Sous le retour à une narration stimulante après l'intermède musical, sous l'élégance d'une production réalisée directement au Vietnam, avant que celui-ci ne redevienne la poudrière que l'on sait, se cache un film qui est à la fois une adaptation ratée et une catastrophe personnelle: cet échec aura en effet raison de Figaro Inc, et donc de l'indépendance de Mankiewicz... Graham Greene et Mankiewicz, on aurait difficilement un alliage plus noir, et le film a été tourné par Mankiewicz dans un noir et blanc goudronneux à souhait, avec une cinématographie de Robert Krasker. Le réalisateur a détesté travailler en cinémascope sur son projet précédent, et le format de ce film, un 1.66:1 plus traditionnel, lui donne une allure plus immédiate. De fait, l'utilisation des décors et paysages Vietnamiens fonctionnent également dans ce sens.
Saïgon, 1952. L'histoire concerne la mort d'un homme Américain (Audie Murphy), dont le cadavre est découvert dans une rivière; la police enquête, et prévient un journaliste Anglais, Fowler (Michael Redgrave), connu pour avoir été son ami. Celui-ci se souvient alors de ce jeune idéaliste venu pour travailler à trouver une voie médiane entre les communistes et les forces coloniales, qui lui a piqué sa petite amie locale, Phuong... Très vite, il a entendu les rumeurs qui faisaient de son "Américain bien tranquille" un dangereux terroriste, et poussé par la jalousie, il l'a livré aux Communistes. A la fin, convaincu de l'innocence de l'homme qu'il a vendu, il souhaite récupérer sa petite amie, mais celle-ci ne l'entend pas de cette oreille...
La trahison de l'adaptation tourne autour de deux aspects principalement. Il est clairement dit dans le film que l'Américain (Pyle, dans le roman, mais Audie Murphy ne sera affublé d'aucun nom dans le film, il reste "the American".) est innocent des accusations de terrorisme, alors que ce ne serait pas explicite dans le roman; de plus, le livre reste un pamphlet contre la guerre et les implications politiques pro-coloniales; ceci inclut les Américains, qui commencent à cette époque à fourrer leur nez un peu partout en Indochine; Audie Murphy, de son côté, joue un personnage angélique, face à un comportement colonial (les Français, et leurs alliés objectifs les Anglais, dont Michael Redgrave représente symboliquement la nation) et des Communistes retors qui manipulent avec aisance le journaliste... Le film reste intéressant malgré tout par son recours à la narration d'un seul personnage, le journaliste, qui récapitule les rapports difficiles qu'il entretient avec le jeune Américain, dont le portrait en creux réserve même une fois mort quelques surprises: on notera en particulier le moment ou le policier Vigot (Claude Dauphin) fait entendre une bande enregistrée peu avant sa mort par le jeune homme, en compagnie de Phuong: contrairement à Fowler qui considérait Phuong comme sa chose, et se comportait parfois comme avec une esclave, l'Américain lui apprenait l'Anglais, avec douceur, en la considérant comme une égale. Le message politique est on ne peut plus clair...
Le doute religieux cher à Greene, qui nous conte l'histoire d'un Judas par bien des cotés, est présent dans le personnage de Fowler qui n'a aucune affiliation religieuse, contrairement à son épouse restée au pays (Et qui ne veut pas divorcer); si l'Anglais la présente comme épiscopalienne, le catholicisme, avec lequel Greene entretiendra toute sa vie des rapports ô combien conflictuels, n'est pas très loin... Miachel Redgrave est excellent, comme Claude Dauphin. Par contre, la Vietnamienne Phuong est interprétée par une jeune découverte, l'Italienne Georgia Moll, qui est tellement nulle qu'on se croirait revenus à la Fox au bon vieux temps des "fiancées" de Zanuck. Quant à Audie Murphy, sa caractérisation vide lui a apporté des critiques négatives, certes, mais dans la mesure ou il est plus le sujet de l'intrigue et de lanarration, et qu'il se dérobe constamment à l'interprétation du narrateur, c'est adéquat... Même si c'est semble-t-il involontaire.
Voilà, ce film pas vraiment réussi n'est en aucun cas un préambbule fascinant pour l'histoire délirante des rapports entre le cinéma Américain et le Vietnam. On n'en est pas encore là; mais son échec a probablement couté cher à Mankiewicz, qui détestait d'ailleurs le film, estimant qu'il reflétait surtout son incapacité à surmonter ses problèmes personnels au moent ou il le tournait. Certes, il n'est pas un chef d'oeuvre, mais c'est beaucoup plus qu'une curiosité, quand même...