Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
23 juillet 2023 7 23 /07 /juillet /2023 18:44

C'est la nuit... André Jurieux (Roland Toutain), un aviateur atterrit au Bourget. La presse est là, un public disparate et excité le fête mais lui est au fond du désespoir: il a accompli un exploit impressionnant, mais c'était pour une femme, et elle ne s'est pas déplacée, lui dit son ami Octave (Jean Renoir).

Christine, la femme en question, a entendu à la radio le désespoir de son amant... Elle finit de se parer, et rejoint son mari, le marquis de La Chesnaye (Marcel Dalio). Ils habitent une grande demeure, ils se vouvoient, et ils sont richissimes... Lui sait qu'il y ait un semblant de liaison mais n'en fait pas grand cas.

De son côté, il téléphone avant de sortir avec son épouse, à sa maitresse...

La ronde n'ira pas beaucoup plus loin mais le film est posé: il y aura une monumentale partie de chasse organisée, on y parlera d'amour, de la société, des inégalités, de réussite frelatée et de ratages embarrassants.

L'amour? Compliqué, et mal parti: bien qu'on soit à l'époque moderne, il n'en reste pas moins que les mariages sont parfois mal assortis. Et les amants ou autres amis amoureux ne sont pas beaucoup mieux lotis. Car si Jurieux aime Christine de la Chesnaye, Octave aussi est amoureux de la jeune femme. Le marquis de la Chesnaye aime-t-il sa femme? Comme sa maîtresse Geneviève (Mila Parély) lui signale, citant Chamfort, que "l'amour, c'est la rencontre de deux fantaisies, et le contact de deux épidermes", ce qui semble disqualifier la relation un rien froide des deux époux. De son côté, Octave a semble-t-il une relation avec Lisette (Paulette Dubost), la bonne, qui est mariée à Schumacher (Gaston Modot), le garde-chasse du château des La Chesnaye. Et pour compléter le tableau, Octave qui est semble-t'il le trait d'union entre les différents personnages, doit aussi gérer les amours distants entre Christine et André, mais aussi entre le marquis et Geneviève! Le film accumule ainsi les conversations autour des marivaudages...

Des marivaudages à la mode du vingtième siècle, car ici les classes se mélangent... Un peu. Disons qu'elles ont à faire les unes avec les autres. Christine a épousé le marquis de La Chesnaye pour s'élever, mais c'est un mariage sans amour. Tous ses amis sont plutôt des gens de la société civile, comme on dit. Chacun des protagonistes, à l'exception d'Octave qui fricote avec la bonne, et a des discussions sur beaucoup de choses avec son amie Christine, tous restent quand même sur un certain niveau... Et même schumacher, le garde-chasse, doit accepter la présence d'un subalterne, le braconnier Marceau (Julien Carette), qui lui en fait voir de toutes les couleurs... Et pour s'lever, hors le mariage, pas beaucoup de solutions, si ce n'est le sport. D'où l'exploit, bien de son temps (douze ans après Lindbergh), de Jurieux... Mais le marquis,qui a le sens des contradictions, se prend d'amitié pour Marceau qu'il engage... Au grand dam de son employé qui conçoit la chose comme une insulte personnelle... 

"cette petite Christine a de la classe. ca se perd, à notre époque!", dit un invité de la partie de chasse, un général... Derrière cette "classe", la réussite, donc, est sociale, financière (les La Chesnaye sont riches, et organisent des fêtes et des réceptions impressionnantes... comment s'étonner après que chacun reste à sa place en les fréquentant? Pourtant, la réussite n'est jamais complète. Christine a acquis un statut par son mariage, mais au détriment des sentiments. André a réussi une traversée en vol, qui épate tout le monde, mais le considère comme un échec. D'ailleurs, quand il arrive au château, Jurieux arrive sous une pluie battante, ce pauvre garçon n'a décidément jamais de chance... Et les domestiques qui sont réunis à manger entre eux, commentent à leur façon sur les strates supérieures et leurs patrons. Certains décernent d'ailleurs des certificats d'homme du monde à leurs anciens maîtres. Et c'est aussi lors de ce dîner des domestiques qu'on apprend que le marquis de La Chesnaye a des oigines, comme on disait alors (et comme l'extrême droite de dire parfois continue de dire parfois pour cacher son antisémitisme virulent), "cosmopolites". Il a eu des Rosenthal dans sa famille... Cela fait-il de lui un cousin du héros déjà joué par Dalio, de La Grande Illusion?

"Les mensonges, c'est un vêtement très lourd à porter" dit Christine dans sa première scène, qui parle d'ailleurs avec sa bonne (elle aussi, comme Octave, semble prompte à oublier les barrières de classe). Une lassitude par rapport à une histoire d'amour qui la tente mais dont elle ne veut pas, ou par rapport aux obligations de classe, pour lesquelles la "règle du jeu" est, justement, le mensonge? en posant ainsi, à l'orée d'une série apparemment innocentes de considérations sur les amours potentielles ou réelles, Renoir place en exergue de son film un portrait au vitriol de toute une société, de tout un monde. Pas vraiment surprenant, dans ce cas, que la droite et l'extrême droite (pas beaucoup de différences durant la 3e république) ait sauté sur le film à bras raccourcis avec une phénoménale virulence... C'est au cours du deuxième acte que Renoir s'est montré particulièrement méchant avec cette bonne société en montrant les élites se livrer à la chasse comme on fait un jeu de massacre... une chasse sitôt finie, sitôt oubliée par le marquis.

Et comme chacun sait sans doute le film a eu un destin particulier, qui en fait d'ailleurs une exception: coupé (avec l'approbation de Renoir, semble-t-il) en 1939 avant sa sortie après des premières désastreuses, réduit de 94 à 81 minutes, il a été remonté et ressorti dans une nouvelle version plus longue en 1959: c'est désormais une version de 106 minutes, qui d'ailleurs pose des problèmes: si certaines scènes étaient absentes en 1939, et que Renoir ne souhaitait pas les présenter à l'origine, fallait-il les intégrer? On n'aura pas de réponse, la version remontée en 1959 ayant été confectionnée avec le soutien plein et entier eu metteur en scène.

Un film étrange, fascinant, une comédie qui ne nous fera pas souvent rire, ou alors jaune... S'il visait sans doute juste en 1939 et était un état des lieux de la société de l'époque, aujourd'hui on n'a parfois pas toutes les clés. Mais au sein de l'oeuvre de Renoir, il brille d'un éclat assez singulier. Un fim typique par ses thèmes, mais aussi ses motifs (amours ancillaires, arrivisme, observation ironique, spectacle amateur, déguisement...). Mais un film qui tranche aussi, en une décennie de films combatifs (notamment ceux qui prennent fait et cause pour le Front Populaire, ou qui affirment leur pacifisme), par sa noirceur... Trop subtil, trop riche, trop tout, le film a fini par quitter son statut de film maudit pour devenir le chef d'oeuvre officiel, ce qui est sans doute, aussi lourd à porter... que les mensonges...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Jean Renoir Comédie Criterion
23 juillet 2023 7 23 /07 /juillet /2023 18:40

Un homme, célibataire pourtant assez militant, va se marier. Lors d'une discussion avec son meilleur ami et colocataire, ce dernier tente de le persuader du fait qu'il a probabblement été victime de pressions et manipulations de la part de la fiancée... 

Ce qui précède est le prétexte, mais en réalité, ce film est plutôt une suite d'anecdotes jointes assez artificiellement, enchaînées par la scénariste France Roche et avec la collaboration d'un certain nombre d'auteurs dont Albert Simonin. De la même manière, les acteurs vont et viennent, et si on reconnaît Claude Rich (le sceptique) et Jean-Claude Brialy (le futur marié), le reste de la distribution fait des apparitions: Françoise Dorléac, Micheline Presles, Bernard Blier, Catherine Deneuve, Michel Serrault, Marie Laforêt, Marie Dubois, Mireille Darc, Francis Blanche et Bernadette Lafont... Sans oublier le jeune Jean-Paul Belmondo. A part la mise en scène de Molinaro (j'y reviendrai), le facteur d'unité ici est le dialogue signé de Michel Audiard... Et ça se sent.

Le sujet en revanche sent aussi, et pas très bon: l'enfer du mariage, présenté comme la pire chose qui puisse arriver à un homme... Et les rapports hommes-femmes, présentés sous les formes les plus discutables: domination de l'un par l'autre, mensonge, tromperie, voire relations tarifées... C'est la France d'arrière-grand-papa qui s'agite sous nos yeux, celle dans laquelle on dit facilement "Ciel! mon mari!"... C'est vieillot, voire franchement réactionnaire, et ça a tendance à se parer des oripeaux d'un cinéma moderne, c'en est gênant.

Des circonstances atténuantes? En fait, oui: Molinaro, qui a tout fait et tout filmé, en bon faiseur durant des années, s'est révélé pour moi avec un court métrage absolument fabuleux, dans lequel il imitait avec élégance et verve le cinéma muet, sur un sujet d'ailleurs similaire à celui-ci... Ca s'appelait L'honneur est sauf, et le second degré bon enfant de l'ensemble était d'autant plus évident qu'il s'agissait d'un film muet, et assez rigoureux... Il sait composer une image, donner du rythme, et doser les performances quand c'est nécessaire: bref il a du métier... et sinon, le dialogue d'Audiard prouve qu'il s'est gentiment laissé aller et a tricoté pour certains moments, des petits bojoux anthologiques, au milieu de ce cloaque de conventions d'un autre âge et du théâtre de boulevard. Comme de juste, la palme revient à une apparition de Bernard Blier qui vaut le détour. Cinq minutes de pur bonheur lexical.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Michel Audiard Edouard Molinaro Comédie
23 juillet 2023 7 23 /07 /juillet /2023 15:06

Dans un coin rural très reculé, vit une petite famille. Johanna (Mary Pickford) est la fille de la maison, et elle n'a que très peu de temps libre, entre les tâches ménagères et le jardin. Néanmoins elle est heureuse si ce n'est qu'elle rêve d'un prince charmant... Alors quand un groupe de soldats en manoeuvres, et en formation avant de partir sur le front, viennent s'installer sur la propriété, elle commence à s'intéresser à tous ces militaires, dont certains ne sont pas indifférents à son charme rustique...

C'est une comédie légère, mais le thème patriotique, bien que subtil, y est bien présent. Mary Pickford, et avec elle Douglas Fairbanks et Charles Chaplin, était du reste très impliquée dans la propagande de l'effort de guerre, et on retrouve ici (comme dans le film The little American de Cecil B. DeMille sorti l'année précédente) une sorte d'évidence: il faut s'engager en Europe...Mais force reste à la comédie, avec ce portrait comique d'une jeune fille un peu plus âgée que d'habitude, mais pas beaucoup plus dégourdie que ses rôles coutumiers...

Car Johanna n'est pas une petite fille, et le film est l'histoire de son éveil, aussi, de sa trasformation enfin. Johanna aspire à l'amour, à devenir adulte ou du moins à être traitée comme telle... Mais pour ses soupirants (dont Douglas MacLean et Monte Blue) elle EST une femme... La comédie passe par des moments cocasses, et l'un d'entre eux quoique bien innocent, a fait l'objet d'une censure dans certains états (dont, comme d'habitude, la si chatouilleuse Pennsylvanie): Johanna cherche à plaire et s'inspire de la photographie d'une danseuse, qui porte uniquement un drap plus ou moins transparent, façon Isadora Duncan... Ses parents la punissent immédiatement. La photo a été censurée sur bien des copies distribuées dans l'Est. Johanna ira jusqu'à prendre des bains de lait, confirmant l'importance du corps dans sa vision de la séduction. Une scène traitée avec délicatesse, mais dont la présentation étonnera quand même les admirateurs de Miss Pickford qui sont plus habitués à la voir assumer le rôle d'une pré-adolescente...

C'est un film de William Desmond Taylor, qui était réputé à cette époque comme un escellent réalisateur à l'aise dans tous les styles. Sa direction d'acteurs est excellente, et on sent la vedette totalement à l'aise. Elle avait la réputation d'être assez difficile à diriger vraiment et se chargeait le plus souvent d'habiter ses rôles, mais elle avait beson d'un cadre bien mené, et d'une troupe sous contrôle. Elle qui revenait souvent à ses metteurs en scène favoris parce qu'elle était en confiance, a fait appel à lui à plusieurs reprises, mais seul deux films ont survécu dont celui-ci, et aucun n'est entier actuellement. Il manque la troisième bobine de Johanna Enlists...

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Mary Pickford William Desmond Taylor Muet Première guerre mondiale 1918 **
22 juillet 2023 6 22 /07 /juillet /2023 22:07

Dans un petit poste de police municipale, une jeune femme a été appréhendée pour kidnapping... Et parce qu'en plus, avec la petite qu'elle a kidnappé, elles couraient nues dans la montagne... Camille (Alice de Lencquesain) est très énervée, assez atypique, et pour tout dire obsédée par un désir d'enfant, qui passe obligatoirement par le kidnapping. D'une part, c'est plus rapide, et de son point de vue ça peut lui permettre de "sauver un enfant" de l'influence néfaste de ses parents... Ce sera la mission de Clément (Anthony Sonigo), policier stagiaire, de la remettre, si possible, dans le droit chemin...

C'est une jolie comédie, qui passe par des chemins assez loufoques, confrontant un policier timide et effacé et une personne sans filtre, dont il va évidemment tomber amoureux... Le film s'amuse de les placer ensemble, et de montrer Clément se charger de la "rééducation" impossible de sa nouvelle amie. C'est frais, parfois brut de décoffrage, et les deux acteurs sont excellents... 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Guillaume Levil Mettons-nous tous tout nus
22 juillet 2023 6 22 /07 /juillet /2023 16:15

Un étudiant qui excelle en base-ball universitaire, Goro Kurita (Minoru Oki) devient l'enjeu des convoitises de plusieurs personnes: Kishimoto (Keiji Sada), un recruteur pour une équipe professionnelle de Tokyo; deux autres clubs ont également des recruteurs sur les rangs. Sinon, la famille de Kurita a des plans pour lui, et sa petite amie Fudeko (Keiko Kishi) essaie de le préserver de l'univers corrompu du base-ball professionnel... Pendant ce temps, le manager de Kurita, Kyuki (Yunosuke Ito) a des ennuis de santé et les négociations entrent dans une phase difficile...

C'est un film de sport? Si on veut, car on y fait assez peu de base-ball finalement. Kurita est au centre du film et de ses enjeux, mais ce qui a intéressé Kobayashi, c'est justement de peindre le monde impitoyable et corrompu qui tourne autour du sport... Il a donc choisi de donner le point de vue principal à Kishimoto, et on l'entendra parfois en voix off, dans ce qui ressemble furieusement à un film noir, mais plutôt dans la lignée de Ace in the hole de Billy Wilder, avec ses anti-héros qui profitent de la naïveté d'un tiers... 

Donc c'est aussi âpre que pouvaient l'être justement les oeuvres noires et sans concession du jeune auteur qui profitait de ce film pour dire adieu à un cinéma sentimental lénifiant, qui l'intéressait beaucoup moins, justement, que ces intrigues brutes liées à la société Japonaise de l'après-guerre, et qui allaient devenir une partie essentielle de son oeuvre.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Masaki Kobayashi Criterion
21 juillet 2023 5 21 /07 /juillet /2023 14:59

War Horse appartient à la veine épique de Spielberg, celle qu'il a inauguré avec The color purple en 1985, et qui a produit des films souvent mal accueillis (Empire of the sun), parfois avec raison (Amistad), mais aussi des triomphes justifiés (Schindler's list, Saving Private Ryan). Depuis Munich, on avait le sentiment que cette facette du metteur en scène était en sommeil, d'autant que son grand projet sur Lincoln semblait ne jamais devoir aboutir... Et puis comme d'habitude tout a été très vite: spielberg a vu la pièce tirée du roman de Michael Morpugo, Dreamworks s'est saisi du film, Spielberg a travaillé en collaboration avec Richard Curtis, réalisateur mais surtout scénariste Anglais. Le travail avec Curtis a poussé Spielberg à ne pas se contenter de la casquette de producteur, et il est donc devenu le réalisateur, d'autant que le travail d'animation sur The adventures ofTintin le contraignait à attendre. Comme à son habitude, le metteur en scène a fait en sorte que les choses se fassent en grand, et très vite.

Et le 26e long métrage de Steven Spielberg, s'il n'a semble-t-il pas attiré les foules de ce coté-ci de l'Atlantique, est une nouvelle preuve de la maitrise de son cinéma. Bien sur, il faut un minimum de foi et de romantisme pour s'y abandonner, mais une fois dans le film, on est en belle compagnie, le cinéaste y payant sa dette envers les plus grands, ses maitres, David Lean pour le souffle épique ou John Ford pour le sentimentalisme comique du début, mais aussi d'autres distingués collègues, dont Terrence Malick. Enfin, il retourne un peu à l'implication personnelle qu'il a pu avoir dans d'autres projets plus connus ou plus personnels.

Dans le Devon, au début du siècle, une famille de fermiers (Dont la terre appartient à un riche propriétaire, David Thewlis) se retrouvent flanqués d'un cheval, un demi pur-sang, suite à une enchère au cours de laquelle le père de famille Ted Naracott (Peter Mullan) a acheté la bête par fierté, pour montrer à son propriétaire qu'il le pouvait. Mais leur situation financière ne le leur permettait pas, et pour pouvoir trouver l'argent du loyer, il va falloir que le cheval travaille, ce pour quoi il n'est pas vraiment taillé. Mais l'abnégation du jeune fils Albert (Jeremy Irvine) et sa complicité avec le cheval qu'il a nommé Joey vont accomplir un miracle. Mais ce miracle est de courte durée, la malchance et la météo ayant finalement raison des récoltes. La guerre arive et le père décide de revendre Joey à l'armée. Albert se jure de le retrouver...

Joey se trouve donc dans la cavalerie Britannique, attaché à la personne du capitaine Nicholls (Tom Hiddleston), qui a compris le lien fort entre Joey et Albert et s'est juré de respecter et aimer l'animal... mais la première charge est fatale à Nicholls.

Joey est alors recueilli par des fantassins Allemands, dont deux jeunes frères (Leonard Karow et David Kross); l'un d'entre eux est trop jeune, et son frère s'étant promis de veiller sur lui, ils désertent tous les deux en compagnie de Joey...

Puis Joey se retrouve pendant quelques temps dans une petite maison Française, à coté d'un moulin, recueilli en compagnie d'un autre cheval par un homme seul (Niels Arestrup) avec sa petite fille, Emilie (Céline Buckens). Joey et cette dernière auront une complicité proche de celle avec Albert; le cheval est de nouveau récupéré par l'Armée Allemande, en position de plus en plus difficile, et en 1918, le cheval et Albert, désormais engagé, sont à quelques mètres l'un de l'autre...

La ronde dont Joey est l'objet qui passe de main en main, permet à Spielberg de privilégier le point de vue du cheval. C'est son regard qu'on voit le plus souvent dans le film; on sait l'importance de ce sens dans les films de Spielberg, mais ici pour une bonne part nous assistons aux combats à hauteur de cheval... Mais d'autres scènes font appel à la fonction de voir, à commencer par une superbe scène située sur la fin, durant laquelle le cheval est coincé dans le no man's land, entre les tranchées, et les soldats Français comme Allemands s'efforcent de définir quelle est cette forme qui bouge, au milieu de la fumée et de la brume. Mais à la fin, c'est un Albert privé de sa vue par les gaz qui va "trouver" Joey... la ronde a pour objectif de placer le film du coté du conte, de la fable, et de fait le metteur en scène n'hésite pas à mêler le réalisme des combats avec la naïveté et les invraisemblances, principalement des coïncidences, dans l'histoire. Donc une fois de plus, il faut se souvenir d'Hitchcock et de ses diatribes contre ceux qu'il appelait des "Vraisemblants". L'essentiel dans ce film, c'est qu'il ne rate pas sa cible, ou plutôt ses cibles. Le fait que le film utilise le point de vue d'un cheval, considéré comme un être vivant par les uns, comme du matériel par les autres (les officiers notamment), permet à Spielberg de montrer l'évolution technologique de la guerre en même temps que son évolution dans le temps.

La première bataille est un modèle du genre, une scène lyrique, superbe, et profondément ironique: les cavaliers Britanniques vont se lancer, bénéficiant de l'effet de surprise, sur un cantonnement Allemand. Ils vont fondre sur eux, et tous sont persuadés que cela va être rapide, et que la guerre même sera finie en quelques semaines. L'attaque, magnifiquement orchestrée, se déroule comme prévue, avec des plans superbes qui renvoient au viol de la nature par l'armée dans les films de Malick, des cavaliers qui piétient un champ. Les chevaux se voient à peine. La caméra adopte le plus souvent deux points de vue: celui des Allemands que l'attaque surprend d'une part, et un mouvement de droite à gauche (C'est à dire le mouvement le plus souvent des antagonistes), ce qui fait effectivement des Anglais les agresseurs. Mais le mouvement de fuite des fantassins sou la puissance de la charge s'arrête... sur une mitrailleuse; et à partir de là, le processus s'inverse, et les cavaliers Anglais sont décimés. Ils avaient tort: les Allemands ont anticipé, ils ont tout simplement réfléchi, et contrairement aux cavaliers Anglais, qui vivent toujours au XIX' siècle, ...ils ont évolué. D'une manière générale, Spielberg évite le piège de la prise de parti, et nous montre les souffrances des deux cotés.

Le suspense intervient dans le film, mais jamais à des proportions essoufflantes comme dans War of the worlds ou Jaws. Il s'agit ici de scènes courtes, comme celle durant laquelle Albert croit être suivi dans une tranchée par un Allemand, alors qu'il s'agit d'un copain; ou lorsque Emilie monte Joey pour la première fois, et qu'elle disparait. Le grand-père se précipite, et de l'autre coté de la butte qui l'empêchait de voir sa petite fille, il la voit, montée sur le cheval, se démenant contre des dizaines de soldats Allemands (Cette scène est un écho d'une autre scène de War of the worlds, lorsque le fils quitte Tom Cruise pour rejoinde l'armée). Des moments fulgurants, donc. Mais les péripéties du cheval, qui se promène au gré d'un conflit dont nous connaissons de toute façon l'issue, sont surtout pour Spielberg l'occasion de révéler la nature des êtres: le fils du propiétaire, envoyé au combat (Un officier, bien sur) dans la même compagnie qu'Albert, et qui continue à se comporter avec condescendance, avant qu'Albert ne lui sauve la vie; les petits et les sans-grades, qui recueillent volontairement ou non Joey et en tombent amoureux; cette scène superbe et douce-amère, durant laquelle les tranchées s'impoent une trève, et deux troufions, un Allemand et un Anglais, fraternisent le temps de dégager Joey des griffes du barbelé... Joey traverse la guerre comme un révélateur, il renvoie les hommes à leur humanité. Et c'est là sans doute que le dernier miracle s'accomplit, le sens de cette dernière scène presqu'onirique, en silhouette. joey est un miracle, le garant de l'humanisme de ceux qui le cotoient. il est aussi sublime que peuvent l'être les moments forts des films de Frank Borzage, ces instants ou tout basculent, dans des films taillés pour regarder en l'air. Bref, il n'a pas grand chose à voir avec le cynisme ambiant, voilà la raison pour laquelle le film est à voir avec une âme d'enfant...

Peu de choses à regretter dans ce film, sauf peut-être cette manie qu'a le réalisateur d'utiliser la convention de langage de faire parler les acteurs en Anglais, mais avec l'accent (Allemand ou Français) de leur nationalité. Si c'est pour les faire parler Anglais, pourquoi faire intervenir des acteurs nationaux? On avait déja cette tendance dans Schindler's list. Mais c'est un petit détail, une goutte d'eau, dans ce qui est un film de Spielberg très accompli, fédérateur, qui nous parle d'une rencontre, d'un échange, et qui renvoie à sa vision du sacré, comme le faisaient E.T. et Close encounters of the Third Kind.

Partager cet article
Repost0
Published by Allen john - dans Steven Spielberg Première guerre mondiale
20 juillet 2023 4 20 /07 /juillet /2023 07:46

Un petit pensionnat, peu de temps avant une guerre (la première guerre mondiale?); dans la petite vie tranquille de l'établissement, trois gosses se démarquent: ils se retrouvent la nuit, et ont constitué une société secrète, les Chiche-Capons: Beaume (Serge Grave), Macroy (Marcel Mouloudji), et Sorgues (Jean Claudio). Leur but: planifier, organiser et ffectuer un voyage aux Etats-Unis, les trois ensemble ou pas du tout. 

La vie de l'école est bien réglée, avec ses professeurs, tous des forts caractères, surtout Planet, l'insomniaque (Jacques Derives, auquel tout le monde demande, tous les matins s'il a bien dormi); Lemel (Michel Simon), l'alcoolique; celui-ci est particulièrement méfiant à l'égard de Walter (Eric Von Stroheim), la plus récente recrue du corps professoral, un prof de langues... mais surtout un étranger.

A l'issue d'une réunion des Chiche-Capons, Sorgue aperçoit un homme mystérieux (Robert Le Vigan) qui apparaît et disparaît. Il tente d'en parler aux autres, mais personne ne souhaite apporter le moindre crédit à ce qu'il raconte... Mais après un cours de M. Walter dont il se fait exclure, Sorgue disparaît... Puis c'est au tour de Macroy. Après un esclandre, Lemel, qui recevait parfois la visite du mystérieux inconnu, tombe et trouve la mort. Quel est donc le mystère du collège de St-Agil?

L'aventure avec un grand A, la vraie... Les trois gamins (qui à peine réunis en conciliabule nocturne, allument une Gauloise, et prêtent serment devant un squelette de cours de Sciences Naturelles - il s'appelle Martin) semblent prêts à la vivre, telle qu'on la vivait dans l'entre-deux-guerres dans les romans pour ados. C'est d'un de ces romans policiers pour jeunes gens que ce film a été adapté, une oeuvre de Pierre Véry, spécialiste de ce genre léger... 

Le mystère qui agite la pension est d'autant plus étrange, qu'il s'agit d'un collège modèle, après tout. Pas forcément select, voire franchement miteux, on n'a pas l'impression qu'il puisse être comparé, d'une part à l'école de Zéro de conduite, d'autre part à celle des Diaboliques... Les turpitudes des adultes y sont sans doute mise en valeur par le point de vue des enfants... et ces gamins qui font le pacte de partir à New York, tous les trois ou pas du tout, ont soif d'aventure mais aussi d'absolu.

Christian-Jaque a parfaitement su trouver la mise en scène la plus adéquate pour son film, l'un de ses meilleurs. Un point de vue constamment à hauteur d'enfant, mais avec toujours un temps d'avance; un dosage savant et délicat du mystère ou des mystères (que cache Walter? qui est l'homme de la nuit? que sont devenus les deux disparus?)... Il accomplit un miracle dans son découpage mais aussi dans chaque plan, depuis l'ouverture à la Hitchcock, sur une maquette du collège, jusqu'à l'utilisation subtile de l'éclairage... Et la caméra fluide, sûre de ce qu'elle a à montrer, n'a pas son pareil pour traquer chez les gamins le sens de la fascination, de l'inquiétude, de l'aventure, quoi... Par des acteurs juvéniles dégourdis parfaitement assistés d'adultes plus que compétents... Du plaisir, donc.

 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Christian-Jaque Erich Von Stroheim
19 juillet 2023 3 19 /07 /juillet /2023 17:48

Faisons le compte des handicaps de ce film, si vous le voulez bien: Il est tout d'abord censé raconter ce que tout le monde sait déjà, à savoir qu'un univers entier va foncer vers le chaos, qu'une caste de sages gens de bien va être anéantie, qu'une héroïne douce et aimante va mourir après avoir donné naissance à deux jumeaux (un garçon une fille), que deux frères ou presque vont s'affronter dans un combat qui en laissera un dans un piteux état, que l'ambition démesurée d'un homme le mènera à prendre le pouvoir dans des circonstances dramatiques.

Pour le dernier point, j'admets que ce n'était pas officiellement évident, mais il fallait vraiment avoir regardé les deux films précédents les yeux fermés et les oreilles bouchées pour ne pas reconnaître que Ian Mc Darmid (déjà présent dans la première trilogie) jouait aussi bien Lord Sidious que Le chancelier Palpatine, de là à conclure que le futur empereur était bien le chancelier, il n'y avait qu'un pas à faire... je sais que cette évidence est intentionnelle, mais entre les intentions et l'exécution il y a des multitudes de possibilités. En donnant l'illusion qu'il croirait nous berner, Lucas se ridiculise. ...un peu plus.

George Lucas s'est confortablement assis sur sa création, devant sans doute juger que les gens se contenteraient certainement de prendre le film comme il est... Sauf que c'est du cochonnage. La première heure est répétitive et ennuyeuse, Christensen joue comme un phacochère, et Padmé n'en finit pas de ne rien remarquer du lent glissement de son mari vers le coté obscur. Et la banalité le ridicule redondant des dialogues, le jeu abominable de tous les acteurs devant un script absolument nul, et le manque total de conviction de l'ensemble ne peuvent être attribués qu'à la médiocrité du metteur en scène.

Une séquence qui voit même Yoda et Kenobi constater le massacre des jeunes Jedi par Annakin est tellement ridicule qu'on la croirait parodique (Kenobi: "Ca alors! Je n'en crois pas mes yeux!!"). Il est temps d'affronter la dure réalité: Lucas n'aime pas tourner des films. Il y a sans doute une raison pour laquelle il avait donné le poste de réalisateur à deux solides techniciens en 1979 et 1982... Ici il semble qu'il se soit beaucoup reposé sur un collègue célèbre pour assurer certains morceaux de bravoure dans la deuxième partie... Dont une scène qui aurait pu être anthologique, une confrontation finale entre frères ennemis, grandiose, et qui nous laisse rêver d'une version débalourdisée... Merci Steven au passage.

Mais ce que Tonton Steve ne sauve en rien, c'est que Lucas qui comme je le disais n'aime pas tourner, à tout fait pour que l'essentiel du film soit fait en CGI, donc aisément modelé. Ce qui nous occasionne un Yoda 100% numérique, l'une des choses les plus laides de la création, surtout quand il se bat. Je pensais les Jedi des ascètes, sages et réfléchis, mais le petit gnome a tendance à se battre en en rajoutant tellement qu'on se croirait aux commandes d'un jeu vidéo: et pour ceux qui me connaissent, ce n'est pas du tout, mais alors pas du tout un compliment... Les scènes de combat (sauf une, voir plus haut), tournent au grand n'importe quoi, avec soubresauts, voltige, effets de manche, et comme dans toute cette trilogie, des gros plans d'un ridicule achevé sur un des combattants qui toise l'autre et lui sort un "alors, c'est tout ce que tu as?"... 

Pitié.

Cette trilogie, on n'en avait pas besoin. Elle n'apporte absolument rien et dessert l'univers entier de cette saga. Au vu des trois films, mieux vaudrait qu'on ne l'ait pas eue. Voilà qui est dit.

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Georges Lucas Science-fiction Star Wars
19 juillet 2023 3 19 /07 /juillet /2023 12:15

Quatrième film de Kurosawa, et sa première incursion dans un Japon médiéval, ce petit (59 minutes) film nous montre sept hommes, un prince poursuivi et son escorte, qui sont déguisés en moines pour traverser les lignes ennemies.

Une série de figures, et un thème, qui reviendront encore et toujours, de Forteresse Cachée en Sept samouraïs... Mais le film est plus tributaire du théâtre traditionnel que le seront ses futurs succès, pour pallier aux limites du budget. Deux acteurs qui seront fréquents dans son oeuvre sont également présents: Masyuki Mori et surtout Takashi Shimura, le fabuleux chef samouraï de son film le plus célèbre, et le vieux professeur mourant dans Ikiru...

Le film est centré sur le passage d'une barrière, et la confrontation tactique et stratégique entre les sept (et leur porteur, un paysan vaguement idiot) et un seigneur magnanime et son lieutenant qui flaire le coup fourré. Tout le courant médiéval de l'oeuvre à venir (Les sept samouraïs, Rashomon, Ran, La forteresse cachée, etc) vient de ce film. Effort de guerre oblige, le budget a été très serré, mais l'intimisme qui en résulte, et sa théâtralité, jouent en faveur de l'ensemble. 

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Akira Kurosawa Criterion
19 juillet 2023 3 19 /07 /juillet /2023 12:10

Ce film a été préparé durant la période qui précède la reddition du Japon. On y sent une volonté de propagande (les Américains y sont présents et pas vraiment sympathiques...), mais il est sorti à quelques jours de la capitulation nazie.

Kurosawa ne voulait pas donner une suite à son talentueux premier film, mais il s'est exécuté quand même. Il s'est amusé à en prendre le contrepied partout ou il pouvait, Sanshiro (Susumu Fujita) étant désormais une figure établie des arts martiaux, et il a fait une très belle variation du duel lyrique dans les champs du premier film, avec une rencontre physique dans la neige, qui a du jeter un froid pour les acteurs.

Deux, trois allusions à la propagande anti-occidentale pré-Hiroshima, et au final un film dont il n'y a pas à avoir honte, avec un petit peu d'humour, et une bonne humeur qu'on retrouvera rarement aussi solide chez Kurosawa dans l'avenir. Mais on comprend l'auteur agacé de devoir se redire...

Partager cet article
Repost0
Published by François Massarelli - dans Akira Kurosawa Criterion