Nous rencontrons l'océanographe Steve Zissou (Bill Murray) à un festival Italien, ou il présente son nouveau documentaire, partie intégrante de sa série The life aquatic with Steve Zissou: il tourne autour de la mort de son partenaire et ami Esteban (Seymour Cassel), disparu suite à une rencontre avec un animal que tout le monde croyait mythique: le requin jaguar. La suite des évènements est claire: Zissou est décidé à reprendre la route, afin de trouver le requin et venger son ami. Mais d'une part, le producteur (Michael Gambon) est dans une mauvaise passe, et d'autre part, le couple Steve et Eleanor (Anjelica Huston) bat de l'aile. Mais pour corser le tout, il y a deux nouveaux arrivants sur le bateau Belafonte: une journaliste assez caustique et enceinte jusqu'aux yeux (Cate Blanchett), et un jeune homme qui se prétend le fils illégitime de Steve, Ned Plimpton (Owen Wilson)...
La crise et ses conséquences, un thème cher et récurrent chez Anderson, prennent ici les couleurs saturées et irréelles des films kitschissimes de Steve Zissou, un enthousiaste de la mer qui reconnaît lui-même bâcler ses oeuvres, cuisinées dans le laboratoire autarcique qu'est le bateau Belafonte, dont Wes Anderson fidèle à ses petites habitudes nous présente une impressionnante vue en coupe. Belafonte, chanteur de... calypso, et un bonnet rouge pour toute l'équipe: Zissou est un démarquage de Cousteau, dont l 'enthousiasme boy-scout laisse ici la place à une série de doutes, et l'impression insistante d'un beau gâchis: en dépit de l'indéfectible soutien de membres de son équipe (Willem Dafoe, formidable), du triomphe fait par le festival Italien dont Zissou est supposé être l'invité, le fait est que Zissou est en décalage constant. L'envie d'Eleanor de prendre le large après trop d'infidélités, le fait que le producteur soit marron, et l'arrivée inopinée d'un fils venu de nulle part, et d'une journaliste qui ne mâche pas ses mots, viennent s'ajouter à la mort traumatique d'Esteban.
Esteban? Steve? Ne cherchons pas plus loin: C'est de lui-même que le personnage principal doit apprendre à faire son deuil. Le film s'ouvre effectivement, via la comédie, sur la mort du double de Steve, celui des années d'insouciance, dernier vestige sans doute de la jeunesse du héros... Et bien sur, Anderson finit par montrer d'une part la mort du fils choisi, Ned, traumatisme plus vivace encore, et l'abandon de la vengeance: Zissou est un homme qui n'arrive pas à faire face à la mort, et peine à dire adieu à ce qu'il a été si longtemps, que ce soit ou non caricatural... La politesse de l'absurde, le sel de la parodie dans ce qui est sans doute le plus excentrique de tous les films d'Anderson, n'y font rien: il y est question d'une crise énorme dans la vie d'un homme. Tout renvoie à lui, y compris son ennemi, sorte de négatif parfait de Zissou: lui aussi océanographe imbu de lui-même, Hennessey (Jeff Goldblum) laisse son nom sur tous les objets qui l'entourent, mais de façon plus professionnelle. Il a lui aussi été le mari d'Eleanor, mais est forcément en proie au doute, de son propre aveu: il se présente comme "en partie gay". A la fin du film, il est sauvé par Zissou, et devient un membre de sa petite troupe, au moins symboliquement.
Zissou, donc atteint par l'age, s'interroge sur sa vraie place, sur le sens de toutes ces babioles et billevesées, de ces costumes et de ces coutumes, survivances d'années d'autarcie sur un bateau irréel, avec ses deux dauphins cameramen... il part à la recherche d'un Moby dick, cet improbable "requin jaguar" aussi irréel et bizarroïde que tous les animaux animés pour ce film (Par une équipe dirigée par Henry Selick), et se trouve en chemin, changé, plus à l'aise avec lui même après avoir affronté quelques dragons. Un héros de Wes Anderson, en somme. Restent quelques particularités à ce film, qui prend occasionnellement l'apparence d'un des documentaires mal fichus de Zissou, et tente même lors d'une tentative de sauvetage épique, de se métamorphoser en film d'action, sans qu'aucun de ses personnages ne se départisse de son absence de sentiments apparents... Sinon, bien sur, on peut essayer de résoudre deux énigmes: pourquoi Anne-Marie, la scripte de Zissou, doit-elle passer les 45 premières minutes du film topless? Et ce, en toute circonstances... Pourquoi enfin Pelé (Seu Jorge), l'un des assistants de zissou, chante-t-il en permanence du Bowie.... en Portugais? Remarquez, concernant David Bowie, c'est un exemple d'artiste polymorphe, qui a tout fait, tout vécu... et pourtant il n'est toujours pas lessivé. Comme Zissou? J'ose à peine l'écrire.