Le premier film de Carl Dreyer est un essai, partagé entre mélodrame et cas de conscience, entre foi et doute, entre honneur et famille... ce n'est pas une franche réussite, mais il fourmille de petites balises de l'oeuvre à venir. Et au passage, si certaines de ses oeuvres ont clairement souffert du passage des ans, Dreyer est au moins l'un des rares grands cinéastes à s'être illustré durant le muet, dont on possède tous les films de la période...
Dans cette adaptation d'un roman contemporain, Dreyer dresse le portrait d'un homme, un magistrat honoré, dont le passé resurgit lorsque sa fille naturelle doit être jugée pour infanticide. Il affronte alors l'histoire familiale, sa propre faute, et s'interroge sur son devoir. Le film commence sur une structure temporelle alambiquée: on a d'abord un prologue qui expose la faute passée du père du héros, qui a fauté avec une femme mais s'est marié avec elle, et estime qu'il n'aurait pas du accepter cette compromission. Il a fait jurer à son fils de ne pas se compromettre. Puis, après l'exposition, un nouveau flash-back consacré cette fois au fils répète avec insistance cette figure de l'amour illégitime. Du coup, le film est en plein mélo, mais le recours à un autre point de vue lorsque la jeune femme expose les circonstances de la mort de son enfant rééquilibre le tout.
Dreyer a beaucoup recours à des décors nus mais chargés de petits motifs, qui soulignent parfois le tourment intérieur. Le jeu des acteurs est du pur années 10, et je pense que d'autres Scandinaves avaient clairement dépassé cette phase théâtrale; Dreyer saura mieux diriger ses acteurs plus tard... Mais le film, qui se passe essentiellement de nuit, est esthétiquement très inventif, avec de belles utilisations de la lumière, et des ombres chinoises très intrigantes. Mais on est encore devant un metteur en scène qui se cherche, intéressé par la matière de l'affect et du tourment humain, mais qui a encore du mal à faire passer la tempête intérieure de ses héros...