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3 avril 2011 7 03 /04 /avril /2011 08:05

Cinéaste, mais aussi chef-opérateur, Roeg a un oeil, un sens de la composition et un talent plastique qui trouvent dans ce premier long métrage toute la latitude pour s'exprimer. Walkabout devient ainsi l'un des films qui s'inscrivent le plus durablement dans les mémoires de ceux qui l'ont vu... Il présente aussi deux thèmes, au moins, qui le rendent tout aussi inoubliable, en racontant cette histoire de deux jeunes Anglais, une adolescente et son petit frère, coincés en plein désert Australien et pris en charge par un jeune Aborigène en plein rite de passage, le "walkabout": il doit survivre seul dans la nature afin de devenir un homme. Le film est bien sur l'histoire d'une confrontation entre deux civilisations, qui vire au drame, mais aussi celui d'un rendez-vous manqué, plus intime...

Quand leur père les amène à un pique-nique, les deux jeunes ne peuvent pas savoir qu'il va essayer de les tuer, puis mettre le feu à sa voiture et se tirer une balle dans la tête... Mais la jeune fille (Jenny Agutter) a la présence d'esprit de s'éloigner avec son jeune frère (Lucien John) sans perdre de temps, sans lui expliquer ce qui vient de se passer. leur survie serait vite compromise sans leur rencontre avec un Aborigène de 16 ans (David Gumpilil), qui les sauve en leur procurant de l'eau, puis les emmène avec lui. La jeune fille ne parle pas sa langue, pas plus que lui ne parle l'Anglais, mais il parviennent plus ou moins à se comprendre durant leur périple. La complicité naît très vite entre les deux garçons, mais c'est plus difficile avec la fille, et lorsque le jeune homme se lance dans une danse rituelle afin de la séduire, elle le rejette sans ambiguïté. 

Le début est énigmatique, mais cela n'a aucune importance: toute la civilisation Blanche est finalement montrée à l'image de ce père qui devient fou et cherche à supprimer ses enfants. Chaque "rencontre" avec la civilisation Anglo-saxonne dans le film débouche sur la mort ou l'abandon, comme cette cabane abandonnée, les météorologues dans le désert même pas capables de faire leur travail correctement, ou cette mine fermée, avec son matériel rouillé, premier contact dérisoire avec leur civilisation pour les jeunes Anglais. Le film se clôt sur une phrase, en Français: Rien ne va plus. Symboliquement, Roeg choisit de montrer le père, cadavre en voie de décomposition, placé comme un épouvantail dans un arbre à proximité de la carcasse de sa voiture, investie par une famille Aborigène qui joue à l'intérieur... A ce cadavre, Roeg ajoute un grand nombre de carcasses disséminées dans le film, avant-goûts d'une mort programmée: des cadavres d'animaux bien sur, mais on verra aussi beaucoup d'animaux mourir, victimes de chasse, qu'elle soit sportive (Deux blancs qui ressemblent furieusement à la caricature des Australiens par les Monty Python) ou pour la survie (Dépeçage de Kangourou par David Gulpilil). Le message est clair, Nicholas Roeg oppose deux civilisations, deux manières de marcher sur terre, et deux façons de traiter la nature. Son choix est fait, il ne tarde pas à être le nôtre, pourtant le jeune fille garde ses distances, parlant parfois à son sauveur comme à un serviteur, et ne laissant jamais la complicité s'installer totalement.

Après la confrontation, le film nous conte une autre rencontre, amoureuse celle-ci, qui passe d'abord par les regards des deux jeunes gens l'un sur l'autre, de Jenny Agutter qui ne peut s'empêcher de regarder assez clairement en toute circonstance l'anatomie de Gumpilil, alors que celui-ci la regarde mais uniquement au bivouac. Rien n'arrivera entre eux, la fille restant Anglaise, et habillée en la présence de l'autre, jusqu'au bout. Il y aura des tentatives, des passerelles, comme durant la scène ou on verra les dessins Aborigènes sur le corps du jeune garçon: on constate que la jeune fille s'est laissée faire pour le dessin d'un serpent sur  son bras. Le symbole est clair, mais elle n'ira pas plus loin. Pourtant, une scène la voit s'abandonner à une baignade récréative, nue dans une mare, mais seule, farouchement attachée à son intimité. Donc attirée par la sensualité, mais arrêtée par les barrières trop nombreuses, et d'ailleurs les avances rituelles de son compagnon lui font, clairement, peur. Elle va donc s'interdire de succomber à ses désirs, et le moment des adieux la verra impassible devant la dépouille du jeune homme. A-t-elle compris?

Pourtant, de retour à la "Civilisation", la jeune femme a une vision tout autre, et la dernière séquence qui la voit s'imaginer rêveusement une baignade mutuelle des trois jeunes nous éclaire sur ses regrets...

Beau film donc, dont la narration lente et contemplative reste bien sur envoûtante, et dont le sens du montage est un aspect des plus expérimentaux, pour un metteur en scène qui aime à jouer avec le temps. Le fait que le film épouse le point de vue Aborigène et son mépris de la chronologie ne pouvait qu'inciter Roeg à s'amuser de façon gourmande. Le sentiment, c'est qu'il fallait sans doute un Anglais pour traiter un tel sujet. Comme le prouve le film, dans une séquence un peu énigmatique, les Australiens de 1970 n'étaient pas encore sortis de leur racisme: on y voit une famille Blanche exploiter des jeunes Aborigènes, et il faut rappeler que les colons Britanniques ont tenté d'éradiquer cette civilisation en l'assimilant par la force afin de transformer les premiers Australiens en une race de serviteurs... Cette politique ayant pris fin dans les années 1970, on mesure l'importance d'un film comme Walkabout.

 

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Published by François Massarelli - dans Nicholas Roeg Mettons-nous tous nus Criterion