Lors de ses débuts à la Columbia, le jeune Capra connaissait déjà furieusement son métier, et privilégiait la vitesse, avec une sûreté d'exécution qui laisse pantois. Cette histoire de reporter ambitieux est excellente: Clem Rogers, journaliste, est las de devoir faire les chiens écrasés (Ou la météo), et obtient une dernière chance de son patron. Il se retrouve dernier arrivé sur les lieux d'un crime mais le hasard fait bien les choses: il assiste à la fuite d'une jeune femme, et suite à un quiproquo, écrit un papier qui accuse la jeune femme, la fille d'un politicien en campagne... mais la jeune héritière victime de l'histoire en question se rebiffe, et les deux font alliance pour faire éclater la vérité.
Energique, élégant, et attendrissant. un film pré-Tintin qui a bien pu inspirer Hergé, qui était très fan du cinéma Américain (plus que des Etats-Unis eux-mêmes, d'ailleurs...). On y retrouve cette vitesse, cette atmosphère des salles de rédaction qui va envahir en quelques années les films des années pré-code, et Douglas Fairbanks Jr, dont le personnage est souvent considéré comme un ado capricieux par ses collègues, avance dans cette enquête cousue de fil blanc avec humour et charme. Et puisqu'on en parle, il y a aussi un atout fantastique: face à lui, la délicieuse Jobyna Ralston!
Pour vraiment anticiper sur les futures réussites de Capra, il aurait peut-être fallu développer une partie consacrée au doute, mais Clem Rogers, en route vers une carrière prestigieuse, n'a pas de temps à consacrer à une remise en question. Et puis... c'est une comédie.
Don Wilson (Johnnie Walker) est une vedette de Broadway, à la carrière parfaitement placée sur ses rails, mais le succès lui pèse parfois... Il décide de s'octroyer un peu de repos et de s'aérer, et se rend dans la campagne... Où il tombe en panne avec son agent et des amis. Durant la réparation, les quatre hommes se rendent à un spectacle de théâtre itinérant donné par des saltimbanques, et reconnaissent que c'est "tellement mauvais que ça en devient bon". Don, sous un faux nom, participe même au spectacle et joue lamentablement un petit rôle dans la pièce (un abominable mélo de la guerre de Sécession). Mais il est intéressé par la personnalité de l'actrice principale, Ginger Bolivar (Bessie Love), la fille du directeur de la troupe: il décide demanoeuvrer pour faire venir la troupe à Broadway dans le but de les utiliser, en faisant rire les spectateurs à l'insu des acteurs...
Ca rappelle souvent Spite Marriage de Buster Keaton, sorti l'année suivante, et il est probable que les deux films ont été inspirés de la même pièce: les similitudes entre les deux versions d'une pièce de répertoire sur la guerre civile sont troublantes. Sauf quand dans le cas du flm de Keaton, c'est un spectacle supposé d'une grande dignité qui est saboté par les inepties d'un figurant, quand ce film de Capra pose finalement le cas contraire... En acteur doué qui tente d'adapter son style à son incognito d'une part, et à la mauvaise qualité de son entourage, le très spiritueux Johnnie Walker fait du beau travail. Le reste de la troupe est pour le metteur en scène l'occasion de développer une galerie de portraits parfois un peu outrés, mais qui se situent dans les habitudes de la comédie: Bessie Love, bien sûr, se détache particulièrement, en dominant par son investissement physique la distribution...
Mais cet aspect de farce n'occupe que les vingt premières minutes dont le tempo et le ton sont ceux d'un court métrage de deux bobines: Capra développe différemment sa deuxième partie, en se concentrant surtout sur le point de vue des acteurs: aussi médiocres soient-ils (et ils le sont, vous pouvez me croire...), il apparaît qu'ils croient à ce qu'ils font, et le film souligne à quel point finalement leur public rural est après tout satisfait de l'offre théâtrale des acteurs de troisième choix. Et Don Wilson, en faisant son malin, va découvrir à ses dépens que bonne ou mauvaise actrice, Ginger vaut la peine. Une sorte de préfiguration de Mr Deeds et Mr Smith, avec ses naïfs ruraux pris dans la tourmente citadine, nous apparaît ici.
Et la mise en scène de ces Capra muets réalisés pour la Columbia est toujours aussi dynamique et enthousiasmante, on y sent la rapidité à l'oeuvre (même si cette impression est certainement accentuée par un montage qui a été revu, pour une version qui n'est pas aussi longue que l'originale), et l'efficacité du metteur en scène fait merveille. Dans le cadre de la comédie, bien sûr, et sa touche est déjà bien présente, mais il s'octroie une très jolie scène de révélation sous la pluie, avec Bessie Love au sommet de son art, un mélange subtil de comédie de situation, et même de tragédie, la jeune actrice comprenant qu'elle a été roulée dans la farine par l'homme qu'elle aime...
Le remake de ce ilm par William Wellman est tellement fidèle, qu'il me semble approprié de répéter les contours de l'intrigue:
L'action commence autour d'un fort en plein désert, qui vient de subir une attaque. Quand les secours arrivent, on constate que tous les soldats au remparts sont les cadavres de la garnison. Il y a juste eu un coup de feu, qui l'a tiré? L'officier en charge examine les lieux, découvre des étrangetés: un cadavre qui tient une mystérieuse lettre dans sa main, s'accusant d'un crime, et aucune trace du mystérieux tireur... Quand il quitte le fort pour retrouver la troupe, un feu se déclare dans le fort.
Quinze années auparavant, nous faisons la connaissance des trois orphelins Geste: Beau, Digby et John, qui ont été adoptés ensemble... Une étrange affaire se déroule en leur présence, un bijou à la valeur inestimable a été dérobé. Chacun d'entre eux peut être soupçonné, Beau (Ronald Colman) décide de partir le premier, pour éviter que ses deux frères soient suspects. Digby (Neil hamilton) part ensuite et enfin John (Ralph Forbes): ils vont tous s'engager dans la légion étrangère française...
C'est de l'aventure telle qu'elle se concevait entre la fin du XIXe siècle, et les quarante premières années du XXe. Une aventure dominée dans la plupart des fictions par l'image tutélaire de l'Angleterre, des comportements héroïques plus grands que nature, incarnés ici par trois frères dont l'amour les uns pour les autres "est plus fort que la peur de la mort"... Une aventure qui ne pouvait s'accomplir que dans des endroits reculés, forcément exotiques: le contexte de la légion Etrangère permet le recours au Sahara, et à ses mystérieux Touaregs, enveloppés d'un flou artistique savamment entretenu en même temps que d'étoffes protectrices... Le désert et ses batailles ensablées deviennent les éléments décoratifs d'une aventure absolue, enfermée à la fois dans le destin fatal de ses protagonistes, et dans les clichés sagement accumulés pour satisfaire le spectateur venu les chercher dans les salles obscures. Mais comme de juste, cette aventure rocambolesque qui commence par la disparition mystérieuse (et qui ne sera élucidée qu'à la fin) d'un bijou, est en fait construite, d'une certaine façon... sur du vide.
C'est donc un film extrêmement bien fait, par un orfèvre en la matière. Brenon n'était sans doute pas l'un des plus importants metteurs en scènes Américains du temps du muet, ni l'un des plus inventifs. Mais il savait ce qu'il faisait, et son savoir-faire combiné à, semble-t-il, un certain autoritarisme, débouchent à l'écran sur du particulièrement solide!
Et puis, dans cette histoire certes convenue, on aura le plaisir de revoir des acteurs de premier plan et des seconds rôles qui ne sont pas n'importe qui: Ronald Colman, Noah Beery (en officier qui aurait sans aucun état d'âme pu commander le Bounty!), Victor McLaglen, et l'inévitable William Powell en félon... Classique.
M. et Mme Sharp (Sidney Drew et Jane Morrow) ont du souci à se faire: ils sont fauchés, et pas l'ombre d'un emploi à l'horizon. Mais un matin, la lecture d'un journal apporte une opportunité: une entreprise qui promet à ses futurs partenaires un afflux massif d'argent, la possibilité de gérer des fonds d'investissement autour d'une mine louche... M. Sharp s'y précipite avec deux amis, et très vite il amasse un petit pactole impressionnant... Qu'il confie à son épouse en lui demandant de ne rien faire, car "tu n'as aucun sens des affaires". Pour lui prouver qu'il a tort, elle décide d'investir... dans la fameuse mine. Et par dessus le marché, la police s'intéresse de plus en plus à ces activités...
C'est formidable: loin, aussi loin que possible des comédies burlesques qui commençaient à se fabriquer à la chaîne en Californie, ce film s'installe dans l'univers des Etats-Unis de 1915, leur capitalisme agressif, et l'art de la combine propre à l'esprit d'entreprise. Il le fait sans la moindre volonté de revendication sociale, mais tout simplement en observateur...
Et la comédie est subtile, inventive, et pleine de ces petites touches visuelles et de ces richesses de jeu: quand Drew donne le tuyau à ses copains, il leur offre une cigarette à chacun, avant d'allumer un énorme cigare! Le ton est donné, on sait qui sera le patron... Pour couronner le tout les intertitres sont rédigés en vers. C'est chouette!
C'est le premier film d'Alfred Hitchcock, et si le Maître lui-même n'a pas beaucoup vanté les mérites de ce film, préférant considérer son troisième long métrage (The Lodger, son premier film policier, ceci expliquant cela) comme le premier de ses "vrais" rejetons, il vaut bien mieux que ce que le metteur en scène pouvait en dire. Il est vrai que la situation était probablement frustrante: comme The mountain Eagle, son deuxième film (Dont aucune copie n'a survécu), The Pleasure Garden est un film Britannique, mais tourné par le producteur Michael Balcon dans les studios Allemands. Hitchcock se trouvait donc confronté à un cinéma riche (Il aurait selon la légende assisté à quelques heures de tournage de Faust de Murnau!!) et inventif, tenté de suivre cette voie, mais contraint de rendre une copie aussi tiède que possible à ses commanditaires Anglais. Pourtant, ce mélodrame haut en couleurs et fort en improbabilité est tout sauf commun...
On y assiste à la rencontre entre deux femmes, Patsy, une "chorus girl" (Virginia Valli) qui travaille dans la boîte "The Pleasure garden", et Jill, une aspirante danseuse que Patsy accueille chez elle. Sous l'apparence d'une oie blanche (Elle s'agenouille pour prier avant de se coucher), elle est en fait dotée d'une redoutable ambition. Lorsque Hugh, le petit ami de Jill débarque, celle-ci lui promet monts et merveilles mais s'offre à des mécènes, pendant que Patsy qui est vaguement amoureuse de Hugh cède à la cour effrénée du partenaire de celui-ci, et accepte sa proposition de mariage. Mais les deux hommes doivent repartir pour les colonies pour des raisons professionnelles, et Patsy ne sait pas que son mari est en ménage avec une indigène...
Il y a de tout dans ce premier film d'Hitchcock, de tout et même de n'importe quoi... D'une part, HItchcock utilise le monde du spectacle pour montrer un microcosme, comme il le refera souvent durant sa période Anglaise, et il montre surtout son amour des petites gens, incarnés par Patsy, par opposition à l'ambition démesurée de Jill, et aux hommes riches et au monde faux qui l'entourent. Puis il questionne les sentiments des uns et des autres avant de nous montrer, de façon surprenante (Dans une des meilleures scènes du film, bien sûr), son premier meurtre. Il le tourne de façon frontale: endu fou probablement par les fièvres et l'alcool, un homme entre dans l'eau pour rejoindre sa petite amie, indigène de l'île où il séjourne. Elle croit qu'il veut la prendre dans ses bras, et en toute confiance vient vers lui... alors qu'il va l'étrangler.
Pourtant, la meilleure partie est sans doute à trouver au début du film, et nous démontre que dès ses débuts dans la réalisation en solo (après avoir étudié tous les aspects du cinéma), le metteur en scène savait comme personne camper un univers, et bien qu'il le faisait en Allemagne, cette efficacité renvoyait à son affection profonde pour le cinéma Américain... Quand on entre de plain-pied dans le music-hall où est située l'action, on jurerait qu'on va assister à un film de Harold Lloyd, et cela continue avec la description des vieux messieurs fortunés qui s'intéressent d'un peu trop près aux jeunes aspirantes artistes!
Une curiosité, certes, qui a souffert des ravages du temps... Mais quelle carrière... et ce n'était que le début.
Aux côtés d'un Paul Fejos ou d'un Orson Welles, Richard Oswald était un cinéaste bourlingueur, d'abord en Europe, puis aux Etats-Unis où sa fuite du régime nazi l'avait conduit. Si sa carrière à Hollywood s'est surtout effectuée dans la série B, le réalisateur actif dès les années 10 avait conservé un certain prestige jusqu'à la fin du cinéma muet, et ce long métrage de 1928 est une co-production dominée par les Italiens.
C'est l'un des atouts de l'Italie Mussolinienne: à travers son cinéma, le pays pouvait essayer de répandre un semblant de prestige, mais devant les trois mastodontes cinématographiques qu'étaient l'Allemagne, les Etats-Unis et la France, le pays ne pouvait vraiment rivaliser, d'où un système de co-productions qui assurait la possibilité d'exporter plus certainement des films. Ca passait aussi par des collaborations avec des cinéastes importés, comme en témoigne ce film. Notons que la copie visionnée attribue le film à Giulio Antamoro et Richard Oswald, mais il se peut que ce soit un geste contractuel et chauvin, en d'autres termes pour satisfaire Mussolini, une belle production cinématographique devait être considérée comme au moins partiellement accomplie par un Italien.
Au-delà de ces considérations d'économie du cinéma, le film est un mélodrame bien dans la ligne de ce que les Européens produisaient à l'époque: un jeune poête (Hans Stüwe) loue une villa à un couple, afin de se rapprocher d'une jeune femme de la noblesse (Eve Gray) qu'il souhaite courtiser. Mais alors qu'il s'installe avec son cercle d'amis, il est subjugué par le charme mystérieux et l'apparente fragilité de son hôtesse (Maria Jacobini), et commence à remarquer que celle-ci a peur de son mari (Clifford McLaglen), une brute... Le jeune homme est de plus en plus attiré...
C'est un drame classique, divisé en cinq parties (des actes, à l'Allemande, donc), qui tourne autour non seulement du poête et de ses hôtes, mais aussi de tout une faune de gens de la bonne société, des acteurs et actric es, poêtes et écrivains, qui n'ont finalement pas grand chose de plus à faire que de se lancer dans des intrigues amoureuses... Au milieu de ce parterre assez conventionnel (c'est le cadre de tant de films européens), le personnage de Vittorio, la brute, tranche de façon assez salutaire.
Le film commence par l'arrivée de Campana, le poête, à la villa, et il est intéressant de voir comment le spectateur est amené dans ce lieu élégant avec son jardin magnifique... Le choix de faire de la villa une sorte de personnage, permet au film d'avoir une véritable prestance, c'est vrai, mais on aurait aimé que ça passe aussi un peu par la mise en scène. Des séquences apparaissent comme presque gâchées par manque d'ambition, comme celle durant laquelle Vittorio perd son épouse au jeu. Maria Jacobini la sauve partiellement par un jeu solide, dans lequel elle utilise avec brio son regard, mais voilà: là où l'année suivante Oswald saura utiliser les ressources de la lumière et de l'ombre avec plus d'efficacité dramatique (une version du Chien des Baskerville, partiellement retrouvée il y a peu), ici, il se cantonne à un registre "chateau et jardins" qui fera parfois bailler, même avec classe.
On n'a pas conservé beaucoup des premiers films de Germaine Dulac... Par exemple, il ne restait jusqu'à 2020 plus que deux séquences à peu près cohérentes de ce film, premier script de Louis Delluc. C'était une grande perte si j'en crois Henri Langlois, grand admirateur du film et qui lui l'avait vu en entier. Aujourd'hui, depuis la découverte d'une copies fragmentaire, on en possède le tiers, et la Cinémathèque Française a pu enfin en donner à voir une continuité, sur 26 minutes, qui restituent l'argument principal ainsi que son style si particulier.
Eve Francis y interprète une femme, Soledad. Elle est danseuse, et s'est plus ou moins retirée, et deux hommes, deux propriétaires terriens (Gaston Modot et Jean Toulout) sont très amis mais l'un comme l'autre sont aussi fous amoureux de la mystérieuse danseuse. Pendant qu'ils s'entretuent dans un geste aussi chevaleresque qu'absurde, elle se laisse séduire par un jeune homme qu'elle a subjugué...
Le film est d'une impressionnante amertume, incarnée en particulier par la lassitude d'Eve Francis qui se retrouve en chaînon manquant entre Asta Nielsen (la danse chaloupée, qui renvoie à L'abîme d'Urban Gad) et d'un coté les divas Italiennes, les Francesca Bertini et Pina Menichelli, et de l'autre les futures stars Greta Garbo ou Marlene Dietrich... La quête romantique ultime ("Puisque nous sommes amis et que nous l'aimons tous deux, massacrons-nous mutuellement") est raillée par une fin d'une méchanceté particulièrement notable. Le scénario de Louis dellux, servi par la réalisation de Germaine Dulac, joue une partition forte et provocante. Le voir ainsi enfin un tant soit peu représenté de façon plus continue, dans un cadre impeccable (ces plans nocturnes du duel), est essentiel...
Le film a l'air de bénéficier de plans "volés" lors de véritables célébrations populaires, et semble anticiper toute la vague dite "impressionniste" du cinéma Français: Delluc bien sur, mais aussi Epstein. Dans le fragment auparavant disponible, ces éléments prenaient toute la place, ce n'est heureusement plus le cas... Et on est devant un foisonnement à des années-lumières de la rigueur sage de La cigarette, l'autre film conservé réalisé par Mme Dulac en 1919. On comprend que ce fut un classique. Il ne nous est pas restitué, mais on peut commencer à en deviner les contours...
La descente aux enfers d'un caissier (Ernst Deutsch), qui a été subjugué par une cliente de sa banque (Erna Morena) et qui est poursuivi par une figure de la mort (Roma Bahn), qui l'a poussé a suivre son destin... Pour commencer, il a pillé sa banque, et est désormais en fuite.
C'est une adaptation d'un roman qui suivait la vogue de l'expressionnisme... mais le film, lui-même, était dans la lignée du Cabinet du Dr Caligari, de Robert Wiene, un film avant-gardiste qui ferait presque pâle figure devant celui-ci! Martin, complètement investi dans son sujet (qu'il signe en se faisant appeler Kunstler, et non Regisseur, comme si son art était au dessus de la mise en scène de cinéma), a en effet demandé à ses acteurs et décorateurs un jeu et un film expressionnistes, mais contrairement à Caligari qui repose finalement sur assez peu d'effets spéciaux, celui-ci regorge de tentatives: surimpressions, fondus, arrêts de caméra, on verra dans cette évocation d'une nuit de cauchemar un grand panel de techniques qui seront bien sûr toutes des constantes du cinéma Allemand des années 20, y compris (j'aime à le rappeler) quand il n'aura plus rien à voir avec l'expressionnisme.
A tout ceux qui confondent cinéma Allemand de Weimar et expressionnisme, ceci c'est le vrai! Un style fou, basé sur des décors distordus et une présence visible de la scène théâtrale: derrière le décor en carton-pâte, impossible de ne pas voir qu'on est en studio! Le fiml est outrageusement exagéré, et ne manque pas d'humour... ni de petites scories énervantes, typiques du cinéma de l'époque. Difficile de le prendre tellement au sérieux, pourtant, et à mon avis, aussi bien le réalisateur, que les acteurs (Erna Morena, à la plastique impeccable, qui assume des poses très "caligariennes", ou encore les maquillages outranciers...), se sont bien amusés, tout en délivrant, genre oblige, de sombres messages, sur la condition humaine, condamnée au lucre, au stupre et à la fuite en avant vers les tréfonds des enfers! Bien sûr, l'amusement a ses limites, et le film aussi, qui part parfois dans un peu toutes les directions. ...Mais tête baissée.
Ce long métrage montre, en sept chapitres, un petit historique des avancées de la science en matière de connaissances de la physique élémentaire, et des forces de la nature. Le titre peut se traduire assez aisément par Les merveilles de la création...
Hanns-Walter Kornblum avait déjà réalisé un film du même genre, consacré à la théorie de la relativité d'Einstein, en 1922, qui est aujourd'hui quasiment intégralement perdu: Die Grundlagen der Einstein-Relativitäts Theorie. Il y avait expérimenté, de façon gourmande j'imagine, un mélange rigoureux et très esthétique d'animation, d'effets spéciaux, avec des planètes en volume et des maquettes très "lisibles", et de prises de vues réelles, sensées illustrer le propos...
Le film se situerait presque du côté de la science-fiction, quand il essaie de nous entrainer avec lui vers Mars! Le ton est surprenant, le film d'une grande beauté plastique, et parfois, notamment les scènes qui représentent (et expliquent) la gravité, vous laisse sans voix! Et tout cela ne manque en prime pas d'humour, convoquant même Gulliver chez les Lilliputiens...
Kihachi (Takeshi Sakamoto) et Jiro (Den Obinata) sont deux amis, des ouvriers d'une distillerie. Kihachi vit avec son fils, Tomio, qui est probablement plus mûr que lui! Les deux amis rencontrent une jeune femme, Harue (Nobuko Fushimi), et commencent donc à développer une rivalité amoureuse. Si Kihach a tendance à jouer à fond la carte du père célibataire, il se le voit aussi beaucoup reprocher...
Le personnage de Kihachi reviendra dans un certain nombre des dernières comédies muettes d'Ozu, interprétées par le même acteur. Le metteur en scène, qui a pourtant toujours été assez versatile dans cette période, commence à stabiliser son art autour de la comédie familiale, douce-amère, et le personnage bourru, mal dégrossi, même vulgaire (il préfigure presque le paysan devenu soit-disant amouraï par dépit, incarné par Toshiro Mifune dans Les sept Samouraïs de Kurosawa...) incarne parfaitement son idéal comique: un personnage de rustre, interdit de sophistication, mais pour lequel la famille est la plus importante chose du monde, et son fils en est le centre...
Mais la comédie, justement, est saupoudrée dans le film, grâce évidemment au comportement grossier mais lunaire de Kahichi, qui est assez clairement inspiré de Chaplin; et Ozu multiplie les gags, comme ces merveilleuses séquences au début du film, qui nous montre des contagions de comportements (un type d'humour qu'adoraient Chaplin, Stan Laurel et Jacques Tati): trois amis pendant une soirée théâtrale se refilent un porte-monnaire vide comme un sparadrap dont on n'arrive pas à se débarrasser, puis l'un d'entre eux, qui se gratte en permanence, semble semer ses bestioles à toute l'assemblée!