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20 février 2013 3 20 /02 /février /2013 14:01

Le meilleur film de la période MGM de Borzage est un nouveau retour, trois ans après Three comrades, sur le nazisme, au même titre que les films visionnaires qu'étaient Little man, what now? et No greater glory. C'est donc un courant profond de l'oeuvre du cinéaste, qui va ici opérer une synthèse entre ces cris d'alarme anti-fascistes, et son thème de l'amour sublime exploré dans la plupart de ses films. On peut aujourd'hui, dans un premier temps, être un peu dérouté par un film anti-nazi qui semble se situer à une distance un peu embarrassante de la vérité, dont l'intrigue se déroule par exemple dans une ville jamais nommée, dont le camp de concentration n'est semble-t-il qu'une sorte de variation musclée d'un ensemble carcéral, ou qui évite de placer dans la bouche des protagonistes le mot "juif", mais il faut se rappeler du fait qu'en 1940 (Le film est sorti en Juin, soit au moment de la reddition des Français, et donc 18 mois avant Pearl Harbor) il fallait un certain courage à un studio Américain pour s'attaquer à une dénonciation du nazisme. De plus, l'appromximation de la peinture d'un camp de concentration s'explique par le fait qu'on ne pouvait pas à cette époque savoir ce qu'on allait trouver cinq ans plus tard après l'intervention alliée.

Allemagne, 1933: on fête l'anniversaire du professeur Victor Roth (Henry Morgan). Universitaire renommé, il célèbre ses 60 ans en famille, auprès de son épouse, des deux grands fils de celle-ci issus d'un premier mariage, de leurs enfants Freya (Margaret Sullavan) et Rudi, et de deux amis proches, étudiants et soupirants de Freya, Martin Breitner (James Stewart) et Fritz Marberg (Robert Young). Tout le monde s'accorde à exprimer une affection sans bornes pour le veil enseignant, mais le repas est interrompu par une nouvelle fâcheuse: on apprend la nomination par Hindenburg du chancelier Hitler. Les avis sont partagés, et l'anniversaire gâché par les débats qui deviennent vite passionnés: d'un côté, les jeunes hommes, à l'exception de Martin, sont enthousiastes à l'idée de l'arrivée des nazis au pouvoir; de l'autre, M. et Mme Roth, leur fille Freya, et Martin sont inquiets: Martin se préoccuppe du devenir des libertés individuelles en Allemagne, et les autres font face à l'inévitable: M. Roth, comme ses enfants Rudi et Freya, est "non-Aryen"... Bien que les jeunes nazis les rassurent dans l'immédiat, les choses ne tardent pas à se précipiter, et l'Allemagne plonge dans le tourbillon totalitaire, dans lequel il faut choisir son camp; la famille sera divisée, Martin qui refuse d'adhérer au parti devient un ennemi déclaré du fascisme, et le professeur Roth ne tardera pas à être arrêté et inetrné dans un camp de concentration... Durant ces évènements, Freya et martin se rapprochent, mais combien de temps pourront-ils résister à la "tempête" du nazisme?

 

Tout réalisme absolument authentique étant finalement impossible dans les conditions de tournage (Avec l'impossibilité d'utiliser le mot "juif", par exemple, et en l'absence de documentation réelle sur certains détails de la vie contemporaine en Allemagne), Borzage et la production ont donc opté pour un style semi-allégorique, qui sied toujours aussi bien au cinéaste. Le film, pourtant, commence quasiment au moment ou se termine le très beau Three comrades, et nous livre une suite potentielle de l'hitsoire, dans laquelle le concept d'amitié indéfectible qui liait les héros du film précédent, jusqu'au-delà de la mort, est ici mis à mal: au début de The mortal storm, tous se jurent fidélité et amitié, mais certains vont mourir, et d'autres seront bannis par certains de leurs "amis". Tout en se réfugiant derrière cette tendance au symbolisme, le film nous montre de façon assez directe les mécanismes des nazis, depuis l'instauration d'un parti, jusqu'à l'exclusion physique des êtres, en passant par le choix clair d'un camp ("Tu es avec nous ou contre nous"), et bien sur les autodafés, les intimidations, la terreur et la torture. Le mal, incarné par des jeunes garçons (Robert Young, mais aussi Robert Stack et William T. Orr), s'installe d'autant plus vicieusement qu'il est accueilli à bras ouvert par beaucoup. Mais l'un des atouts majeurs de cette production qui visait assez ouvertement le public Américain est de laisser deux icones incarner les idéaux démocratiques: Freya est la seule des jeunes adultes de la famille Roth à avoir compris de quelle façon le piège totalitaire allait se refermer sur ses proches, quelle que soit leur opinion ou leur position face au nazisme, et Martin est ici de par ses propos même une personnification des idéaux démocratiques de l'Amérique, tolérante et généreuse...

 

Le film joue beaucoup sur l'indignation du spectateur, depuis le parallèle effectué entre une célébration d'anniversaire située au début qui nous fait presque croire assister à une comédie. Une porte s'ouvre, et la caméra s'engouffre avant le professeur roth dans un amphithéâtre bondé de gens qui ne sont là que pour chanter ses louanges. Le contraste est hallucinant avec une scène ultérieure, qui voit les rangs de l'amphithéâtre rempli de jeunes en uniforme nazi... Le comportement des frères et amis de Freya, qui discutent en assénant des stupidités antidémocratiques, voire sexistes, peut irriter par sa facilté, mais c'est d'une grande efficacité pour le cinéstae qui a besoin assez rapidement de montrer le sentiment d'insécurité des héros dans une Allemagne qui choisit désormais entre les êtres, et rejette ceux qu'elle n'a pas élus à coups de pierre, puis de fusil. Tout ce que Martin a envisagé deviendra vrai, hélas...

 

Du coup, en réservant à James Stewart et Margaret Sullavan le rôle des deux amoureux qui se découvrent, s'épaulent et tombent dans les bras l'un de l'autre comme on devient plus fort en résistant à la barbarie, il éclaire son motif de l'amour absolu entre deux êtres d'un jour nouveau. Bien sur, les deux jeunes vont se réfugier à lécart, comme souvent les amoureux des films du cinéastes, c'est donc dans la montagne, chez Martin et sa mère qu'ils vont trouver un équilibre; cela sera de courte durée, mais un geste important y aura lieu, qui renvoie à tant de simulacres de mariage: la mère de Martin les mariera avant de leur dire adieu, en utilisant une coupe symbolique. Une fois de plus, Borzage détourne la signification du mariage en une cérémonie privée, un choix de deux personnes devant Dieu, voire devant la notion même d'humanité menacée par tant de dangers: c'est par Freya et Martin que Borzage exprime dans ce film sa foi en l'homme, le seul échappatoire du film, devant les doutes éventuels des frères de Freya qui se sont engagés bille en tête dans le nazisme sans réfléchir que leur soeur Juive aurait à en pâtir. Plutôt qu'une réflexion sur l'imbécillité guerrière, intolérante, anti-démocratique ou totalitaire des nazis, le film se veut une réflexion qui incorpore une vraie note d'espoir, ce qui n'étiat pas facile dans la mesure ou tant de protagonistes n'iront pas jusqu'au bout... Mais Borzage croit aux miracles, il l'a déjà prouvé, et c'est à une sorte de conversion miraculeuse qu'assiste le spectateur, lorsqu'apprenant la mort de sa soeur exécutée par ses amis nazis, Otto Von Rohn (Robert Stack) se réjouit que Martin ait pu, lui, rejoindre l'Autriche, et rester libre... En dépit de toute l'indignation que ressentira le spectateur, le cinéaste affirme la prépondérance des idéaux incarnés par Martin, et c'est à un trop jeune homme tombé trop tôt dans les erreurs du nazisme, que revient le dernier mot. Que le metteur en scène ait été empêché d'utiliser des mots ou des notions trop claires, par des éléments de langages imbéciles ("Non-aryen", par exemple) importe peu, puisqu'il s'agit ici de sacraliser l'homme, le seul, pas les "races" (Qui de toute façon n'existent pas), les obédiences ou les différences. Comme le vieux Roth, professeur de physiologie qui affirme devant un parterre de nazis qu'il n'y a aucune différence entre du sang aryen et du sang non-aryen, Borzage situe son débat au sein de l'humanité, pas entre quelques factions que ce soit. En montrant les processus d'exclusion sans pour autant en désigner les victimes ("Non-Aryens" ou "pacifistes"), il ne les diminue pas, pas plus qu'il n'en minimise le danger...

 

Sorti au bon moment aux Etats-unis, à une époque durant laquelle on essayait de ménager Hitler à Hollywood, le film a du attendre avant d'être présenté au public Européen pour cause de guerre. Il est sorti en 1957 en Allemagne de l'Ouest, mais a du attendre encore plus longtemps avant de rencontrer le public Français. Peut-être a-t-on cru qu'il était obsolète en raison de son sujet... Si seulement!

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Published by François Massarelli - dans Frank Borzage