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10 février 2015 2 10 /02 /février /2015 09:54

Cent ans déjà, que ce film prenait le cinéma au stade de l'enfance, et le hissait, doucement, à l'age adulte... En 1912, les Italiens sont vraiment les premiers à avoir établi le long métrage comme une hypothèse valide, dans le cadre de l'exploitation des films. Les Français et les Américains, en dépit de films occasionnels de longue haleine, continuent à se reposer, les uns sur le serial (Les films de Fantomas réalisés par Feuillade sont autant de longs métrages qui fidélisent le public par leur appel à revenir voir la suite!), les autres sur le court métrage de deux bobines, le moyen d'assurer des séances de cinéma diversifiées. Dans ce contexte, Quo Vadis ou Les derniers jours de Pompeii ont prouvé que le public, à partir du moment ou on lui en donnait pour son argent au niveau des frissons et péripéties, ne bouderait pas nécessairement les films plus longs. C'est donc Cabiria qui allait entériner ça une bonne fois pour toutes, et par le biais de l'admiration sans limites que lui portait Griffith, devenir le symbole même d'une nouvelle ère cinématographique. Mais il serait bien sur naïf d'imaginer que Cabiria puisse ne le devoir qu'à sa durée spectaculaire, qui est rappelons-le, suivant les copies et la vitesse de défilement, de 2h à 2h30.

Cabiria n'est, du voeu même de son metteur en scène, pas une leçon d'histoire: tout au plus la toile de fond nous raconte-t-elle sans trop entrer dans les détails les guerres puniques, par lesquelles Rome a assis sa puissance en remportant une victoire décisive contre les Phéniciens. Mais l'essentiel de Cabiria conte les mésaventures du romain Fulvio Axilla (Umberto Mozzato) et de son fidèle esclave Maciste (Bartolomeo Pagano); qui vont croiser la petite Cabiria, rescapée d'une éruption de l'Etna, que ses parents veulent retrouver. La petite va être secourue de la lave, enlevée avec sa nourrice par des pirates Phéniciens, sauvée de justesse des flammes de la statue d'un dieu Païen, enlevée de nouveau, puis promise à nouveau aux flammes... Ce destin riche en aventures, et un brin sadique aussi, finit par symboliser l'âme de Rome, et la force de l'aventure, dans les coeurs insatiables d'Axilla et Maciste, le noble et valeureux patricien, et son esclave: une vraie force de la nature dont la loyauté sans égal fait de lui le vrai héros de ce film. Il est inutile de dire que le film anticipe un peu beaucoup sur les délires du fascisme, en ressuscitant à l'époque d'une résurgence du nationalisme des aventures héroïques dont la finalité est d'assumer la supériorité en tout (Science des armes, mais aussi dans la valeur du caractère) des Italiens. Le texte des intertitres n'a sans doute pas été confié à D'Annunzio, un poète connu pour son ultra-nationalisme, pour rien: Pastrone a compris d'ou vient le vent! Et en retour, Mussolini adorait le film; de plus, le personnage de Maciste allait revenir en particulier à l'époque fasciste, pour incarner de nouveau la force triomphante, dans de nombreux films.

Mais le film est assez souvent irrésistible, de par sa science de la péripétie. Au passage, chaque mésaventure est encore annoncée par les titres, ceux-ci n'étant jamais consacré aux dialogues. Ils ouvrent chaque scène, et en dressent les grandes lignes avant de laisser les images faire leur travail. Mais Pastrone prends vraiment les devants en terme d'utilisation de l'espace, dont il est un pionnier: il sait utiliser la profondeur de champ en particulier dans les scènes avec peu de personnages. Il situe son action dans des lieux emblématiques dont il utilise avec talent les ressources dramatiques; il a obtenu de ses décorateurs un travail exemplaire, et a engagé le cinéaste Segundo de Chomon (Anciennement chez Pathé) pour réaliser d'excellents effets spéciaux; enfin il démultiplie son action en ayant recours à des inserts et des plans rapprochés à une époque ou c'était encore très marginal. Bien sur, son interprétation est grandiloquente, du fait de la multiplication des plans larges, mais il se rattrape en utilisant ce qui sera bientôt appelé les "mouvements Cabiria", qui ont tant enthousiasmé Griffith: de lents mais très précis travellings, qui accompagnent les personnages, changent les angles du décor, et invitent le spectateur à entrer un peu plus dans l'action. D'une certaine façon, ces mouvements d'appareil, tranquilles et majestueux, représentent un peu le moment durant lequel le metteur en scène prend définitivement le pouvoir sur l'espace cinématographique, au détriment de l'agitation des acteurs. Pas fous pourtant, Pastrone qui étai le seul maitre à bord, vendra le film sur le seul nom de D'Annunzio!

Vu aujourd'hui, le film a certes vieilli, et le jeu ampoulé, le caractère antique des maquillages et la naïveté de l'ensemble sont parfois des freins au plaisir du spectateur... Mais la grandeur du film reste palpable, et pour qui veut bien s'y perdre, le bon vieux Cabiria a encore quelques charmes a distiller, entre deux batailles, deux catastrophes, deux enlèvements ou deux traitrises...

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Published by François Massarelli - dans Muet Cinéma Italien 1914 *
30 décembre 2014 2 30 /12 /décembre /2014 10:24

Deuxième ou troisième film de DeMille (Les filmographies divergent à ce sujet), The Virginian avait beaucoup pour être un Squaw Man bis, avec les mêmes acteurs, les mêmes décors (Du moins en ce qui concerne les aspects Westerniens du premier film), et le même genre de source théâtrale; pourtant, la différence entre les deux est grande; d'une part, le metteur en scène sait désormais où il va et fait désormais du cinéma, sans avoir à tout inventer sur place pour retranscrire un pièce de théatre; d'autre part, le film est un western, le premier Western conscient de Cecil B. DeMille, alors que The Squaw Man était un mélodrame qui se déroulait dans l'ouest. Ici, Dustin Farnum est chez lui dans le Wyoming, et le folklore Westernien joue un rôle considérable.

L'intrigue, assez simple, repose sur deux conflits; d'une part, le "Virginien"(Dustin Farnum)est unCow Puncher, très apprécié de ses collègues et amis dans le Wyoming; son meilleur ami, Steve, est tenté par le banditisme. Lorsque Steve rejoint une bande de voleurs de bétail, le héros se doit de le punir avec les autres bandits et préside à sa pendaison. Sa petite amie, une institutrice fraîchement arrivée du Vermont, est déchirée entre son amour pour le héros et sa haine de la violence.

D'emblée, ce qui frappe dans ce nouveau film, c'est la décontraction de l'ensemble, mais aussi l'aspect transitoire du film: on est encore entre deux mondes, dans un style expérimental fascinant oscillant constamment entre archaïsme et nouveauté: Beaucoup de scènes sont tournées de façon théâtrale en un seul plan, mais le montage joue malgré tout un rôle dans l'identification des deux personnages principaux, ou encore pour construire ou raffermir une tension; la continuité, héritière des "tableaux" des films Edison ou Pathé, est par endroits un peu elliptique, ainsi lorsqu'on passe de l'arrivée de maîtresse d'école a la fête organisée en son honneur, sans que cela soit nécessaire. Par contre, ici ou là, la caméra s'approche, ou se laisse approcher (Réminiscence des Musketeers of Pig Alley(1912) de Griffith?), laissant la distorsion de l'espace souligner le suspense; si les plans de gare sont tous inspirés de la fameuse Arrivée d'un train en gare de La Ciotat des Frères Lumière, il est intéressant de souligner des plans de voyage en diligence filmés depuis l'habitacle du véhicule; enfin, tout en reproduisant le théâtre dans ses plans, DeMille cherche systématiquement des décors (Beaucoup d'extérieurs évidemment) qui élargissent le propos, et les place à bon escient; ainsi une poursuite se déroule-t-elle dans des prés, des forêts, des vallées, laissant le spectateur en profiter pleinement. Cette recherche de l'espace, cette excitation de la nature profite au film - et au western muet en général - et se marie bien avec la photographie solaire de Alvin Wyckoff, qui collaborera de nouveau avec DeMille; son travail est pour beaucoup dans l'impression naturaliste de l'ensemble.

Bien que DeMille emploie les mêmes acteurs, ils sont meilleurs que dans The Squaw man, comme si là aussi ils avaient pris conscience de n'être plus au théâtre, mais dans un autre médium; on est plus proche d'un certain naturalisme, à l'instar des productions Universal ou Ince de la même époque, dont la retenue du jeu est d'ailleurs souvent dictée par une volonté d'efficacité en même temps que pour échapper à la grandiloquence: a ce sujet, il faut revoir les Westerns Universal de John Ford avec Harry Carey, du moins les rares qui nous soient parvenus...

Quant à l'argument du film, il est plus intéressant, plus Westernien que celui du film précédent: du reste, si The Squaw Man contait l'arrivée d'un Européen dans l'ouest, celui-ci inverse le point de vue, et se place du coté des autochtones, qui voient arriver une institutrice. Le plus surprenant dans le film reste d'ailleurs l'impression que le conflit entre le progrès et la Frontière, qui sera à la base de très grands Westerns plus tardifs (Oxbow Incident, The man who shot Liberty Valance, les films de Peckinpah) est exposé, par le biais de l'institutrice et de son dilemme, puis remis à plus tard à la fin: Dustin Farnum la séduit dans la séquence finale. Mais les jalons sont posés: en ce monde idyllique(Les cowboys chevauchent, boivent, rigolent, font des farces de collégiens, etc), le problème de la violence est bien là: la scène de la pendaison est à ce titre exemplaire: dans un premier temps la violence tragique de l'acte est atténué par les fait que des bandits libres y assistent, cachés au loin. Le spectateur, qui les a vus peut plus facilement prendre parti pour les héros en dépit de la gêne que leur acte peut nous inspirer; mais une fois la pendaison effectuée, la vision fugitive de deux ombres de corps pendus nous renvoie à la réalité, tout

en continuant à la dissimuler. Une autre séquence nous procure un exemple de la volonté de l'équipe de faire du cinéma à tout prix: lors de la nuit qui précède la pendaison, les deux amis silencieux côtoient dans le même plan une surimpression témoignant de leur insouciance passée. Aussi crue soit-elle, elle anticipe des recherches qui culmineront avec The Whispering chorus 3 ans plus tard. On notera que le chef opérateur des deux films est le même. A qui faut-il attribuer cette idée, DeMille ou Wyckoff? Les paris sont ouverts, mais la présence de cette surimpression, des années avant la mode venue de Suède (Körkarlen, en 1921) est assez rare dans un film Américain de 1914, à plus forte raison un western.

Bref, ce film ne manque pas de qualités, tout en ne faisant pas plus de 55 minutes. Il témoigne de la vitalité de son metteur en scène, et de son équipe. Si The Squaw Man était une réussite, ce nouveau film va plus loin encore, et annonce beaucoup de feux d'artifices, aussi bien chez DeMille lui-même, que dans le cadre, alors en devenir, du Western.

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Published by François Massarelli - dans Cecil B. DeMille Muet Western 1914 *
30 décembre 2014 2 30 /12 /décembre /2014 10:19

Voila un film étonnant à plus d'un titre; évidemment, DeMille s'est targué toute sa vie d'avoir fait avec ce film le premier long métrage du cinéma Américain. C'est faux, dans la mesure ou Kevin Brownlow a rappelé (Silents please, paru le 24 mars 2007 dans The Times) que la compagnie Kalem a sorti en 1910 une Vie de Moïse en 5 bobines, mais à raison d’une bobine par semaine. Quoi qu’il en soit, The Squaw Man reste une grande date. Pour un premier film de cette époque, sa durée et sa capacité à maintenir l'intérêt tout au long de ses 80 minutes sont remarquables, surtout avec un tel scénario:

Un Aristocrate Anglais accusé (A tort) d'un vol crapuleux fuit aux USA, protégeant du même coup son frère, le véritable voleur, dont  il est amoureux de l'épouse... Devenu ranchman, il épouse une jeune Indienne, qui lui donnera un fils. Celle-ci tue un homme pour protéger son mari, et lorsque le frère félon meurt, il prend le temps d'une ultime confession; Diana, sa veuve, arrive aux Etats-unis pour proposer au"Squaw man" de revenir, mais celui-ci pleure sa femme qui s'est suicidée... Le film finit assez brutalement, et on se doute que le héros restera aux Etats-Unis pour y finir ses jours.

La force de ce film est d'enchaîner les péripéties avec un incroyable aplomb, sans le moindre temps mort et avec une grande lisibilité, grâce à un scénario qui tient la route (la pièce originale était rodée, mais le film la transpose dans une multitude de décors: les Alpes, Londres, un port anonyme, l'ouest... Tout ça à Hollywood, bien sur), des acteurs qui sont plutôt sobres, et une caméra qui tient sa distance... Disons-le tout net, le DeMille de toujours est déja là, tout entier dans ce film et dans ce sens du cadrage simplissime mais idéal, sans forcer sur la profondeur de champ, en évitant les pièges de la composition théâtrale trop compassée (Contrairement à ses Dix commandements de 1956), et en prime, on sent dans ce petit film la joie de tourner en extérieurs et en Californie par dessus le marché. De plus, n'oublions pas que, non content d'avoir lancé la carrière imposante de son metteur en scène, The Squaw Man a contribué à établir la future Paramount...

Un doute demeure, malgré tout, puisque sont crédités deux réalisateurs, à savoir De Mille, dont c’était la première expérience de mise en scène, aussi bien cinématographique que théâtrale, et Oscar Apfel, l’un des acteurs qui lui a apporté assistance. Ce double crédit sera également au générique de The call of the North, le deuxième long métrage du metteur en scène, et Wilfred Buckland sera ainsi également crédité à la co-mise en scène de The rose of the Rancho en 1914.

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Published by François Massarelli - dans Muet Cecil B. DeMille Western 1914 *
29 mai 2011 7 29 /05 /mai /2011 17:45

Moins beau que son Germinal, cette adaptation de Dumas par Capellani est à son meilleur dans les extérieurs, tournés dans des décors authentiques et plausibles, jamais propres, toujours inquiétants. c'est d'autant plus important que comme à son habitude, le metteur en scène fonctionne par taleaux. L'intrigue ne tourne pas qu'autour du "Chevalier de Maison-Rouge", tout comme Les trois mousquetaires sont surtout l'histoire du quatrième... Autour de ce royaliste bien décidé à sauver marie-Antoinette de son destin funeste, toute une galerie de personnages, souvent bien campés: Dixmer, le tanneur qui trahit la révolution par amour pour son épouse; Geneviève Dixmer, la soeur du chevalier, qui n'aime pas son mari, et découvre l'amour en la personne d'un garde révolutionnaire; Rocher, le sans-culotte impitoyable... Si les partisans de la révolution sont, comme souvent dans la fiction, des gens peu accomodants et violents, on constate que le jusqu'au boutisme de certains royalistes finit par faire des victimes, à commencer par Dixmer, de plus en plus aveuglé par la jalousie. Le final permet à Capellani de ménager la chèvre et le chou, comme le cinéma le faisait souvent, sans pour autant tiomober dans le délire révisionniste à la Vendéenne...

 

De Capellani, je préfère de loin les adaptations de Zola que j'ai pu voir, mais cette histoire située en pleine révolution a ses charmes, et nous permet d'anticiper sur le monument que ne manquera pas d'être Quatre-Vingt-Treize, le "grand oeuvre" paradoxal d'Albert Capellani...

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Published by François Massarelli - dans Muet Albert Capellani 1914 *
28 février 2011 1 28 /02 /février /2011 16:13

Les premiers longs métrages de Griffith, ceux qui suivent donc la période fascinante des courts métrages réalisés pour la Biograph et qui précèdent l'explosion de Birth of a nation, sont parmi les films les plus obscurs de Griffith. au nombre de cinq (un pour la Biograph, quatre pour la Mutual, dont deux perdus: Battle of the sexes et The escape), ils représentent les efforts du metteur en scène pour maintenir en vie une troupe qui l'a suivi, et pour continuer à explorer la forme cinématographique. On l'a déja vu avec Judith of Bethulia, la forme longue qu'il a tant voulu explorer est quand même pour Griffith un sacré défi...

Le troisième long métrage de Griffith fait immanquablement penser à ses courts, pour deux raisons : le prétexte ‘littéraire’ est exactement le même que pour son Enoch Arden, ou Pippa passes, voire ses adaptations de Poe : il s’agit de sonder la culture populaire Américaine, en mettant en images des mots qui résonnent chez le citoyen Américain moyen, tout en s’amusant avec la forme cinématographique. Il ne faut sans doute pas prendre ce film, qui prend prétexte de la chanson de John Howard Paine, très au sérieux, tant son message parait anecdotique (On n’est jamais mieux que chez soi, et quand on s’en aperçoit, on arrête de faire n’importe quoi), mais il renvoie tellement aux années Biograph que c’est au moins un plaisir de voir tous ces acteurs défiler : passé un prologue (avec Henry B. Walthall, Lillian et Dorothy Gish, et Josephine Crowell) qui conte la vie et la mort de Paine, dont les pêchés auront la peau, on assiste à trois histoires dans lesquelles la chanson joue un rôle, toutes les trois sur un mode différent : comédie rustique avec Bobby Harron et Mae Marsh, drame avec James Kirkwood et Donald Crisp, et enfin comédie de mœurs avec Edward Dillon, Owen Moore et Blanche Sweet… Les histoires se suivent te se ressemblent peu, autorisant les recours à des expérimentations formelles, suspense, rupture de ton, jeux de point de vue… si la morale est d’une exaspérante platitude, si le film reste définitivement du Griffith Victorien, au moins on n’a pas le sentiment de perdre son temps…

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Published by François Massarelli - dans David Wark Griffith Muet 1914 Lillian Gish