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19 décembre 2011 1 19 /12 /décembre /2011 17:28

1925, c'est vite dit... The Phantom of the opera fait partie d'une poignée de films qui découragent la critique à bien des niveaux... trois pour être précis:

D'une part, le film est placé au centre de la carrière de Lon Chaney, dont il est la vitrine la plus emblématique, et les gens qui depuis sa première sortie en 1925 le voient, l'aiment et le revoient y sont attirés par la performance extraordinaire de l'acteur, au mépris finalement de tout le reste.

Ensuite, c'est un patchwork dont l'assemblage s'est déroulé sur plusieurs années, mobilisant plusieurs équipes et plusieurs réalisateurs (principalement Julian, mais aussi Edward Sedgwick), certains d'entre eux n'étant d'ailleurs même pas identifiés...

Enfin, ce film à l'histoire déjà passablement chargée, a survécu en deux versions, toutes deux lourdement différentes: une de 1925, correspondant à ce qui est sorti sur les écrans Américains après plusieurs previews toutes plus compliquées les unes que les autres; cette version préservée sur des copies 16mm ne rend absolument pas justice à la superproduction spectaculaire que l'on attend; et une version de 1929, correspondant à la ressortie parlante du film, qui mélangeait des portions importantes de la version de 1925 à de nouvelles scènes. Mais cette version reste muette, aucune copie parlante n'en ayant été retrouvée (Sinon sous forme fragmentaire)... Conservée en 35 mm, c'est la version la plus souvent vue, qui incorpore aussi des séquences en couleurs (Une scène en Technicolor, et deux en couleurs appliquées, selon un procédé de pochoir, qui a été restauré récemment, en plus de teintes)... Les couleurs, bien que disponibles désormais uniquement sur cette version de 1929, proviennent en droite ligne de la première version du film, qui ajoutait à ces pochoirs, ces teintes et ce Technicolor le recours au Prizmacolor dans des scènes de ballet (qui ont été retrouvées, le Eye museum d'Amsterdam en ayant publié récemment la preuve).

Et au milieu de tout ça, le film reste malgré ce pedigree en forme de puzzle, l'acte de naissance véritable de l'horreur made in Universal: sans Phantom, pas de Frankenstein, pas de Dracula, pas de Mummy... il convient donc de jeter plus qu'un coup d'oeil à ce vénérable objet.

L'histoire présentée dans le film est une adaptation simplifiée du roman de Gaston Leroux, dont les romans sont toujours un dosage de gothique mesuré, de romantisme échevelé, et d'humour décalé. Ici, l'humour est présent, mais dans une veine plus slapstick (Ce qui s'explique très facilement, voir plus bas...). Le romantisme est réduit à une portion congrue, l'habitude des scénaristes vis-à-vis de Lon Chaney était d'en faire un amoureux déçu, voire trahi; le fantôme de Leroux était, lui, aimé; Chaney ne sera que repoussant. Donc en matière de romantisme, on n'a droit qu'aux amoureux transis interprétés par Norman Kerry et Mary Philbin. Par contre, le studio s'en est donné à coeur joie au rayon gothique...

A l'opéra de Paris, un mystérieux personnage agit en coulisses qui se fait lui-même appeler "Le fantôme" et sème la terreur. Il entend imposer à la direction une jeune chanteuse, Christine Daaé, ce qui n'est pas du gout de la direction, et encore moins de la prima donna, Melle Carlotta... Mais "Erik" le fantôme met ses menaces à exécution, et ruine une représentation, avant d'enlever Christine dont il est amoureux. bien vite, il lui impose une retraite à son seul profit, et elle doit dire adieu à son soupirant, le vicomte Raoul de Chagny: celui-ci ne l'entend pas de cette oreille, et avec le concours d'un mystérieux personnage, Ledoux, il se met en quête de retrouver le fantôme et sa bonne amie...

Contrairement à d'autres adaptations, celle de Brian de Palma en particulier, le parallèle entre Faust (manifestement, le seul opéra jamais joué à Paris...) et ce fantôme de l'opéra n'est jamais exploité. L'opéra n'est finalement qu'un décor, permettant de superbes variations de décor, de composition et d'éclairage... Par moment on a le souffle coupé devant l'invention visuelle du film (A plus forte raison lorsqu'on le voit enfin en HD après tant de copies répugnantes)... au point d'avoir envie d'en créditer l'auteur, ce brave Rupert Julian. Mais chacun sait que c'est compliqué, d'une part parce que le metteur en scène autocratique (Il était tous les clichés possibles et imaginables du personnage, avec sa moustache, un humour absent, un plaisir fou à terroriser les acteurs les plus timides, comme cette pauvre Mary Philbin, et un manque de talent souvent mentionné) n'a été que le metteur en scène de la toute première version de ce film, mais aussi parce que le film est surtout une production dans laquelle Lon Chaney, de notoriété publique a été un lien entre les techniciens, et ne l'oublions pas le véritable ciment du projet. Le film ne se serait pas fait si le grand acteur n'avait pas été là pour créer ce maquillage exceptionnel. Il y a des spéculations sur le rôle de l'acteur qui aurait éventuellement pu "diriger" une partie de ce film. On sait par ailleurs que B. Reeves Eason, Edward Sedgwick et d'autres (pas toujours crédités) ont dirigé des retakes de ce film, retakes qui sont plus des séquences complètes qu'autre chose. Sedgwick (Assistant de Chaplin, puis de Keaton) aurait été responsable de nombreuses séquences burlesques dont peu restent dans le film, mais aussi de la fin sur-vitaminée telle qu'on la voit actuellement. De nombreuses scènes avec Chaney auraient été tournées en l'absence de ce brave Julian. Quant à la copie de 1929, elle comporte aussi des scènes retournées en l'absence de Chaney et de Julian... donc la notion d'auteur est ici impossible à attribuer, comme pour le Ben-Hur tourné la même année. Si le film est une fête visuelle (Les scènes de souterrain, les jeux de lumières, les ombres gigantesques...) il le doit sans doute d'abord à des chef-opérateurs qui avaient carte blanche: ils étaient trois sur la production, Milton Bridenbecker, Virgil Miller et Charles Van Enger. Remarquez, une bonne part de ces moments importants, notamment ceux montrant Chaney, ont été tournés à l'époque où Julian était encore le capitaine...

Enfin, le film tient la route surtout grâce à Lon Chaney, il est l'un de ses rôles les plus emblématiques, mais aussi les plus paradoxaux: en effet, les premières trente minutes sont une succession de petites apparitions de l'ombre de l'acteur, de sa silhouette, de ses mains, avant qu'on le voie enfin, dans toute sa splendeur... derrière un masque. Dans un réflexe publicitaire, l'acteur a délayé au maximum l'apparition de son maquillage le plus élaboré, d'autant qu'il était réputé si douloureux qu'il ne fallait pas en abuser. Mais l'effet est d'aboutir à une scène située d'ailleurs en plein milieu, durant laquelle lentement, une jeune femme effarouchée n'en revenant pas de sa propre audace lui arrachait son masque, et... le regrettait aussitôt. Regardez le film...

Bien que pas forcément extraordinaire, voire parfois médiocre dans son interprétation, ce film est l'un des plus célèbres films muets Américains, l'un des plus répandus aussi. C'est que la somme de ses qualités est finalement plus importante que ses défauts. Et puis le choix de se reposer, même partiellement, sur l'esprit feuilletoniste de Leroux, a porté ses fruits: le mystère passe, s'installe et demeure grâce à de merveilleuses scènes de pièges, de relents de tortures, de catacombes, de jeunes petits rats qui se font peur en faisant des pirouettes... tout cela a un goût de plaisirs coupables, qui sont la base d'un genre, dont tant de films importants sont ensuite sortis...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Lon Chaney 1925 Rupert Julian Technicolor