
En Norvège, il y a bien longtemps, Söfren et Mari sont deux jeunes fiancés, et lui, étudiant en théologie, est candidat pour le poste de pasteur d'un petit village... Il gagne haut la main,, face à deux concurrents qui ne font pas le poids, face aussi bien à la rigueur de ses vues théologiques, que face à son humanité chaleureuse... Mais ils ignoraient un détail: le job a pour coutume d'impliquer le mariage avec la veuve du prédécesseur, et celle-ci, Dame Margarethe, n'est plus de la dernière fraîcheur. Söfren et Mari vont donc devoir composer avec cette nouvelle inattendue, et bien sûr, avoir hâte que le temps fasse son travail et rende le jeune homme veuf à son tour... Mais c'est que Dame Margarethe a épuisé déjà trois maris...
Le troisième long métrage muet de Dreyer nous change de l'atmosphère de tous ces films, par un ton de comédie inattendu et qui reste après tout totalement dans l'esprit d'un conte médiéval: il n'en reste pas moins un film situé dans un cadre très religieux, qui nous raconte l'histoire d'une vocation et d'un passage inattendu, dans lequel la foi joue le premier rôle. Ce passage, c'est celui de la passion et de la rigueur du métier, que ne pratiquait certes pas la vieille dame, mais dont elle est elle aussi garante, par son infatigable règne sur le presbytère! Elle n'hésite d'ailleurs pas à montrer par la menace physique à Söfren qui est la patronne, dans une scène dont le comique cuisant est fortifié par le côté frontal de la mise en scène...
Car Dreyer a rendu compte de l'intrigue d'une façon aussi directe que possible, sans fioritures, ni aucun filtre... Il laisse la comédie jouer son rôle et ça lui va bien. Le film bénéficie aussi du naturel de tous ses interprètes; la mention spéciale va, c'est inévitable, à l'extraordinaire Hildurg Carlberg qui joue le difficile rôle de la Veuve; celle-ci doit passer du statut de quasi-sorcière à celui d'une aïeule chérie et respectée, et est la cible de toute l'invention de Söfren, qui passe par bien des stratagèmes pour tenter de se débarrasser d'elle...
Söfren est un personnage précurseur dans l'oeuvre de Dreyer, un jeune frimeur qui avait semble-t-il, avec à peine vingt ans d'âge. Dreyer se moque gentiment du jeune coq, très sûr de lui, qui va se déballonner quand il apprendra le prix de son poste... Il nous montre aussi l'importance de la femme dans le foyer, avec la séquence mentionnée plus haut... Un photo de publicité existe d'ailleurs, qui montre comment Söfren a eu symboliquement les bras sectionnés en arrivant au village et en acceptant d'épouser la vieille dame. Il va subit toute l'épreuve comme une initiation, et devenir sans doute un bien meilleur pasteur à l'issue de l'expérience.

Ce film Suédois, tourné en Norvège dans des décors formidables (un village-musée qui reconstitue un hameau à l'ancienne, donc des décors aussi authentiques que possible) permet à Dreyer de questionner la trace de la foi dans une certaine vision d'un quotidien rigoriste; il est une première incursion dans l'intimité d'un peuple, avant son incursion dans la famille Danoise en 1925 (Le maître du logis)... C'est aussi la première fois que Dreyer sort du Danemark pour participer à d'autres cinématographies: il y en aura d'autres, bien sûr, et non des moindres.

