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  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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25 novembre 2017 6 25 /11 /novembre /2017 10:56

Parlons, une fois de plus, de films maudits. Terry Gilliam, une fois lancé dans le monde impitoyable du cinéma, a eu sa dose : dès l’expérience, co-réalisée avec Terry Jones, de Monty Python and the holy grail, les ennuis ont commencé : le film n’avait aucun financier et ne se serait pas fait si un panel d’amis et de rock-stars assemblées autour du fidèle Beatle George Harrison n’avait secouru la troupe de comédiens et leur film. Time bandits a eu à peu près la même histoire, avec une nouvelle fois George en super-Beatle à la rescousse, mais on monte d’un cran ensuite avec deux films produits par des studios qui font tout pour stopper, couler, et enterrer le film eux-mêmes: Brazil et Münchausen. Avec Twelve monkeys, Gilliam a expérimenté les effets désastreux de sa propre insécurité sur un tournage, et depuis, il y a eu l’échec répété de nombreux projets avortés, dont Watchmen, la réception abominable (Et partiellement justifiée) de Fear & loathing in Las Vegas, le tournage en forme de conflit perpétuel de Brothers Grimm et par-dessus le marché l’équipée calamiteuse de The man who killed Don Quixote. Donc on est face à un spécialiste du film malchanceux. Et pourtant il tourne…

Oui, mais avec The imaginarium of dr Parnassus, Gilliam ajoute un nouveau chapitre, d’une part à son œuvre, parce qu’il est un film très personnel; ensuite à l’histoire compliquée des tournages qui se passent mal, parce qu’on parle ici de la mort d’un acteur de premier plan à 60% du tournage ; enfin un nouveau chapitre de l’histoire du cinéma, parce que l’idée retenue par Gilliam pour finir son film est tout, sauf banale…

Au commencement de ce scénario co-écrit par le revenant Charles McKeown (Son collaborateur sur Brazil et Münchausen), est le rêve: il n’est plus besoin de présenter ce vecteur de l’imagination libre, qui est pour Gilliam à la fois une source et un aboutissement de son art, dans lequel la première place est toujours laissée à l’imaginaire débridé, associé à toutes les émotions humaines, et opposé en général à la petitesse et l’étroitesse d’esprit des bureaucrates, militaires, autocrates et politiciens, figures autoritaires de tout poil. Ici, Christopher Plummer interprète le Docteur Parnassus, le propriétaire d’une attraction foraine, qui fait passer les gens de l’autre coté du miroir, où ils peuvent laisser libre cours à leur imagination et se promener dans un monde qui ressemble à leurs plus beaux rêves. Mais cela va au-delà, car Parnassus doit maintenir ce développement de l'imagination de tout un chacun afin de soutenir le monde et lui permettre de continuer son existence. Il voyage dans son « imaginarium » en compagnie de trois personnes, Percy (Verne Troyer), son assistant de petite taille; Valentina (Lily Cole), sa fille de presque 16 ans, et Anton (Andrew Garfield), illusionniste-compère, clairement amoureux de Valentina. Mais on apprend très vite que Parnassus est lié à un étrange pacte avec Mr Nick (Tom Waits), une figure diabolique: afin de lui garantir l’immortalité, Nick a imposé à Parnassus un marché, qui fait que tout enfant qui viendrait au « docteur » serait automatiquement la propriété de Nick passé ses seize ans. La date butoir approche, et Parnassus renégocie son arrangement avec le Diable : il vont entrer en compétition, et tous les « clients » de l’imaginarium vont soit laisser leur âme à Parnassus, soit à Nick. Celui qui gagne 5 âmes a gagné. Sur ces entrefaites, un élément perturbateur va arriver, sous la forme de Tony, un pendu secouru par Anton et Valentina, et qui fuit manifestement quelque chose, se faisant passer pour amnésique. Il va très vite devenir un élément important de l’attraction, compliquant en tous points la donne : Valentina l’aime, Anton en est jaloux, et Parnassus découvre vite que le jeune homme cache décidément beaucoup trop de choses…

Ca a l’air compliqué, mais en fait ça l’est réellement. Mais ce scénario délirant, qui fait une fois de plus la part belle à la construction chatoyante de mondes bizarres et comiques, a du changer afin d’oblitérer la mort par surdose de Heath Ledger qui joue Tony. Les effets de cette absence sont indélébiles sur le film, d’abord parce que les acteurs convoqués pour remplir le vide ne sont pas des inconnus, et ensuite parce que le jeune acteur n’avait pas fini, y compris les scènes dans lesquelles il a effectivement tourné. Il n’a pas pu non plus se livrer à la moindre postsynchronisation, et honnêtement cela se sent. Venons-en malgré tout à cette étrange idée qui fait certainement l’essentiel de la réputation du film: lorsque Tony entre de l’autre coté du miroir, il se passe quelque chose d’étrange : il ne se ressemble plus. Il n’est pas le seul, d’ailleurs. Un jeune homme, au début, est soumis à cette étrange transformation, alors qu’il entre lui aussi de façon imprévue dans la partie « délirante » de l’imaginarium. Ce jeune homme, saoul et agressif, dont le physique se transforme, permet au moins d’établir qu’une fois de l’autre coté, certains êtres, a priori malintentionnés, vont voir leur physique s’adapter aux circonstances. Heath Ledger étant décédé avant d’aborder le tournage des scènes d’imagination, Gilliam a demandé à Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrell d’interpréter ses autres moi: chaque épisode est adapté à l’acteur... Depp, enfantin et fantasque, interprète le premier changement, celui de la découverte de l’autre coté du miroir, dont on peut dire que Tony ne s’y attendait pas, ce qui fait de lui presqu’un enfant ; Law, lui, interprète un passage dans lequel Tony passe volontairement de l’autre coté, car il est poursuivi par la mafia russe, et le passage, assez long, va imposer à Tony diverses épreuves, dans lesquelles le physique, toujours partagé entre flegme et inquiétude, de l’acteur Britannique, fait merveille. Enfin, le dernier passage qui va révéler la duplicité, la malhonnêteté, et pour tout dire le mal incarné par Tony, sied bien à Colin Farrell et sa petite tête de fouine mal embouchée. Bon, ceci dit, c’est quand même du bricolage, et ça nécessite de la part du public à la fois compréhension (Les gens sont ainsi faits) et adhésion...


Le film est, partiellement à cause de cette mort et de ses conséquences sur la production, à-demi raté ; mais franchement, si les images de l’ensemble, la réalisation des rêves et séquences oniriques, les idées qui se bousculent, réjouissent l’œil et nous rappellent au meilleur de Terry Gilliam, l’histoire est compliquée, et un peu trop personnelle, dans la mesure ou le metteur en scène, fidèle à son habitude, se fait d’abord plaisir à lui-même, avant tout. Il n’est pas trop difficile de le voir lui-même en un Parnassus soucieux d’assurer son immortalité, qui compose avec le diable à chaque fois qu’il le faut, mais perd plus que sa chemise plus d’une fois. Le Mont Parnasse, d’ailleurs évoqué dans la première séquence onirique, était dans la mythologie Grecque le siège de la poésie et de l’imagination, et il faut voir en Parnassus le créateur ultime, dont le « théâtre » donne à voir à toute personne un reflet de sa propre imagination. Tout y est, du créateur universel au rapport intime avec le cinéma. Par ailleurs, une telle histoire ne pouvait pas se finir autrement que mal, et Parnassus a un destin particulièrement méchant à son égard. Gilliam, en proie à tous les tracas du monde, s’est représenté en Parnassus, et le réalisateur a associé sa fille Amy, qui est productrice sur le film. Valentina, un autre clin d’œil? On ne peut pas lui en vouloir, et le degré d’implication personnel n’est pas un défaut, mais on a le sentiment que toute cette machine tourne un peu à vide: le film est très compliqué à suivre, jouant sur de multiples points de vue, eux-mêmes rendus tout sauf explicites lorsqu'un acteur se rend dans l'imaginarium et laisse son inconscient prendre le pouvoir. Et par la force des choses, comme Gilliam l'admettra compte tenu des circonstances particulières, ici les coutures se voient beaucoup. Fallait-il finir le film ? Oui, bien sûr. Mais il devrait être vu comme plus que ce mélange entre l’hommage envahissant à un acteur décédé (Que personnellement je n’apprécie pas outre mesure) et la complainte amusante mais maladroite d’un créateur frustré et goguenard. Une fois de plus, les circonstances ont extirpé de Terry Gilliam un rendez-vous manqué. Restent des images extraordinaires, dans lesquelles, allez, on sait qu'on ira se perdre à nos moments perdus, ne serait-ce que pour le plaisir de voir une escouade de policiers en tutus...

 

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Published by François Massarelli - dans Terry Gilliam