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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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2 décembre 2012 7 02 /12 /décembre /2012 17:43

1943: nous assistons à tout un remue-ménage, avec des soldats Britanniques en pleine agitation, qui se dépèchent d'aller à Londres en camion et envahissent les bains publics ou se prélassent des officiers d'un autre siècle. Ils se saisissent en particulier d'un homme, le Brigadier-Général Clive Wynne-Candy, à la bedaine intraitable avec une moustache de morse, qui ne les comprend pas: bien sur, il y a des manoeuvres, et il est au courant, mais pourquoi ont-ils devancé l'appel, alors que 'la guerre commence à minuit', que les dites manoeuvres, dont le vieil ours est partiellement responsable en tant qu'instructeur du "Home guard", ne sont pas supposées avoir déja commencé? Le jeune officier responsable de la tricherie, qui a été au passage particulièrement efficace, se défend en expliquant qu'avec les méthodes des nazis, il vaut mieux couper court au fair-play militaire, et agir en un éclair... Clive Candy se souvient alors du temps durant lequel, jeune officier récemment décoré de la Victoria Cross, il avait lui aussi désobéi, afin de faire valoir des idées qu'il estimait de la toute première importance. Il se remémore son séjour à Berlin en 1902, au cours duquel il avait du se battre en duel, l'amitié avec son "ennemi", le fringant Theodor Kretschmar-Schuldorff (Anton Walbrook) mais aussi la rencontre avec celle qu'il allait chevaleresquement laisser à son ami, la belle Edith Hunter (Deborah Kerr). Il se rappelle aussi de sa maladroite naïveté en pleine fin de la première guerre mondiale (Affirmant le 10 novembre 1918 que la guerre en avait encore pour bien longtemps), de sa rencontre avec Barbara, le sosie de Edith, avec laquelle il s'était marié, puis d'autres rencontres avec Theodor, devenu un réfugié suite à l'avancée des nazis. A chaque fois, un peu plus vieux, un peu plus décalé, il se comporte un peu plus en "Colonel Blimp", l'image même de la vieille baderne colonialiste et anachronique, sans jamais n'être que ridicule. Interprété par Roger Livesey, c'est un homme terriblement attachant. Nous assistons bien à un peu de sa vie, mais de sa mort, il ne sera pas vraiment question, même si on l'imagine, à la fin du film, relativement imminente...

Film de propagande? C'était, pourtant, l'intention. Mais Michael Powell et son complice Emeric Pressburger sont comme toujours des originaux, et ont choisi de prendre jusqu'à un certain point le contrepied des petites habitudes, et font un film dans lequel l'Angleterre, la bonne vieille dame, s'en prend plein la figure. Certes, avec tendresse, mais il faut remarquer le onmbre de fois ou ce pauvre Clive Candy se trompe: a Edith Hunter, jeune femme éprise d'indépendance, qui a été chercher en allemagne ce qu'elle ne peut pas trouver en Angleterre, soit une certaine liberté (Elle souhaite travailler, et un poste de gouvernante est plus facile à trouvber dans un pays étranger), il tient un discours paternaliste qui s'ignore; à Theo, qui a plus que lui la capacité à comprendre le fond des choses en matière de changements idéologiques, il assure en 1919 que l'Allemagne vaincue se relèvera sans aucun souci de ses ruines... Clive Candy, mu en toutes circonstances par des idées d'un autre siècle, mélangées à un esprit chevaleresque et fair-play sans aucune mesure avec l'évolution du monde au cours du vingtième siècle, est donc la cible principale de ce film sur le temps qui passe. Et Roger Livesey, aidé par un beau travail de maquillage et un métier à toute épreuve, fait passer le personnage de ses 25 ans à ses 70, sans aucun problème...

Ce qui permet de suivre et d'aimer ce personnage perdu dans un siècle qu'il ne comprend pas (A un américain, coincé en plein front, il tient un discours ahurissant, disant à quel point la façon dont se déroulent les combats démontre que cette nouvelle guerre est un conflit d'amateurs par comparaison avec la guerre des Boers!), c'est le refus de tout dogmatisme dans ce qui est après tout une démonstration, du fait du temps qui passe, des esprits qui changent... Aussi décalé soit-il (En tout contexte), on aime le général Candy; ses méthodes surrannées et son conservatisme aveugle cachent aussi un coeur d'or et des valeurs humanistes réelles. C'est ça aussi la réalité de la vieille Angleterre, nous disent en substance les auteurs: non, la Grande-Bretagne ne pourra pas gagner la guerre en se comportant avec les nazis comme avec les ennemis du siècle dernier, mais ça ne remet rien en cause dans le fait qu'on l'aime, ou qu'on en adopte l'essence même d'une idéologie décente et démocratique...

Dans l'ombre du Général Candy, nous voyons en 1902, 1920 et 1943 trois femmes: Edith, qui assistera aux mésaventures des deux "frères ennemis" Theo et Clive, et aura sans doute à un moment à choisir entre les deux; Barbara, repérée le 10 novembre 1918 dans un couvent ou le général s'est réfugié pour manger, et qu'il va ensuite traquer jusqu'au Yorkshire, pour finir par se marier avec elle; enfin, Angela dite "Johnny", une jeune auxiliaire féminine que le vieux général va se choisir comme chauffeur, lorsqu'il la verra, un nouveau sosie de la belle Edith pour les vieux jours (Même si la relation restera platonique) du vieux soldat. Pour ces trois femmes, Powell a choisi la belle Deborah Kerr pour incarner un idéal féminin systématiquement en avance sur le pauvre Clive: suffragette et motivée par un idéal de libération féminine en 1902, douce et aimante, mais plus futée que son mari pour comprendre ce qui se déroule autour d'eux (Lorsque Clive fait un discours totalement décalé à sa future belle-famille, Barbara apporte avec tendresse son soutien à son mari, dont elle sait qu'il ne souhaitait pas se rendre ridicule) en 1920, et enfin toujours jeune et à la fois loyale et progressiste en 1943: Angela et d'accord sur le fond avec les jeunes soldats qui renvoient l'Angleterre de toujours au placard, mais elle garde son soutien pour le vieil homme. Cet ange gardien (Theo, lui, l'a compris quand il apprend le nom de la dernière Deborah Kerr dans le film) a peut-être été motivé dans le script par le refus de Michael Powell de "vieillir" la belle actrice (Dont il était amoureux) à la façon dont il va changer Walbrook et Livesey. Quoi qu'il en soit, sa participation est l'un des points forts de ce chef d'oeuvre...

Enfin amené à tourner un film en couleurs arès sa participation à l'épique The thief of bagdad, qui lui avait ouvert les yeux, Powell se laisse emporter: mais ces 163 minutes sont malgré tout un régal permanent, non seulement pour les yeux charmés par ce bon vieux Technicolor, mais aussi parce que la mise en scène y est fantastique, avec des idées partout, du rythme (Les premières scènes si déstabilisantes, avec cette bande-son ironique qui mélange les styles musicaux), et des moyens toujours novateurs de faire passer le temps: pour montrer les 12 ans entre le retour de Berlin de Candy et l'arrivée de la guerre mondiale, Powell nous montre une pièce (que nous avons vue) dont les murs se garnissent de têtes d'animaux que l'impétueux militaire a été massacrer dans quelque colonie afin de s'occuper. La première de sces séquences se termine par l'apparition dans cette même pièce d'un casque à pointe... C'est Jack Cardiff, qui n'était qu'assistant caméraman, qui s'est chargé de ces plans. La scène cruciale du duel, dont on assiste à tous les préparatifs, nous est cachée par la caméra qui s'en va dehors auprès des amis de Clive, afin de nous épargner justement la "scène à faire"...

Après des films de propagande superbes et toujours un peu décalés (49th parallel, One of our aircraft is missing), Blimp était un cri du coeur de la part de deux hommes qui avaient envie comme Chaplin de faire un sermon qui prêche pour une certaine idée de la vie, contre les nazis et autres barbares de tout poil, mais plutôt qu'une sèche communication orale, ils ont choisi d'en faire un extravagant film aux couleurs magnifiques, traversé par l'amour, l'amitié et la décence d'un homme. qu'importe qu'il ait eu tort sur toute la ligne... Ils ont aussi, grâce au merveilleux personnage de Theo, donner à entendre un plaidoyer pour la démocratie, prononcé en toute logique pour qui connait bien l'oeuvre de Powell, par un Allemand! Ce film inclassable qui fut invisible pendant si longtemps, insuccès oblige, avant sa redécouverte dans les années 90 (Grâce à, who else, Martin Scorsese) peut aujourd'hui être vu dans un blu-ray qui est bien l'une des sept merveilles du monde. Justice rendue à un chef d'oeuvre...

 

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Published by François Massarelli - dans Michael Powell Criterion