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6 mai 2011 5 06 /05 /mai /2011 17:37

Sorti deux mois après The cure, The immigrant est encore une fois un classique si connu aujourd'hui qu'il semble avoir été planifié avec grand soin alors que sa gestation a été des plus chaotiques. Comparer le point de départ (tel que le précieux documentaire de Kevin Brownlow et David Gill l'a établi) avec le résultat final donne le vertige: Chaplin est parti d'une scène de restaurant, l'a étendue, allongée, a tourné autour avant de trouver l'idée de génie pour se sortir d'un écueil: Chaplin et Purviance sont tous les deux pauvres, tous les deux clients d'un restaurant: comment les faire s'aborder et se parler de façon naturelle? C'est très simple: ils se sont connus ailleurs, avant: sur un bateau en provenance d'Europe. Une fois nanti de ce développement, il ne reste plus à chaplin qu'à tourner un prologue (Toute une bobine, en fait) et à retoucher ses scènes de restaurant, mais aussi à trouver un titre: The immigrant. Aucune intention préalable, donc...

 

Le film commence donc sur un bateau, par une scène en trompe l'oeil; le bateau est secoué, et une silhouette familière est penchée par dessus bord... pour pêcher. La plupart des immigrants pauvres vivent à même le pont, et les repas sont servis à heure fixe. Les allures sont diverses, du melon passe-partout de Chaplin à la toque façon Slave portée par Albert Austin, en passant par des accoutrements évocateurs de l'europe Centrale, sans grande précision, Chaplin s'intéressant juste à l'effet global rendu par sa figuration plutôt qu'à un quelqconque réalisme. Le personnage habituel du vagabond rencontre une jeune femme (Edna Purviance) et sa mère, et les tire d'un mauvais pas. Le moment de l'arrivée les voit se séparer, et ils ne se verront plus jusqu'au jour ou ils se rencontrent de nouveau dans un restaurant, alors que le vagabond a trouvé de l'argent par terre. Mais l'argent s'est perdu entre le moment d'entrer dans le restaurant et le moment de payer la note, et le garçon interprété génialement par Eric Campbell a une façon radicale de traiter avec les mauvais payeurs...

 

L'unité ainsi obtenue pour ce film est donc d'autant plus hallucinante, dans la mesure ou il s'est construit presque par hasard. mais une fois son sujet en tête, Chaplin a laissé l'inspiration faire, et il n'est pas surprenant que le film soit un tel classique. Comme toujours, Chaplin a retenu l'esprit de l'immigration plutôt que la letre, et après tout il n'a pas lui-même traversé dans les mêmes conditions que ses héros. ignorant Ellis Island, il choisit de faire en sorte de montrer le mauvais traitement des immigrants  en plus simple, à la façon d'avant 1892 (Année de l'aménagement d'Ellis Island, le principal point d'immigration sur la Côte Est): "L'arrivée dans le pays de la Liberté", nous dit un titre, avant que des officiers n'utilisent une corde pour parquer les immigrants comme du bétail... en deux ou trois plans, tout est dit, et ces images sont inoubliables. On notera une rare image lyrique, un plan très rapproché de la foule des immigrants, dans lequel Chaplin scrute l'expression des européens qui fixent la Statue de la liberté, un plan magnifique, qui trouvera mille échos au cinéma, jusque dans The Godfather part II, de Coppola... Le reste du film est moins dramatique, mais on ne perd jamais de vue la condition précaire de ces gens, pas plus que leur identité étrangère: au restaurant, l'essentiel de la conversation est effectué par des gestes...

 

C'est une merveille, un film qui coule de source, dans lequel le mélange de drame et de comédie, de faits finalement assez noirs, et de truculence parfois volontiers grossière (L'obsession pour la nausée et le mal de mer, le temps qui fait tanguer le bateau, et rouler les immigrants les uns par-dessus les autres) construisent un ensemble inoubliable d'images définitives. Le pathos fait des apparitions de plus en plus crédibles, comme l'anecdote de la mort de la mère d'Edna, mais le film reste très homogène malgré cela. Ce film a été (est encore?) projeté en boucle au Museum of the Moving Image, à Londres, comme un exemple parfait de l'art de la comédie, et de l'art de Chaplin.

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Published by François massarelli - dans Charles Chaplin Muet