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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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3 mars 2011 4 03 /03 /mars /2011 08:21

Voilà un film qui a tout pour être une curiosité, et qui en fait est bien plus que cela: pendant presque une demi-heure, sur les 65 minutes que dure le film, on assiste à un spectacle qui est proche du policier, un pré-film noir stylisé, et mené, on s'en doute, avec maestria. Puis le film bascule dans une nouvelle dimension, devient, conformément à son titre, un film fantastique, le troisième et dernier réalisé par Curtiz pour la Warner. Comme les deux précédents, Doctor X et The mystery of the wax museum, le fantastique apparait plus dans l'atmosphère que dans quoi que ce soit d'autre: le "mort qui marche" du titre est en fait un condamné à mort ressuscité par la science. Comme toujours, que ce soit dans le fantastique ou la comédie musicale, il est nécessaire à Curtiz d'ancrer son baroque dans la réalité, sinon il ne peut plus avancer...

Un procès tourne au désavantage de l'accusé, pourtant le juge Shaw sait ce qu'il risque: face à lui, il a Nolan (Ricardo Cortez), un avocat dont le système mafieux en fait trembler plus d'un... une fois le verdict prononcé, le juge a de fait prononcé son arrêt de mort; seulement il faut faire attention, et Nolan a justement un plan: un pianiste, John Ellman (Boris Karloff), condamné par Shaw, vient de sortir de prison. On va lui mettre le meurtre de Shaw sur le dos. Le plan se passe à merveille, sauf pour un couple de scientifiques qui passait par là, et qui a vu les gangsters mettre le cadavre du juge dans la voiture d'Ellman. Menacés, ils ont résolu de ne rien dire... Ellman "défendu" par Nolan va être condamné à mort, et il a beau clamer son innocence, rien n'y fait. Le jour de l'exécution, les deux jeunes scientifiques (Marguerite Chrurchill, Warren Hull), pris de remords, se confient à leur patron, le docteur Beaumont (Edmund Gwenn), un génie qui travaille sur le maintien en vie de cellules et d'organes, et ils contactent tous les trois la personne qu'ils pensent devoir contacter pour faire libérer Ellman, Nolan, qui fait trainer les choses. Ellman est exécuté, Beaumont se résout à tenter l'expérience de le ranimer...

Ce mélange des genres, et le coté gothique du film dont la plupart des scènes se situent de nuit, le coté inéluctable de la vengeance, et les images de la lente mais sûre progression de Boris Karloff, silhouette penchée et impassible, on ne compte pas les motifs qui ont du décider Curtiz à faire ce film, et à le signer de la première à  la dernière minute... Les scènes conscrés aux opérations scientifiques, toutes de poudre aux yeux, montrent bien quel parti un grand metteur en scène peut tirer d'un laboratoire encombré, et d'une tension dramatique poussée à son comble. Curtiz a déjà fait le coup dans Doctor X, ici, il y va plus doucement, aidé en cela par l'austérité du noir et blanc ... N'empêche, même improbable, avec ses trois scientifiques si pratiques pour mettre l'histoire en route, le film ne semble rien avoir de trop, et en dépit de sa brièveté, on ne peut pas imaginer d'autre développement au film, comme ses deux prédecesseurs. Les thèmes chers à l'auteur sont bien là, depuis le destin tragique de John Ellman, à la présence d'une organisation tentaculaire de manipulation des âmes, autour de Nolan, un démiurge plus qu'un gangster. Beaumont, de son côté, n'est pas ennemi de la manipulation, comme lorsqu'il met en scène un concert du pianiste ressuscité John Ellman, afin de confondre les membres de l'organisation de Nolan, qu'il a invités. Comme dans ses futurs films noirs, la duplicité des êtres, notamment Nolan, y explose au grand jour...

Quant à Ellman, Curtiz lui a réservé un traitement particulier. L'homme, qui accepte sa mort à venir lorsqu'il a compris que le recours ne viendrait pas, a une dernière volonté: il souhaite de la musique lors de sa marche à la mort... Plus tard, après son réveil, c'est au piano qu'il va révéler qu'il n'est pas qu'un corps réveillé, que son âme est toujours là, et que c'est bien lui John Ellman: sa musique devient un symbole de la vie. Mais en présence des bandits, il se dédouble, l'enveloppe corporelle d'une part, celle de John Ellman, et un ange exterminateur d'autre part...Les indices abondent dans ce sens, de la scène du concert, durant laquelle pendant qu'Ellman joue, son visage qui fixe ses meurtriers s'éclaire d'une étrange lueur, et le regard effrayant, accentué par la paupière paralysée de l'oeil droit, leur envoie un message d'une aveuglante clarté; la musique redevient, comme au moment de l'exécution, l'annonce de la mort. Durant les scènes ou Ellman se rend chez les bandits afin de les tuer les uns après les autres (Sans jamais les toucher), Curtiz convoque toute sa virtuosité, et toute sa panoplie, afin de séparer Ellman de son corps: recours aux ombres, forcément, utilisation de miroirs dans le champ, noirceur de la nuit... la scène du premier meurtre se conclut sur une scène impossible, avec l'ombre de Karloff, qui seule, descend un escalier...

On était prévenu, par une courte scène, en apparence anodine. Curtiz, qui a déja filmé à sa façon les préludes d'une exécution, et le refera pour Angels with dirty faces, a une fois de plus ici joué avec la représentation de l'indicible, en nous montrant de façon solenelle l'approche de la mort, cadrant d'abord l'ombre d'Ellman dans sa cellule avant de nous montrer son corps, mettant en scène par l'arrivée du musicien (un violoncelliste) le retard pris par l'exécution, lentement laissant les officiels, prêtres, gardiens, etc, s'approcher de leur pas lourds, puis au moment opportun, le professeur Beaumont et le procureur appelle; c'est un garde qui prend l'appel, et à ce moment, la lumière change, indiquant que l'homme est déja soumis à ses décharges électriques. Toute cette mise en scène devrait nous conter la mort d'un homme, mais Curtiz en raconte en fait la transformation, la séparation... Une scène de plus pour montrer où penche le coeur de l'eternel romantique Curtiz, fasciné par cette ulime confrontation à l'humain qu'est l'exécution d'un condamné, qu'il n'approuve pas, mais qui l'inspire artistiquement.

Lorsque Ellman, qui a vu la mort, et n'en a plus peur, retourne là d'où il vient, le professeur Beaumont prononce quelques fadaises sur Dieu, la mort, les mystères... Qu'importe: On sait où Ellman a été, on sait où il veut retourner. Du reste, sa mission est accomplie. Aucun ridicule dans ce film. pas plus que de scène en trop, l'interprétation au premier degré rend justice à ce qui n'aurait été qu'un honnête petit thriller fantastique, si le talent, le génie même de Curtiz n'en avait pas fait un chef d'oeuvre, baroque certes, mais définitif. Curtiz ne reviendra jamais au fantastique après ce film...

 

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Published by François Massarelli - dans Michael Curtiz