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12 janvier 2020 7 12 /01 /janvier /2020 12:32

On oublie parfois que Louis Feuillade n'est pas que l'homme des Fantômas, des Vampires et de Judex... Qu'au-delà de son oeuvre policière et vouée au mystère, le metteur en scène a aussi fait preuve d'une versatilité impressionnante, passant allègrement durant ses années à la Gaumont d'un genre à l'autre, avec les mêmes interprètes le plus souvent.

L'agonie de Byzance raconte la chute de la capitale de l'empire Byzantin, à l'arrivée des troupes Turques du sultan Mahomet II (Albert Reusy). En trois jours, la ville défendue par les derniers soldats de l'empereur Constantin, va se faire prendre par une troupe détermine, et qui ne rigole vraiment pas...

Ce film de 1913 fait partie des spectacles grandioses et édifiants de la firme à la marguerite, et on aurait attendu un Etienne Arnaud ou un Gérard Bourgeois pour le tourner, dans la mesure où ce type de production était leur spécialité. Mais ici, Feuillade traite le sujet selon sa volonté, et s'est fixé pour ambition de réaliser une super-production selon les standards de l'époque. La plupart des décors sont donc en carton-pâte, et l'interprétation (Luitz-Morat en empereur Constantin, et Renée Carl, Edmond Bréon, ou George Melchior en personnages divers) est également d'une grande fausseté, selon les canons théâtraux en vigueur.

Mais la structure du film, qui conte une inéluctable débâcle par le menu, qui s'efforce de se placer selon le point de vue des victimes tout du long, et qui maintient l'intérêt par un usage consommé de la profondeur de champ, force le respect; en particulier Feuillade choisit de traiter les épisodes de l'invasion en montrant l'arrivée des Turcs depuis le fin fond de la scène, pour un effet d'une grande violence. Il ne nous épargne pas le traitement toujours fantasmé (le français étant toujours le champion incontesté de l'islamophobie) des femmes, assujetties avec un sens du détail ici, qui ne fait certes pas dans la dentelle... Et ce n'était pas une métaphore.

 Bien sûr, les Italiens feront dix fois mieux dès l'années suivante, mais Feuillade avec ses centaines de figurants (comptez-les!) et son goût mesuré du sensationnel, n'oublie jamais de satisfaire le public... Même s'il abandonnera bientôt cet attrait pour le traitement de l'histoire, au profit de son univers de romans-feuilletons...

 

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Published by François Massarelli - dans Louis Feuillade 1913 Muet
18 août 2019 7 18 /08 /août /2019 14:08

Les deux enfants du titre, un garçon d'une dizaine d'années et une jeune adolescente presque femme, s'allient à un noble et son épouse qui ont eu par un marin qu'ils emploient que le Capitaine Grant, disparu en mer, serait toujours vivant: une bouteille a été trouvée, avec un message mystérieux dedans. Aidés d'un scientifique un peu excentrique, ils vont parcourir la Cordillère des Andes, l'Amérique du Nord, l'Australie et la Nouvelle-Zélande à la recherche du marin disparu...

En quatre bobines, les aventuriers imaginés par Jules Verne, sorte de panel idéal pour une aventure tous publics, et sans arrières-pensées, passent à la moulinette de toutes les péripéties, Jasset ne se privant pas d'un de ses péchés mignons, le suspense avec un train. Bien sûr, la vision de l'aventure un peu naïve, tout comme celle, odieuse, des Aborigènes, appartiennent à leur époque...

Ce film, qui est du autant à Jasset qu'au scénariste Michel Verne, le fils, illustre la façon de faire du cinéaste quand il se laissait aller à la fantaisie, sans passer par ses histoires de bandits internationaux. Ca bouge, ça part dans tous les sens et ça fait montre d'une vitalité cinématographique permanente, avec du suspense cela va sans dire. Le film, comme le roman, se résout dans un retournement des plus mélodramatiques, sans un gramme de crédibilité... Au moins il se finit bien!

Par contre c'est l'une des dernières oeuvres de Jasset, mort cette même année. Le film n'est sorti qu'en 1914, et est attribué à Jasset et l'acteur Henry Roussel, qui a très certainement pris le relais et fini le film à la place de son auteur d'origine.

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Published by François Massarelli - dans 1913 Muet Victorin-Hyppolite Jasset Eclair
2 août 2019 5 02 /08 /août /2019 09:19

Camille de Morlhon a la dangereuse réputation d'être un faiseur, à la chaîne, de films vite faits mal faits qui sacrifiaient à tous les pires clichés des genres populaires, mais on ne voit pas ses films à l'exception de quelques projections à la Cinémathèque, qui par l'entremise de l'historienne Renée Lichtig, passionnée et regrettée, a restauré tout un pan de son oeuvre... La Broyeuse de Coeurs est disponible sur un ensemble de DVD peu banals, puisqu'ils sont entièrement consacrés à ces films que Franz Kafka a commentés dans des correspondances privées et autres journaux intimes.

Pierre (Pierre Magnier) et Marthe (Clémence Liceney) s'aiment et vont se marier, mais lors d'une réunion de son cercle, il rencontre la fascinante Ida Bianca (Léontine Massart), chanteuse et artiste. C'est le coup de foudre... Il utilise les prétextes les plus classiques pour ne pas honorer ses rendez-vous avec sa fiancée, et celle-ci le prend en flagrant délit: attablé à un café en compagnie de la chanteuse... Marthe, le coeur brisé, est guettée par la tuberculose, et part se refaire une santé dans les Pyrénées, mais elle croise Pierre et Ida qui sont en panne sur la route de l'Espagne... Et Ida rencontre un autre homme, un toréador: voila que ça la reprend...

On est en plein mélodrame classique, avec un jeu souvent ampoulé... Je ne sais pas si tout ce petit monde prend très au sérieux cette histoire dont on a par ailleurs gommé certains aspects scandaleux, puisque Pierre et Marthe ne sont pas encore mariés. Du coup, l'adultère n'en est pas tout à fait un... Quelques passages surnagent, dont des échanges enflammés de regards entre Magnier et Massart, ou encore le voyage aux Pyrénées, qui permet à Morlhon de photographier de magnifiques paysages... Sinon, il s'inspire directement du cinéma Italien et de ses actrices passionnées, en présentant le numéro de music-hall de la chanteuse, accompagnée de surimpressions de flammes...

 

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Published by François Massarelli - dans Camille de Morlhon Muet 1913
31 mai 2019 5 31 /05 /mai /2019 17:03

C'est de la mer que viendra l'aventure, ou tout du moins l'intrigue de ce film: un bateau brûle au large d'un petit village côtier du Finistère, et le sauvetage s'organise. Dans une maison, les femmes sont inquiètes et nous faisons la connaissance d'Annaïck (Yvonne Mario), une jeune Bretonne qui vient de sortir en chemise de nuit de son lit clos pour s'enquérir de l'agitation qui vient de prendre tout le village... 

C'est frappant, comment Mariaud réussit, dès le début de son film, à camper de façon totalement tangible à la fois le décor, ses traditions, la vérité des corps et des métiers des uns et des autres: les vieilles pierres des maisons, dont les murs ont été usés par les embruns, le pavé rustique, les rues étroites... et les sauveteurs qui mettent le bateau à la mer pour aller secourir les victimes: on est en Bretagne, ça ne fait aucun doute.

Puis au retour des matelots, l'intrigue proprement dite va pouvoir commencer: seul rescapé du naufrage, un mystérieux jeune homme est devenu amnésique. Annaïck va se charger de lui, lui faire reprendre pied dans la vie, avec douceur et patience... Mais aussi avec des contes de fées auquel elle va l'intéresser. Mais ce sera justement l'un d'entre eux, qui révélera l'identité du jeune homme, au grand dam de la famille qui l'avait recueilli, et surtout d'Annaïck qui perdra plus qu'un ami.

Ce film superbe prouve qu'il n'y avait finalement pas que Feuillade et Perret à la Gaumont avant 1914: Mariaud, l'un des cinéastes les plus mystérieux qui soient, avait lui aussi un talent visuel distinctif, qui éclate dans la façon dont il traite le cadre dans ce beau film. A bonne distance des acteurs, mais juste de quoi leur donner le champ nécessaire pour composer une certaine vérité. Le jeu est sobre, contenu, mais suffisamment expressif pour aller droit au but...

Et Maurice Mariaud (au fait, ne serait-ce pas lui qu'on voit dans les premiers plans, sonner l'alarme après avoir repéré le bateau qui brûlait?) s'est déplacé jusqu'en Bretagne, et il n'y est pas allé pour rien: sa séquence de sauvetage, dont il se sert précisément pour camper son décor et ses personnages, est fort belle et bien vue, et la façon dont il se sert aussi de la pierre, mais aussi de l'authenticité des intérieurs sombres, de la texture boisée du lit clos, nous transportent aussi sûrement qu'un TGV! Ce qui ne l'empêche pas de montrer, à partir de sources de lumière pas forcément évidentes, de jouer avec brio sur l'éclairage, pour souligner l'angoisse de la jeune femme restée à la maison, durant le sauvetage dramatique, et pour montrer la tranquillité de la petite communauté réunie à la veillée, et éclairée depuis le modeste foyer de la cheminée.

On reparlera de ce cinéaste, d'autant que Frédéric Monnier, au terme de plusieurs années de recherches pour reconstituer le parcours du cinéaste méconnu, et explorer sa filmographie (moins d'une vingtaine de films sur 40 ont survécu), vient de lui consacrer un livre. La nouvelle est d'importance, et elle a été assez peu relayée dans les médias: un oubli à réparer, en se procurant l'ouvrage, accompagné d'un double DVD contenant une poignée de films. ...Quand je vous disais qu'on en reparlerait!

Pour se procurer cet ouvrage: http://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100222630&fa=details

 

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1913 Maurice Mariaud
11 février 2018 7 11 /02 /février /2018 09:47

Le temps qui passe n'est pas tendre parfois. Ici, sa victime est le titre conçu pour être sensationnel de ce film, le troisième long métrage de la série des Fantômas, réalisés avant la guerre par Louis Feuillade pour la maison Gaumont. Si ça sonnait volontiers mystérieux en 1913, l'effet produit plus de cent années plus tard est plutôt un ridicule achevé... Et pourtant on ne peut pas rêver de titre plus approprié que celui-ci pour cet étrange film, et du reste c'était aussi le titre du troisième roman de Souvestre et Allain, comme pour les deux oeuvres précédentes. 

La durée du film est étonnante à plus d'un titre: à 97 minutes, c'est un long film qui nous est proposé, à une époque où la règle était plutôt de limiter les films en dessous d'une heure fin de proposer plus de variété dans le programme des soirées cinématographiques. C'est une preuve du succès de Fantômas, qui pouvait désormais soutenir à lui seul l'essentiel d'un programme. C'est aussi afin de rappeler la place de la Gaumont, qui a une double concurrence avec l'importance de Pathé d'une part et de Eclair d'autre part. Ces derniers, d'ailleurs, ont depuis longtemps privilégié les films à épisodes plus longs que de coutume sous la direction de Victorin Jasset, auquel on peut quand même penser que Feuillade doit beaucoup...

Quand Le mort qui tue commence, tout est bouleversé: le diptyque inaugural (A l'ombre de la guillotine et Juve contre Fantômas) a fini par voir le petit monde de Fantômas chamboulé: une explosion initiée par le bandit insaisissable a eu raison de la villa de Lady Beltham, et Fandor (Georges Melchior) en a réchappé de justesse; gravement brûlé, il y a perdu son ami Juve (Edmond Bréon), dont le corps n'a malheureusement pas été retrouvé...

...Un indice chez Feuillade qu'on peut décoder facilement: on reverra Juve, probablement sous les traits d'un autre.

Néanmoins, l'absence du policier se fait sentir, ne serait-ce par le fait que le jeune journaliste, en dépit de la perte de son ami, va continuer la lutte contre le crime. Mais elle lui est plus difficile. Et surtout l'influence de Fantômas continue à s'étendre et à prendre des formes inattendues: l'essentiel de l'action de ce Mort qui tue tourne autour de la disparition du jeune Jacques Dollon (André Luguet), un artiste qui est accusé à tort d'un crime (nous assistons à la machination ourdie par Fantômas afin qu'il fasse un coupable parfait). Arrêté, il est étranglé dans sa cellule par le fourbe garde Nibet (Naudier) qu'on a déjà vu à l'oeuvre dans les films précédents. Mais après que les autorités ont constaté sa mort, il disparaît. Son cadavre est récupéré par Fantômas, qui se livre à une manipulation sur le corps...

Quelque temps plus tard, des méfaits sont à nouveau perpétrés (Vol nocturne de bijoux, meurtre, etc), mais les empreintes qu'on retrouve sur les lieux sont celles de Dollon. Fandor se passionne pour l'enquête...

Le film est à nouveau structuré en parties, au nombre de six.  Ce qui du reste correspond au nombre de bobines, mais elles sont d'une durée très irrégulière. Ce qui frappe le plus dans ce film, c'est à quel point l'absence de Juve semble déséquilibrer le tout, en précipitant le spectateur hors de sa zone de confort. Feuillade attend beaucoup de ses admirateurs ici, en leur détaillant le plus souvent les machinations sur des laps de temps assez long, et en leur faisant confiance pour suivre sans leur donner les clés tout de suite. Et l'un des plaisirs de tout film criminel de Feuillade, cet arbitraire baroque, prend de plus en plus de place: on devine assez vite le pot-aux-roses, mais il est d'une totale improbabilité. Peu importe: cette histoire de "gants de peau humaine" pour reprendre le titre du dernier chapitre, est d'une logique imperturbable tant qu'elle reste dans le cadre de la fiction.

Et derrière cette histoire étirée sur la durée d'un long métrage, Feuillade prend son aise, semble s'échapper des traditions observées dans les deux premiers Fantômas. Tout en délivrant une adaptation de bonne facture des oeuvres de Souvestre et Allain, le metteur en scène prend aussi le pouvoir et commence à affiner son style, mélange d'une énonciation claire et méthodique, et d'une dose de plus en plus grande d'absurdité froide et ironique: le cocktail des futurs Vampires, tout simplement.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1913 Louis Feuillade Noir
10 février 2018 6 10 /02 /février /2018 16:02

Le film commence exactement comme le précédent, avec une galerie des déguisements de René Navarre, alias Fantômas. Sauf que... cette fois, on y ajoute aussi les différents déguisements de Bréon, alias Juve, le limier qui s'attaque au redoutable bandit. On pourra d'ailleurs constater que contrairement à sa réappropriation tardive par Louis de Funès dans les films de André Hunnebelle, le Juve de Souvestre, Allain et Feuillade, interprété par Edmond Bréon, est un excellent policier, pas un inspecteur Clouseau d'occasion! Et s'il est arrivé au terme du premier film à la conclusion personnelle qu'il lui faudrait, à lui et à son ami Fandor (Georges Melchior), tout faire pour contrer le génie du crime, ce film nous montre précisément les effets de cette décision. Et donc, comme le bandit, les justes vont mentir, se déguiser, dans un mélange des genres qui rend le film policier si satisfaisant.

Au début de ce film en quatre parties (Dont les titres sont on ne peut plus évocateurs: La catastrophe du Simplon-Express; Au crocodile; La maison hantée; L'homme noir), on commence à entrer dans le vif, dans la légende de Feuillade: le metteur en scène nous montre Juve et Fandor payer de leur personne, se séparant l'un pour suivre un apache, l'autre pour suivre une jeune complice des bandits (Yvette Andreyor): la poésie infinie des poursuites en voiture dans un Paris qui n'a pas encore été envahie par les véhicules à moteur, dans des images largement volées par les opérateurs Gaumont est toujours aussi efficace plus d'un siècle plus tard. De même, la soudaine fusillade, sur les quais de scènes, à laquelle se livrent les bandits de la bande de Fantômas sur Fandor et Juve, est-elle un grand moment d'évasion garantie!

Tout le film en fait, semble étirer l'univers de Fantômas tel qu'il a été établi par le premier film, en y ajoutant du sensationnel cinématographique. Le meurtre au python, les hommes en noir et masqués, les coups de théâtre... Tout y est, dans un deuxième volet qui fait plus que de prolonger le plaisir: il le ravive. Et grand inventeur de forme, Feuillade s'amuse avec ses situations, qui influenceront grandement Fritz Lang: une scène d'attaque dans un train resservira par exemple pour son film sans doute le plus dans la lignée des Fantômas: Dr Mabuse, der Spieler.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1913 Louis Feuillade Noir
10 février 2018 6 10 /02 /février /2018 09:02

Fantômas, le personnage créé par René Souvestre et Marcel Allain, est tout au plus un signe, un prétexte: le premier à l'avoir compris, et à s'être dit qu'il y avait là une formidable opportunité cinématographique, c'est Feuillade. Et pourtant, rien dans sa vie et dans ce qu'il était ne prédisposait ce négociant en vin de Lunel à devenir le principal pourvoyeur de frissons criminels cinématographiques: bon catholique à la mode pré-1905, d'opinions conservatrices pour ne pas dire réactionnaire (On lui prête volontiers un royalisme militant), et travaillant pour la très comme il faut firme Gaumont, Feuillade ne paraît pas vraiment correspondre au profil... Mais Feuillade, venu au cinéma par hasard, possède en commun avec d'autres, parmi lesquels certains seront ses disciples (Lang, Hitchcock) une compréhension instinctive de la façon dont devrait fonctionner le septième art. J'utilise un conditionnel à dessein: au moment d'entamer la saga Fantômas, avec ce premier de cinq films, le metteur en scène n'a pas encore défini les canons du genre.

Donc, Fantômas, introduit dans les romans comme un énigmatique personnage qui n'est personne, nous est dévoilé sous les traits passe-partout de René Navarre, et l'ensemble de ce premier film tourne justement autour de l'insaisissabilité, de l'infaillibilité même de Fantômas: c'est probablement qu'il n'existe pas. Et la lutte permanente, acharnée, dans laquelle se plongent ses ennemis jurés Juve (Edmond Bréon) et Fandor (Georges Melchior) est d'autant plus cruciale pour eux qu'elle les définit... Sans Fantômas, le personnage du flic aguerri mais toujours distancé par le génie du mal, et celui du journaliste valeureux mais qui ne reste au fond qu'un apprenti de son ami plus âgé, ne peuvent exister car il n'ont aucun sens.

C'est paradoxal, car qui est Fantômas? Dans le film, il est toujours un autre: une silhouette intrigante, dotée d'une barbe postiche, qui apparaît soudain derrière un rideau derrière une belle dame qui ferait bien de planquer ses bijoux; un garçon d'ascenseur, ou du moins un faux garçon d'ascenseur dont le déguisement (pris sur un pauvre bougre qui n'avait rien demandé à personne) permet à celui qui le porte de se tirer vite fait bien fait d'un mauvais pas; Fantômas est le riche Gurn, qui possède et envoûte sa maîtresse, la veuve Lady Beltham (Renée Carl) prête à tout sacrifier pour lui. Fantômas, enfin, est une de ces cartes de visite que le maître du crime laisse partout derrière lui; un seul mot, Fantômas, écrit à l'encre sympathique... Pire: parfois avoir Fantômas en ses mains revient à ne rien avoir du tout: quand on s'apprête à exécuter Gurn, c'est un autre qui est entre les mains de la police. Allain et Souvestre le décapitent, mais Feuillade le sauve: il n'est qu'un sous-fifre.

Avec Fantômas, Feuillade invente un genre policier qui n'a ni début ni fin, il raffine ses épisodes dans lesquels on entre comme en mouvement: l'affaire est, le plus souvent, déjà entamée; Fandor et/ou Juve lit un article du Gaulois, et l'investigation est bien sûr au point mort. La fin sera toujours un moment durant lequel le criminel, à deux doigts d'être pris, échappe à la justice. Et si ce n'est pas le cas, c'est qu'il a un plan... Du coup, le crime devient sans solution, et le mal éternel. Tout le feuilleton cinématographique à venir est dans ces quelques principes. Et ce qui fascine chez Lang, justement, dont Mabuse est clairement un héritier de Fantômas, est déjà présent dans l'oeuvre de Feuillade: les codes, les secrets, les fausses identités, les déguisements (tous les films commenceront par ces visions en gros plan générique de Navarre, qui expose ses visages au public comme Mabuse le fera en 1922. 

On pourra bien sûr objecter que Feuillade est souvent lent, démonstratif; qu'il n'utilise quasiment jamais le montage, qu'il impose à ses acteurs de faire tous les mouvements d'une action au-delà du nécessaire, ce qui contredit l'impression fragmentaire d'un crime déjà en cours, qui ne parviendra pas à sa fin. Mais Feuillade, certes concerné par le principe de l'efficacité de la narration, souhaite l'obtenir par l'énonciation méthodique, plutôt que par l'impressionnisme du montage, ou les non-dits de l'ellipse. Et il en tire une logique interne et une fluidité narrative impressionnante: quand Fantômas, qui vient de faire une action d'éclat au troisième étage d'un hôtel particulier, quitte la chambre, il est cuit: la maréchaussée sera sur les lieux avant qu'il ait pu fuir. Il va prendre l'ascenseur, en compagnie d'un garçon qu'il met hors d'état de lui nuire, et on va voir ensuite l'ascenseur descendre 3, 2, 1 étages avant d'arriver au rez-de-chaussée. Quand Navarre en sort, débarrassé de sa barbe, costumé en uniforme, il est désormais parfaitement logique qu'il échappe à la police et à la sécurité de l'hôtel, qui commence à s'organiser. A la fin de la scène,  non seulement le spectateur sait exactement ce qui s'est passé, mais en prime il a assisté au génie en action, et d'une certaine façon (ce n'est bien sûr jamais dit) il est aux côtés de Fantômas, complice en frissons délectable. on est à l'époque du théâtre du Grand Guignol, après tout... Et puis, un fait qui aura une descendance chez Lang aussi bien que chez Hitchcock, surtout: le spectateur a une longueur d'avance sur ses héros Juve et Fandor.

Et pour conclure si en apparence la morale du fil, derrière Juve et Fandor, est placée du bon côté de la loi, le fait est qu'on attend à la fin de pouvoir y retourner. Bref il est clairement souhaité que Fantômas agisse, de nouveau, et nous surprenne. On le suivra... Ce Fantômas est donc l'apparition définitive, surprenante, inattendue, d'un genre et de quelques-uns de ses codes essentiels. Une apparition qui aujourd'hui encore n'a pas perdu sa superbe, ni son charme ironique... Les surréalistes ne s'y sont pas trompés, et ils avaient raison.

 

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Published by François Massarelli - dans Louis Feuillade Muet 1913 Noir
31 juillet 2017 1 31 /07 /juillet /2017 22:04

Il ne reste qu'un fragment de ce film, à peu près toute la première bobine, sur cinq. Des 78 à 80 minutes originales, seules subsistent 16 minutes, sauvegardées d'après deux copies très fragmentaires. Il s'agit d'un des films Allemands de Gad avec Asta Nielsen, et la star y interprète un rôle qui promettait d'être fascinant: celui d'une star du cinéma Allemand, femme indépendante qui a l'exigence de choisir ses scripts, non par caprice, mais par intégrité artistique... Bref, une sorte d'auto-portrait.

La bobine survivante nous permet d'assister à l'exposition, et reste assez longtemps très proche d'une sorte de documentaire sur le miroir aux alouettes qu'est un studio de cinéma: on y assiste à des scènes de tournage, qui peuvent aussi bien être recréées qu' authentiques, Gad ayant volontairement placé sa caméra à distance. On voit comment, chez elle, la star reçoit la visite d'un scénariste qui lui propose un film intéressant mais exige d'être aussi la vedette du film à ses côtés, puis les pourparlers entre le studio et la jeune femme pour négocier la place de son partenaire.

On peut délimiter clairement le moment où le film cesse d'être documentaire: quand les deux partenaires viennent d'obtenir gain de cause, tout à coup l'homme séduit la femme. Asta Nielsen refuse avec gravité les avances du jeune homme, avant de se raviser: mais c'est uniquement selon ses propres termes qu'elle acceptera une étreinte... La dernière partie du film tel qu'il existe nous montre un début de tournage plaisant, mais avec une ombre au tableau: l'arrivée sur le plateau d'un noble, qui semble tourner la tête de l'actrice...

...Ce qui est effectivement confirmé par les résumés qui ont été publiés du film, mais pour voir ces développements absents de la copie, il faudra en retrouver d'autres fragments! Un film qui promettait, donc. Tant pis!

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1913 Asta Nielsen Urban Gad
1 mai 2017 1 01 /05 /mai /2017 09:22

Pour commencer, Ingeborg Holm montre une image du bonheur: on se doute que ça ne durera pas, surtout quand on commence à connaître la noirceur de l'oeuvre de Sjöström... La famille Holm, donc, prépare gentiment l'avenir, dans une bourgade indéterminée. L'action n'est jamais explicitement localisée, et le caractère mélodramatique évite de se situer dans un milieu urbain qui serait immédiatement connoté... M. Holm, pendant que son épouse Ingeborg (Hilda Borgström) se consacre à leurs trois enfants, a contracté un prêt pour pouvoir payer l'épicerie qu'il projette de lancer. Tous les voyants, comme on dit, sont au vert, mais... Sven Holm a la tuberculose, et ça s'aggrave tout à coup, et il meurt. Pendant son agonie, la boutique est fort mal tenue, et suite au décès, Ingeborg doit faire face à des créanciers qui la mettent en demeure de payer, ce qu'elle ne peut pas faire. La déchéance est inéluctable, et la séparation d'avec ses enfants aussi...

L'intrigue est assez Dickensienne, à ceci près qu'il n'y a pas d'échappatoire, ni d'aid extérieure pour sauver Ingeborg Holm de la destitution, en lui tendant la main; elle est parfois secondée oui, comme par exemple lorsqu'elle apprend que ses enfants, placés dans des familles d'accueil différentes, sont malades, elle s'enfuit de l'hospice ou elle vit et travaille, et reçoit une certaine compassion de la part d'une des famille qui tente même de la cacher des fonctionnaires qui sont à ses trousses; mais on sent bien un système qui se referme sur elle comme il se referme sur d'autres, et un manque général de compassion, qui est véhiculé dans le film par la composition des plans. Sjöström utilise en abondance des plans qui situent la caméra à l'écart d'une ligne de perspective, incorporant ainsi dans la profondeur du plan une porte ou une fenêtre, et créant un espace dans lequel, le plus souvent, Ingeborg Holm est située à l'écart: à l'écart des autres, à l'écart des nantis, à l'écart du bonheur. Ainsi la première occurrence de ce dispositif a beau nous montrer le couple dans son bonheur, la construction de l'image anticipe sur la déchéance future.

Et bien sur, on est en 1913, donc le réalisateur ne compte pas encore sur le montage, donc il repose énormément sur ses acteurs, et principalement sur Hilda Borgström; celle-ci interprète une femme qui vieillit sur vingt-con années environ, et porte une large responsabilité du film sur les épaules. Les séquences sont largement dominées par les tableaux, et la distance adoptée par la caméra accentue l'impression d'une certaine dose de réalisme - certes, tempérée par certaines conventions de placement, de jeu, de raccourcis... Il s'agit de concentrer parfois des scènes (Notamment la mort du père) en des plans d'une minute environ. Mais lorsque le mélodrame joue en plein, et qu'à la fin Ingeborg reçoit à l'hospice la famille d'accueil de sa petite dernière, et que celle-ci ne reconnait pas sa maman, c'est déchirant!

Ingeborg Holm est donc bien un mélo assez classique, mais il se distingue par son traitement frontal, et sa dénonciation d'une société qui ne s'indigne pas assez des misères qu'elle crée. Peu de moralisme là-dedans, juste l'oeil aiguisé d'un artiste et le talent conjugué d'une équipe qui sait ou elle va...

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Published by François Massarelli - dans Muet Victor Sjöström 1913
17 avril 2016 7 17 /04 /avril /2016 20:20

Cinq années, c'est tout ce dont a disposé Yevgueny Bauer pour s'installer à la tête du cinéma Russe avant la Révolution. En 1917, il est décédé des suites d'une blessure, et il aura marqué la jeune cinématographie de son pays à jamais. Si il sera longtemps identifié au cinéma Tsariste, c'était un homme d'ouverture, acquis aux thèses progressistes de certains démocrates de son pays, et qui savait une (Ou deux...) révolution(s) inéluctable(s). de ses nombreux films, une vingtaine subsiste aujourd'hui, qui sont autant de reflets de son style, fait de plans fouillés à l'extrême, dans lesquels une action très pensée est soulignée par un don pour le décor, les éclairages, bref la scénographie, et un certain esprit Slave est particulièrement marqué: on y parle de mort, de tragédie, de vieillissement, mais aussi de classes sociales. L'amour y est nécessairement lié à la mort...

La jeune Vera (Nina Tchernova) ne trouve pas que la vie de ses parents, des nobles très en vue dans l'aristocratie Russe, sans cesse accaparés dans des soirées et autres cocktails mondains, vaille la peine d'être vécue. Elle se languit de trouver un sens à l'existence, et se réjouit lorsque sa mère lui propose de venir avec elle pour une mission de charité: elles vont nourrir des gens qui vivent dans des baraquements insalubres. Lorsqu'elles arrivent chez Maxime Petrov (V. Demert), un homme qui vit seul, Vera est fascinée par l'homme. Lui aussi est fasciné, et bien déterminé à la revoir. De son côté, elle revoit sans cesse cette journée en rêveries, elle est donc décidée à répondre favorablement lorsqu'il l'appelle à l'aide. Mais c'est un piège, elle se rend chez lui, et il la viole. Elle prend un couteau, et le tue avant de s'enfuir. son crime ne sera jamais découvert, mais il va la hanter, à tel point qu'elle va essayer de le confesser à son fiancé, le Prince Doslki'j (A. Ugrjumov). Fou amoureux, celui-ci va pourtant très mal le prendre, que ce soit parce qu'il soit choqué par le meurtre, ou parce qu'il est abasourdi d'apprendre qu'un autre homme a déjà possédé Vera. Celle-ci s'enfuit, et va changer de vie...

C'est l'un des premiers films de Bauer, qui était dans la première année de sa carrière de metteur en scène. Il y montre les écarts entre les classe en ayant recours à un stratagème qui permet sans doute d'éloigner les censeurs: les pauvres y sont représentés comme vivant clairement au crochet des dames qui viennent leur faire la charité, et dans un plan obscur, on voit les faces grimaçantes des hommes et des femmes qui viennent de se voir distribuer la nourriture se moquer des belles dames, sans parler du comportement odieux de Maxime. Mais la cible du film, c'est malgré tout l'aristocratie dans sa superficialité et ses préjugés, à travers la réaction de rejet du Prince à l'annonce du passé trouble de la femme qui l'aime... Et on retrouve le thème omniprésent chez Bauer de l'obsession psychologique, grâce aux nombreuses scènes qui nous montrent Vera en proie au trouble; avant le crime, lorsqu'elle ressent une certaine attirance pour Maxime, et après, lorsque l'homme qu'elle aime lui apparaît comme un autre Maxime... Le film est superbement composé, dans des plans éclairés d'une façon novatrice: au fond, laissant l'action à l'avant-plan plus sombre; une façon de signifier que Bauer s'intéressait au fond des êtres. On n'en douterait pas, à la vision de ses films...

Les ténèbres de l'âme féminine (Yevgueny Bauer, 1913)
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Published by François Massarelli - dans Yevgueny Bauer Russie Muet 1913