reste basé sur le quiproquo inhérent au film, à savoir la méprise qui envoie Hynkel en camp de concentration, et le barbier Juif à la tribune) et délivre un discours sincère, senti, sans doute nécessaire au débat, oui, mais ridicule. Ca ne fonctionne pas, tant au niveau de l'intrigue, des personnages, de la situation. Mais bon: Chaplin vouilait le faire, on ne peut être qu'en accord avec ses sentiments. Ce n'était pas nécessaire, c'est redondant avec le film et ses gags et ça va lui être reproché... Ca l'est d'ailleurs encore. L'impression est que pour Chaplin ce discours final (Mis en scène avec une austérité toute Chaplinienne) justifie à lui seul le film...

Il est toujours dangereux de suivre les Américains dans leur simplification de l'histoire du cinéma, on dit des stupidités: ainsi, The Jazz singer n'est pas le premier film parlant, Steamboat Willie n'est pas le premier Mickey, Greed ne durait pas vingt-cinq heures, etc... De fait, The great dictator n'est pas le premier ou le seul film à aborder le sujet en 1940. C'est le premier à le faire sous la forme d'une superproduction comique, dans laquelle l'un des personnages principaux est un démarquage de Hitler. A ce titre, le film est gonflé, et on peut comme moi être sceptique quant au film dans son ensemble (Surtout en le comparant avec les vrais chef-d'oeuvres qui le précèdent dans la carrière de Chaplin) et considérer malgré tout qu'il était indispensable que quelqu'un se paye la fiole de cette ordure. Après, le film sorti en octobre 1940 ne pouvait pas anticiper sur toutes les découvertes ultérieures (Le camp de concentration, dans le film, fait un peu club de vacances comparé à la réalité), Chaplin a dit après coup que s'il avait su tout ce qu'il a appris sur le régime à la libération, il n'aurait jamais pu faire le film, et on le comprend. Heureusement dans ce cas, il n'est pas revenu en arrière. Mais d'autres films, sans prendre évidemment le ton de la comédie, avaient déja évoqué l'Allemagne de la Nazification, parfois avec une réussite éclatante: The mortal storm (1940), de Frank Borzage, est un exemple fameux de réussute dramatique, dont la comparaison révèle quand même une petite différence curieuse: certains des personnages y sont présentés comme 'non-Aryens', et non 'Juifs'. Ce mot faisait peur dans le Hollywood de 1940. Chaplin, lui, l'a utilisé, dans la bouche de son dictateur, et a au moins réussi à montrer que l'antisémitisme, comme tout racisme (Qu'il fut anti-noir, anti-maghrébin, anti-Auvergnat, anti-Rom...), est une pathologie de fou dangereux, qu'il est indigne de laisser un dirigeant quel qu'il soit en faire usage. Les meilleures scènes de ce film, restent donc les discours enflammés dans lesquel un homme montre que sa seule vraie motivation pour devenir le leader de toute l'humanité, c'est sa profonde haine pour les autres...

Une petite particularité de ce film, enfin, c'est que Chaplin montre dans une série de scènes un Adenoid Hynkel dépassé en matamoritude, en poids, en charisme idiot, par le dictateur Napaloni. De fait, il est aussi clair que Jack Oakie réussit, par petits moments, à voler la vedette à chaplin, qui ne lui en a jamais voulu. De fait, le fait de laisser Oakie tirer la couverture à lui, et composer une caricature hilarante de Mussolini permet à chaplin d'envoyer un message fort à Hollywood, et il lui sera amplement reproché...

Voilà, en tout cas après 1940, Chaplin a réalisé un film qui lui a permis de trouver le chemin de la parole, ce qui a du être difficile. Les équilibres fragiles du film (entre farce et tragédie, entre burlesque et actualité, entre réalisté et caricature) sont parfois mis en core plus en danger par une mise en scène qui, je me permets de le penser, n'est pas vraiment à la hauteur. sa légendaire austérité, ou son économie, sont prises en flagrant délit de trop peu dans certaines scènes, qui cadrent mal avec l'ampleur du projet. On aime les décors incroyables du palais, les scènes de grâce effrayante des ballets du dictateur, mais certaines scènes du ghetto donnent l'impression d'avoir été bâclées (Et on voit un micro dans un plan!), elles sont indignes de Chaplin. Si je voulais soutenir ce film contre tout, il me faudrait sans doute le juger uniquement sur les intentions... A ce niveau, le film est, pendant ses premières 120 minutes, quasi irréprochable.

 

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Published by François massarelli - dans Charles Chaplin Criterion