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  • : Allen John's attic
  • : Quelques articles et réflexions sur le cinéma, et sur d'autres choses lorsque le temps et l'envie le permettront...
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24 novembre 2018 6 24 /11 /novembre /2018 09:39

Mahlee (Alla Nazimova) est la fille (illégitime) d'un Américain de passage à Pékin, et elle n'a jamais connu ni son père (parti peu de temps après sa naissance) ni sa mère (morte en la mettant au monde). Ni blanche, ni Chinoise, elle souffre en particulier des moqueries qui l'accompagnent partout: le père, avant de partir, a formellement interdit qu'on lui raccourcisse les pieds durant sa croissance, et toute la ville la rejette parce qu'elle a des "pieds diaboliques". Mais au-delà de cette situation de rejet, c'est la vraie place de Mahlee qui est l'enjeu du film, et du personnage. A la mort de sa grand-mère, elle est recueillie par une mission, et finit par se considérer comme une occidentale. Jusqu'au jour où des Américains en visite arrivent à Pékin, parmi eux, le père de Mahlee, et sa fille, qui ressemble de manière troublante à l'héroïne. Pour le malheur de celle-ci, sa vraie place va lui être révélée...

Mené tambour battant par l'interprétation (double, vous l'aurez compris) de Nazimova, le film fait partie des productions les plus remarquables, et remarquées (il a eu un énorme succès à sa sortie) de Capellani aux Etats-Unis. Le réalisateur, parti en 1915, tournait alors pour la compagnie Metro (dont nous reconnaissons d'ailleurs l'acteur vétéran Edward Connelly qui tournera ensuite pour Rex Ingram, Tod Browning et d'autres), et nous donne à voir un film plastiquement superbe, avec des décors impressionnants d'efficacité. Il réussit à détourner certains codes du mélodrame et évite le racisme, en renvoyant dos à dos les préjugés des uns et des autres. Noah Beery y interprète son rôle favori, celui d'un homme Eurasien qui va entraîner Mahlee avec lui dans la spirale de la violence, mais surtout menace de la violer à tout bout de champ! L'interprétation de Nazimova, subtil mélange de ballet et d'observation, est la meilleure création de l'actrice que l'on puisse voir, bien différente de son horrible Salomé.

Réalisé clairement en étroite collaboration entre le metteur en scène et sa star, ce film séduisant est non seulement une preuve supplémentaire de l'importance de Capellani, c'est aussi un film de femme, une production qui permet à une autre sensibilité de s'exprimer, avant même les années 20, et contemporain des oeuvres de Lois Weber ou Nell Shipman. Et pour couronner le tout il est foncièrement distrayant et superbement accompli.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Albert Capellani 1919 Alla Nazimova *
7 octobre 2018 7 07 /10 /octobre /2018 09:39

Norman Kerry, au fond, c'est un type formidable; c'est aussi un acteur, au mieux, compétent, au pire, fade. pas de quoi fouetter un chat, quoi, surtout quand il se retrouve à jouer face à Lillian Gish, ou Lon Chaney, ou Mary Pickford. S'il a été à un moment condamné à jouer les utilités, en smoking (The Phantom of the Opera), en forain (The Unknown) ou en chevalier avec perruque (The Hunchback of Notre-Dame), il fut un temps où le jeune homme pouvait prétendre à une carrière de premier plan: c'est ce qu'on va voir en parlant de ce petit film oublié, mais dont les qualités sont évidentes.

Hamilton Jones (Kerry) est un cambrioleur, le genre à s'afficher auprès de la bonne société le jour, et à fracturer des coffres la nuit, sans jamais quitter ses guêtres, ni se départir d'un sourire franc et massif de type bien. J'allais écrire "d'honnête homme", mais vu les circonstances... Un jour, il entend une voix, en passant devant une mission où m'on chante des hymnes, et entre: il tombe sous le charme. De la mission, celle du réformateur Eli Barker (Harry Holden), un peu; mais surtout le charme de Dawn Emerson (Wanda Hawley), femme perdue qui s'est retrouvée en travaillant aux côtés de Barker; pour elle, Hamilton va changer, et mettre son argent bien mal acquis au service de ceux qui en ont besoin. Ce qui ne plaira pas à tout le monde, du reste: un des paroissiens de la mission, qui a des vues sur la belle Dawn, va en effet lui amener de sérieux ennuis, en rappelant son principal hobby à la police...

Le reste du film est pris par un procès, dans lequel les gens de la mission, quel que soit leur niveau de responsabilité, vont s'impliquer pour sortir des ennuis le brave Hamilton. C'est donc à un scénario à la Capra, quinze ou vingt ans avant, que nous sommes confrontés... mais Emmett Flynn, s'il n'est pas Capra, n'est pas non plus n'importe qui: il a mis en scène son film avec un flair certain pour les détails "couleur locale", des décors (le plus souvent de studio, mais c'est assez convaincant), au comportement des gens de la mission, captés avec tendresse dans leurs gestes du quotidien; il a d'ailleurs confié le rôle de ces personnages très secondaires, à des acteurs, et ne leur demande jamais de faire tapisserie. Il a tourné une formidable scène de poursuite sur les toits, dans laquelle il varie avec beaucoup de bonheur les angles de prise de vue. Et il tourne des séquences nocturnes de toute beauté...

Et Norman Kerry, dans tout ça, est pour une fois totalement approprié: un rôle comme celui-ci requiert une grande dose de sympathie naturelle, de légèreté émotionnelle, et le gaillard était taillé pour son gentleman cambrioleur. En jouant un type aisé, le coeur sur la main, sans grande ambiguïté psychologique, Kerry n'avait finalement pas à forcer. Car, je le redis ici, c'est vraiment un type bien, et c'est d'ailleurs à ça qu'on doit la survie de ce film, et sa publication aujourd'hui en blu-ray. Car le brave type prêt à aider son meilleur copain en cas de coup dur, l'a fait, en demandant à Flynn d'engager un acteur de ses amis et de gonfler son rôle de figuration pour lui donner de quoi payer son loyer; on le voit peu, mais on le reconnait aisément: il s'appelait Rudolph Valentino.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1919 **
29 septembre 2018 6 29 /09 /septembre /2018 15:41

Ce film, refait quelques années plus tard par le même réalisateur sous le titre The love of Sunya avec Gloria Swanson, est sans doute le film le plus connu, le mieux conservé et l'un des plus significatifs de Clara Kimball Young. Elle avait 29 ans lors du tournage, et interprète une femme bien pus jeune: Gina Ashling est à la croisée des chemins quant à son avenir: doit-elle se marier avec l'homme qu'elle aime, accepter une destinée de chanteuse, ne pas se marier et ne pas devenir cantatrice, mais rester avec sa famille dans le besoin, ou se marier avec un riche industriel pour sauver l'équilibre financier de sa famille? Alors qu'un voyageur venu des lointaines montagnes de l'Himalaya est hébergé dans sa maison, elle peut grâce à lui bénéficier d'une vision de trois de ces solutions, et faire son choix...

C'est très résumé, et j'ai essayé d'être fidèle à l'esprit de l'intrigue, mais le fait est que le film enchaîne les péripéties et hypothèses mélodramatiques, au point d'ailleurs d'être difficilement compréhensible: il est parfois malaisé de différencier les prétendants, par exemple. Mais le film fait un tel effort pour sortir des sentiers battus qu'il est plaisant à suivre, d'autant que miss Young a pris un plaisir évident à jouer les différents épisodes de ses destins possibles, en agissant subtilement sur les maquillages par exemple. Si Albert Parker était un grand metteur en scène, ça se saurait, mais il fait un travail, disons, adéquat.

Quant à la cerise sur le gâteau, c'est bien sûr la présence dans les deux dernières bobines, d'un acteur de second rôle qui est dans une des variantes du futur de l'héroïne celui qui va la précipiter dans l'amoralité et la ruine: Rudolph Valentino, dans le personnage qui parait-il a décidé Rex Ingram à l'engager pour devenir Julio Desnoyers dans The four horsemen of the apocalypse. Comme quoi...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1919 **
20 juillet 2018 5 20 /07 /juillet /2018 09:57

Waldemar Young, Lon Chaney, Tod Browning: ces trois noms évoquent un bouquet de films, mettant en vedette l'acteur (Chaney), écrits par le scénariste (Young) et mis en scène par le réalisateur (Browning): sur les dix films de Browning avec Chaney, sept scripts sont de Young... La première collaboration entre les trois hommes (et d'ailleurs la première fois que Browning va diriger Chaney) est ce long métrage, destiné au départ à être un véhicule pour Priscilla Dean, star de films d'aventures. Mais le tournage va révéler à Browning le potentiel impressionnant de Lon Chaney...

L'ouverture est une visite des bas quartiers: une métaphore, celle d'une rose qui tombe dans l'égout, mène à un plan de Dean: Mary Stevens est assise sur un trottoir, enlève une chaussure et se masse le pied. D'une métaphore à l'autre... la séquence suivante nous montre l'environnement: un homme titube en sortant d'un drug-store, sur le mur duquel un panneau annonce 'soft drinks': une allusion à la rumeur sévèrement ancrée dans l'inconscient collectif, selon laquelle le Coca-Cola contiendrait de la cocaïne. Du coup, le "signe cinématographique" est clair: cet homme qui fréquente le même quartier que l'héroïne est un junkie... 

Mary est une voleuse aussi, elle fréquente la bande de 'Stoop' Connors, un dandy qui est aussi un pickpocket et une sacrée fripouille (Lon Chaney). Mais Mary vole un soir un collier, qui va la mener à une rencontre: pour échapper à la police, elle se réfugie chez Kent Mortimer (Wellington Playter). Celui-ci est un homme de la meilleure société, mais ruiné. Sa fiancée vient de le quitter à cause de ses revers de fortune, mais pour Mary, il représente une chance de se sortir de sa situation. Seulement il va falloir mentir... Et comment faire aussi, pour éviter que le collier ne tombe entre les mains de Stoop?

...Car ce collier à l'histoire rocambolesque, va devenir bien un objet symbolique, lien entre Mary et Kent: à l'origine il a été offert par ce dernier à sa fiancée Adele (Gertrude Astor), mais celle-ci l'a perdu. Récupéré par Mary, elle ne peut pas le rendre à Kent qui lui avoue détester le vol: admettre qu'elle l'a volé serait abandonner tout espoir de garder Kent... Et de son côté, Stoop convoite le collier de perles, tout comme il convoite Mary...

Le monde des coulisses du spectacle, qui deviendra souvent le théâtre des opérations pour Browning, n'est pas présent pour ce qui est essentiellement un mélodrame de gangsters, dans lequel le metteur en scène transpose un univers qu'il connait bien: comme le petite monde du show-business et du cirque, la pègre obéit à des lois très fortes, possède ses codes, son langage, et des costumes particuliers. Chaney a beaucoup joué sur cet aspect, car Stoop est un dandy, habillé selon la dernière mode des pickpockets: un accoutrement (chapeau, costume clair, noeud papillon, pantalon très étroit et bottines cirées) qu'il remettra quasiment à l'identique dans Outside the law. Le personnage aurait pu n'être que secondaire, représentant une sorte de menace générique, mais l'acteur n'a aucun mal, avec un naturel impressionnant, à voler la vedette à quiconque partage l'écran avec lui. Sa façon de se tenir, ses gestes, tout concourt à donner au personnage une réalité inédite.

Le rôle de Browning dans cette réussite de caractérisation n'est pas négligeable. En effet, Chaney mal dirigé pouvait en faire des tonnes, il le savait lui-même très bien. Mais ici, il est parfait, et il n'est pas le seul... Priscilla Dean, une star que Browning n'appréciait pas outre mesure, est brillante en voleuse en quête de rédemption. Le style du metteur en scène tel qu'il nous apparaît dans ce film est bien différent de cette tendance à la contemplation, cette étrange absence de rythme, qui marquera son cinéma dans ses films ultérieurs. et le choix de tourner tout le film de nuit ajoute à l'efficacité d'une peinture du milieu qui est très réussie. Aucune surprise donc dans la décision de browning de refaire appel à Chaney pour Outside the law deux ans plus tard.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1919 Tod Browning Lon Chaney *
13 juillet 2018 5 13 /07 /juillet /2018 09:26

Le cinéma muet Australien est aujourd'hui peu connu et pour cause: comme partout, mais plus qu'aux Etats-Unis, par exemple, la vaste majorité des films a disparu au gré des ans, et contrairement au cinéma Européen et bien sûr au cinéma Américain de l'époque (dont pourtant seulement un peu moins de 30% aurait survécu selon les estimations les plus optimistes), il n'y a pas eu un élan mondial de préservation comme dans les années 30 en Europe, qui aurait permis d'enrayer le désastre... C'est bien sûr l'un des éléments essentiels qui font le prix de ce film, l'un des plus significatifs de la période, et probablement le plus important film de son auteur, le pionnier Raymond Longford. Celui-ci s'est lancé dans une production indépendante foncièrement nationale, en adaptant en compagnie de sa complice Lottie Lyell les poèmes de C. J. Dennis consacrés à un Australien aussi typique qu'il est possible de l'être...

Nous suivons les mésaventures de Bill (Arthur Tauchert), un brave gars né dans les quartiers pauvres de Sydney, vendeur de légumes au marché; il rencontre Doreen (Lottie Lyell), une jeune femme de son milieu, mais comme il faut, et leur histoire d'amour nous est contée sans fards, sans excès de sentimentalisme, mais aussi avec une énorme tendresse...

C'est assez dur de résumer ce film sans avoir l'air de faire dans la banalité, tant on a parfois l'impression qu'il ne se passe rien ou presque dans ce film de 7 bobines... Les obstacles au bonheur entre Doreen et Bill existent bien sûr, mais ils sont vite contournés ou affrontés: le tempérament excessif de Bill qui doit lutter contre sa propre nature; les tentations offertes par les copains qui ne sont pas vraiment des gens très sophistiqués; la présence occasionnelle d'un rival mieux habillés, aux manières plus tempérées... Même une belle-mère potentielle ne s'avérera pas être le dragon attendu pour Bill! Arthur Tauchert, un comédien d'un certain renom, a été choisi justement parce qu'il avait l'habitude de jouer un personnage dans la lignée de ce Bill, créé par le poète C. J. Dennis pour dresser un portrait tendre de l'Australien moyen dans sa simplicité et sa modestie... Et Lottie Lyell, par ailleurs scénariste (et, il se murmure, co-réalisatrice), incarne Doreen sans jamais forcer la dose dans un sens ou dans l'autre...

La mise en scène du film est travaillée, dosée en fonction de trois critères: d'une part, une grande partie du sens est véhiculée par des intertitres en vers, inspirés des poèmes originaux, et écrits en argot australien, qui tous sont à la première personne du singulier: c'est bien sûr du point de vue de Bill qu'il s'agit. Ensuite Longford, disposant ainsi de deux fils narratifs possibles (Images et intertitres), évite aussi bien l'illustration que la redondance, ce qui était une prouesse. Il utilise avec une certaine rigueur la grammaire cinématographique, jouant des gros plans avec parcimonie mais aussi une justesse jamais démentie. Enfin, il fait osciller son style entre un véritable naturalisme, et l'influence du slapstick de Mack Sennett, mais débarrassé de l'obligation de faire rire. Non que le film soit triste, bien au contraire! Ce ton constamment entre rire et gravité est d'une grande originalité, et bien sûr le fait que Lottie Lyell ressemble un peu à Mabel Normand, ajoute à notre trouble!

Mais par ces moyens, Longford, qui a tourné dans les vraies rues et quartiers de Sydney, qui a imposé un maquillage minimal à ses acteurs, et qui anticipe Stroheim et son style de Greed (qui lui aussi reposait souvent sur une transposition du cinéma burlesque, on s'en rappelle), ce qui je vous l'assure est un compliment de taille. Je n'ai pas la moindre idée du fait que Stroheim ait vu ou non ce film, mais je ne serais pas étonné qu'il en ait tiré une part de son inspiration... Et en dépit de la présence envahissante de la poésie de Dennis, en dépit de la difficulté sémantique face à l'argot Australien qui prévaut dans des intertitres très nombreux, ce film rescapé est une très belle redécouverte...

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1919 *
6 mai 2018 7 06 /05 /mai /2018 09:34

Dès le départ, l'intrigue vous agrippe et ne vous lâche plus: lors d'un hiver Suédois particulièrement rigoureux, sous le règne de Jean III au seizième siècle, trois mercenaires Ecossais emprisonnés pour leur indiscipline (Officiers, ils poussaient leurs hommes au pillage) s'évadent d'une tour où ils étaient gardés. Ils parcourent de nombreux kilomètres avant de s'arrêter à un presbytère. Ils massacrent tous les convives d'un repas qui s'y tenait, sauf une jeune femme qui réussit à se cacher... Puis les trois hommes s'enfuient avec leur trésor: un coffre rempli de bijoux et d'argent, amassé par le vicaire de la paroisse, le seigneur Arne.

Elsalill (Mary Johnson), la jeune femme qui a échappé à la mort, et qui vit désormais dans l'obsession de cette nuit de sauvagerie durant laquelle elle a vu mourir sous ses yeux sa soeur adoptive, que les trois mercenaires ont délibérément choisie comme étant leur dernière victime, est recueillie par une famille de la région. Un jour, trois seigneurs richement vêtus, tous Ecossais, prennent pension à l'auberge locale: ils cherchent à retourner chez eux, et un bateau est coincé dans la baie, pris dans la glace, qui pourrait bien être leur chance de salut. Mais pour ça, il leur faudra attendre: en effet, la glace n'a pas l'air de vouloir se rompre. Elsalill rencontre l'un d'entre eux, Sir Archie (Richard Lund), et tombe amoureuse. Lui sait qui elle est, car il l'a entendue parler de son traumatisme. Mais elle, saura-t-elle reconnaître derrière l'homme qui l'aime, le meurtrier de sa famille?

Une aide inattendue va alors être fournie à la jeune femme lors d'un rêve: le spectre de sa jeune soeur disparue va lui indiquer la voie...

C'est un film fabuleux, dans lequel Mauritz Stiller a méthodiquement écrit un script en compagnie du futur réalisateur Gustav Molander, qui reconstruit le roman de Selma Lagerlöf autour d'un certain nombre d'axes: d'une part, Stiller souhaite atténuer la part du fantastique de ce conte médiéval, en le baignant le plus possible dans le réalisme; ensuite, il organise son récit comme il en avait l'habitude, autour de quelques scènes spectaculaires ou excitantes. Ainsi, la structure dicte le suspense au metteur en scène, qui ne se prive pas de donner au spectateur un maximum de clés sur les scènes à venir. Le meilleur exemple est sans doute la façon dont Stiller négocie les quarante premières minutes du film: l'évasion nous est contée par le menu, qui plus est filmée dans une petite tour dans laquelle la place n'est pas un luxe! On est au plus près des corps, et de la violence évidente qui habite ces trois mercenaires hirsutes... Leur périple vers les lieux du massacre est conté en quelques plans, sans exagération ni amoindrissement. Leur faim, leur fatigue sont réelles: Stiller n'a pas besoin de charger la barque en faisant d'eux des êtres maléfiques, ils sont juste motivés par leur survie. Pendant ce temps, il utilise le montage parallèle afin d'inviter le spectateur à mieux appréhender l'ensemble de la situation: les trois hommes trouvent d'abord refuge dans la cabane d'un pêcheur, qui rentre chez lui pur voir son épouse désarmée devant ces trois brutes qui ont mangé tout ce qu'elle avait, et ses sont endormis par terre: il les met dehors, dans le froid, sans aucun ménagement... Un homme de la région, Torarin, se rend chez le seigneur Arne ou tout le monde mange et fait tranquillement bombance. Mais l'épouse d'Arne entend des rémouleurs faire leur travail: une surimpression nous montre les mercenaires qui aiguisent d'immenses couteaux, pendant que Torarin louche sur l'immense coffre qui contient le légendaire trésor d'Arne. Stiller passe du presbytère aux trois soldats, puis à Torarin qui quitte les lieux et se rend dans une taverne, où quelques instants plus tard, on apprend que le presbytère est en feu. Les villageois, venus sur place, constatent le drame, et secourent Elsalill.

Ces séquences ont été montées avec une rigueur absolue, dans le but de mener à une séquence qu'on ne verra jamais, ou alors par bribes fulgurantes, à travers les souvenirs d'Elsalill. Et la violence qui est palpable en dépit de l'absence du massacre lui-même dans ce prologue, va rejaillir sur tout le film... Stiller a par ailleurs un allié de poids en la présence de l'hiver: c'est délibérément que la production a été commencée en plein coeur de l'hiver, le  février 1919. Stiller avait préparé son coup, en amenant un bateau dans la baie, et en laissant l'hiver faire son travail: en peu de temps, le bateau a été coincé dans les glaces... Toutes les scènes soulignent l'hiver, sans parler de l'utilisation d'un iris blanc (le même type que ce que Gance utilisera pour raconter l'hiver de Brienne dans le prologue de son Napoléon): les mercenaires évadés qui avancent avec difficulté dans la neige, ont sans doute eu assez peu de problèmes pour jouer leur scène, tant les condition ont l'air difficiles. Leur coup fait, les trois hommes abandonnent un traîneau, conduit par un cheval, en poussant l'animal vers un trou dans la glace: le plan est hallucinant... Enfin, Stiller et son chef-opérateur Julius Jaenzon vont souvent utiliser le cadre d'une façon inattendue: ils laissent souvent un côté entier des plans se perdre dans le flou, pour souligner encore un peu plus l'immensité blanche qui entoure les protagonistes, et ce petit coin de mer gelée perdu entre les rochers et le large...

Le principal atout de la deuxième partie du film est bien sûr l'histoire d'amour entre Elsalill et Archie, devenu un officier plus présentable une fois les oripeaux de l'évadé laissés de côté, et la barbe rasée. La jeune femme se doute de quelque chose, bien sûr, et comme je le disais plus haut, comprendra toute la situation grâce à un rêve qui lui indiquera la marche à suivre. C'est l'un des trois éléments qui restent d'un roman qui a la réputation de plonger plus avant dans le fantastique. Ce rêve de la jeune femme est complété par le fait que Sir Archie est hanté lui aussi par le spectre de la jeune femme. L'autre aspect est une légende qui sert de fil rouge à la deuxième partie, selon laquelle le bateau qui transportera les mercenaires Ecossais vers leur pays, serait coincé dans les glaces par la volonté divine, tant qu'il transporterait les meurtriers de Arne et de ses amis. Mais par son choix de confronter ses acteurs et personnages et ses acteurs à un hiver aussi authentique que possible, par le déchaînement de violence que le film contient, Stiller s'est senti obligé de garder au maximum les pieds sur terre. Il en résulte un jeu d'acteurs troublant par sa subtilité, en particulier pour Mary Johnson dont le rôle n'était pas facile: à charge pour elle de jouer une jeune femme beaucoup plus jeune, et confrontée non seulement à son désir, mais aussi à la plus angoissante des peurs possibles, celle d'être confrontée à l'homme qui a tué sa famille. On pourrait j'imagine faire une lecture de la sexualité féminine, à partir de ce qui arrive à Elsalill, mais ce n'est pas le propos principal de Mauritz Stiller: celui-ci, essentiellement, s'intéresse aux rapports compliqués entre culpabilité et humanité, à travers le personnage d'Archie, véritable meurtrier sauvage, et amoureux transi appelé à devenir le plus noble des hommes, au prix d'une rédemption qu'il est prêt à exiger... avec violence s'il le faut. 

Une situation inextricable, qui se résoudra par le sacrifice d'une jeune femme, qui n'a de toute façon plus la moindre échappatoire... Et un sacrifice qui conduira à une séquence sur la glace, que Stiller a conçu avec génie, et qui est sans doute un des plus beaux moments du cinéma muet: une procession de villageois endeuillés qui viennent au bateau emprisonné dans la glace, rechercher pour lui donner une sépulture décente la jeune femme qui leur a permis au prix de sa vie de mettre la main sur les hommes que la justice réclamaient... Devant les quelques plans qui nous montrent ce moment miraculeux, il n'y a pas d'autre solution que de se taire.

Dont acte.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Scandinavie Mauritz Stiller 1919 *
21 janvier 2018 7 21 /01 /janvier /2018 12:09

C'est à la fin de son contrat avec la First National, qui distribuait les "Mary Pickford productions", que Mary Pickford a mis en chantier ce film, avec son équipe habituelle. Le réalisateur en est le déjà chevronné vétéran Sidney Franklin, dont on peut quand même dire que même si ce n'est pas un Ford, un Murnau ou un Borzage, ce n'est quand même pas n'importe qui, et sa patte (la qualité!) se ressent du début à la fin du film. Charles Rosher est à la caméra et là aussi c'est une valeur sûre qu'on ne présente plus... Le film est une comédie qui se pare d'un message humaniste de bon aloi, bien présenté au milieu de plusieurs intrigues savamment organisées entre elles:

Alexander Guthrie (Ralph Lewis) est un puissant financier, sans scrupules ni limites, qui n'est pas spécialement dérangé par le fait d'écraser littéralement les autres. Il croit en la loi de la jungle et n'a que mépris pour les pauvres. Sa petite-fille vit avec lui, et Amy Burke (Mary Pickford) n'est pas loin de partager les idées de son grand-père. Mais elle s'ennuie... Du coup, quand son père, (Dwight Crittenden) un chercheur en sociologie qui voyage beaucoup dans le cadre de ses recherches, vient passer le week-end, elle le supplie de l'amener avec lui.

Le problème, c'est que le père se rend dans les bas-fonds du'ne ville moderne, afin de vivre l'expérience des gens qui n'ont pas d'autre choix que d'y habiter, et Amy va devoir s'habituer à de toutes autres circonstances que celles dans lesquelles elle a vécu jusqu'à présent. Elle va aussi découvrir le monde, et "see how the other half live", selon l'expression consacrée: voir comment les autres vivent...

Outre cette expérience qui va particulièrement ouvrir les yeux de la jeune Amy, on s'intéresse à d'autres habitants de la rue mal-famée choisie par John Burke: William Turner, un jeune homme dont on va vite apprendre qu'il a été l'une des "victimes" de la méchanceté du vieux Guthrie, et qui n'est pas indifférent à la jeune Amy; les deux voisins ennemis, O'Shaughnessy (Andrew Arbuckle), l'Irlandais et Isaacs (Max Davidson), le Juif, qui passent leur temps à se battre et qu'il va falloir tenter de réconcilier; enfin, Peter Cooper est un mystérieux inconnu venu quelques temps après Amy, et qui va s'humaniser à son contact, tout comme la jeune femme va commencer à développer une véritable empathie pour son prochain. Bien sûr, on n'aura aucune difficulté à reconnaître Ralph Lewis en Peter Cooper: c'est Alexander Guthrie qui vient surveiller sa petite fille dans sa nouvelle vie, et qui va lui aussi changer.

C'est tout sauf une leçon de morale: c'est une fois de plus un film dominé par l'énergie de Mary Pickford, qui montre un vrai humanisme comme elle le fera si souvent, quelles que soient les conditions dickensiennes et les clichés conservateurs de ses films. Mary Pickford y vit au milieu d'un authentique melting pot où tout le monde se serre les coudes, et fraternise, même les "voisins ennemis" mentionnés plus haut... Et c'est aussi et surtout une comédie, qui vire parfois au slapstick (Un accident de voiture au début, sans gravité mais traité à toute vitesse comme il se doit, une série de scènes de jeu entre Mary et les enfants locaux), et qui est toujours marquée d'abord par le jeu, avant les intertitres. C'est du grand cinéma muet, lisible et totalement soigné, dans lequel on finit par oublier le studio, pour se laisser aller à la tendresse de l'ensemble. Bref, c'est fabuleux.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet Comédie 1919 Mary Pickford Sidney Franklin **
24 octobre 2017 2 24 /10 /octobre /2017 16:33

Selon Kevin Brownlow, Fred Niblo s'était rendu en Russie peu de temps avant de réaliser ce film pour Ince, et... ça ne se voit pas! Car une séquence, spectaculaire, de Dangerous hours, était sensée représenter la vérité en opposition à ce que raconte un propagandiste venu "convertir" les ouvriers Américains... Le film, produit par Ince, cède bien sûr à tous les fantasmes d'une façon qu'on hésite à qualifier de honteuse, tant il est impossible d'y croire. Mais venant du studio le plus inféodé au KKK de tout le Hollywood muet, il faut croire que tout était possible. Néanmoins, Niblo (Nettement moins à droite que son "superviseur" et patron!) a fait beaucoup pour atténuer la charge délirante...

John King (Lloyd Hughes), un jeune homme idéaliste, est tombé sous le charme d'une femme qui souhaite convertir la classe ouvrière des Etats-Unis aux théories venues de Russie. Il y passe toute son énergie, au point de délaisser son père et sa voisine, une charmante amie d'enfance devenue en quelques années une riche héritière (Barbara Castleton), principale employeuse de sa ville. Quand le parti/syndicat pour lequel il se bat décide de trouver une cause à défendre, ils choisissent de tenter de provoquer des troubles sociaux dans l'entreprise locale. Mais John va trouver non seulement la jeune femme, mais aussi son père, contre lui... Et les véritables intentions des agitateurs vont se dévoiler.

Le film tente de nous montrer un dialogue social "acceptable" par opposition à ce que prônent les syndicalistes d'importation dans le film. On y voit même, un instant, la table des négociations d'une entreprise. Et un syndicat "Américain" renvoie John avant qu'il ait le temps de tenter de les embobiner... Ce sont là quelques-uns des éléments qui recentrent le film par rapport à une dénonciation totale du syndicalisme qu'on aurait pu craindre. Néanmoins, les effets de manche des uns et des autres ne cachent pas la vacuité idéologique de toutes ces élucubrations, d'autant que parmi les possibilités "cachées" par les agitateurs venus d'ailleurs, une séquence digne de figurer dans toutes les anthologies des excès du mélodrame, nous montre le principe de la "nationalisation des femmes" (En fait, des viols collectifs, traités avec un manque total de retenue par Niblo!) qui est supposé exister à Moscou.

Un détail qui à la fois montre le peu de sérieux du film, de son "superviseur" Thomas Ince (Fidèle à sa légende, le film est "une production Thomas Ince supervisée par Thomas Ince. Une supervision Thomas Ince"!), ou encore de notre Fred Niblo qui n'avait sans doute pas encore rencontré son destin en la personne de Douglas Fairbanks, même s'il était déjà un metteur en scène très capable. Et un détail qui en fait le prix, parce qu'à cause justement de ces excès et de son délire, ce film représente bien le chaos idéologique d'une époque toute entière.

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Published by François Massarelli - dans Muet 1919 Fred Niblo Thomas Ince **
24 octobre 2017 2 24 /10 /octobre /2017 16:18

En 1919, la menace de la guerre écartée, les médias Américains n'ont pas eu à attendre longtemps pour trouver pour les uns, un nouvel ennemi, pour les autres, une source de fantasmes suffisamment riche en possibilités. La peur du bolchevisme, les informations soigneusement filtrées en provenance de la Russie et de sa révolution, et le caractère toujours si fondamentalement anti-Américain du communisme (Même si on ne savait manifestement pas du tout de quoi il retournait)... Tous ces éléments ont contribué à créer ce qu'on a appelé The Red Scare, la peur du Rouge. Un vivier d'articles, mais aussi de livres, de films, de conférences... Voire d'organisation patriotiques, de partis créés spécialement pour la cause, et un grand tas de fadaises à débiter.

C'est dans ce contexte que sort ce film, dû à une compagnie indépendante (Pour laquelle travaillaient Chautard, Walsh ou George Loane Tucker), et qui se place exactement entre le public et la menace communiste, en usant d'une intrigue qui est à peu près la même que dans le plus classique film de Fred Niblo Dangerous hours sorti la même année pour les films Thomas Ince: un fils de bonne famille, convaincu des arguments humanistes d'une femme qui a pris fait et cause pour les idéaux communistes sur le sol Américain, devient la caution morale d'une expérience de prise du pouvoir "par le peuple" sur une île privée, avant de voir le système devenir un mini-état totalitaire aux mains d'un homme qui est en fait un espion soviétique venu semer la révolte chez l'Oncle Sam!

Inutile de dire que c'est tourné à l'emporte-pièce, et qu'absolument tous les clichés mélodramatiques sont tentés. Oui, tentés, plutôt que réalisés, car le réalisateur dans sa précipitation, et son manque d'invention, n'a pas jugé bon d'aller au bout. C'est ce qui fait, sans doute, le prix de Dangerous hours, ou même de The penalty(Wallace Worsley, 1920), dans lequel on confond Bolcheviks et bandits, et qui vaut pour son solide sens de l'action et sa pyrotechnie cinématographique... sans compter la présence de Lon Chaney. Non, ce "Bolshevism on trial", qui a eu droit à un changement de titre afin d'être ré-exploité plus tard, ne vaut pas tripette.

Faut-il en rajouter? C'est une adaptation d'un roman de Thomas Dixon. Si le nom ne vous dit rien, cherchez...

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Published by François Massarelli - dans Muet 1919
24 septembre 2017 7 24 /09 /septembre /2017 18:25

Dans une Allemagne de pacotille, un jeune homme doit obligatoirement se marier afin de satisfaire son oncle qui craint de disparaître en ne laissant aucun espoir d'héritier à l'horizon. Comme c'est une irréversible andouille (mais alors, vraiment), il se "marie" avec une poupée grandeur nature. Sauf que chez le fabricant, ce jour-là, un assistant du patron a cassé la poupée promise; afin de gagner du temps, la fille du patron va donc le temps d'une longue journée, "jouer" la poupée, et provoquer beaucoup d'émois... 

Le déguisement, sous toutes ses formes, et le jeu à être quelqu'un d'autre, voilà des thèmes Lubitschiens fréquents. Mais ici, le metteur en scène s'amuse à multiplier les niveaux: une femme joue à être une poupée qui joue à être une femme... Tout ça va permettre à un homme effrayé de tout y compris de son ombre, de trouver l'amour, l'âme soeur, voire tout simplement de... devenir un homme.

Et ça permet aussi à une "poupée" grandeur nature, une vraie femme pourtant, de sortir dans le monde pour un voyage initiatique dont elle reste maîtresse, comme Ossi Oswalda menait déjà le jeu dans Ich möchte kein Mann sein...

Et puis, comment ne pas s'émouvoir de voir cette mise en scène qui met délibérément l'accent sur le factice, depuis cette ouverture durant laquelle Lubitsch soi-même plante le décor d'une maison de poupées? Les arbres en carton-pâte, les toiles peintes, tout l'univers du film semble renvoyer à une esthétique liée autant au théâtre qu'à l'enfance, et fait encore mieux ressortir l'ineptie du benêt dont Ossi Oswalda, impeccable comme d'habitude, va inexplicablement tomber amoureuse.

 

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Published by François Massarelli - dans Muet 1919 Ernst Lubitsch **