Deuxième film de Murnau a avoir été conservé in extenso (Après l'obscur Der gang in die Nacht), ce film connu en France sous le titre adéquat de La découverte d'un secret (C'est d'ailleurs le sous-titre de la version Allemande), a souvent eu la réputation d'être un film d'horreur, à l'époque maintenant lointaine d'avant la vidéo de salon, durant laquelle les films étaient surtout connus par leurs titres... en effet, derrière le plutôt neutre 'Chateau des oiseaux' du titre Allemand, se cachait la plus sombre perspective du "Chateau hanté" du titre Anglais du film (Haunted castle), probablement trouvé par un exploitant peu scrupuleux qui entendait capitaliser sur la sulfureuse réputation de l'auteur de Nosferatu et Faust... Pourtant, ce film parle surtout d'une machination effectuée par un homme accusé d'un crime dans le but de prouver son innocence, et se passant selon la tradition théâtrale quasiment uniquement dans un sombre manoir, mais à l'exception d'un rêve supposé apporter un peu de comédie, pas de fantôme ni de monstre à l'horizon...
Le comte Oetsch s'immisce parmi les invités d'un week-end de chasse au chateau Vogelöd, ce qui n'arrange personne, puisqu'il a la réputation d'avoir tué son frère, dont l'épouse désormais remariée à un vieil ami de la famille ne lui a jamais pardonné. Il a été acquitté, mais un doute subsiste, et le comte s'installe manifestement sans scrupules au chateau, semblant même se délecter de l'effet de rejet que semble provoquer ses allées et venues sur les autres invités. Mais lorsque le père Faramund, autre invité arrivé entre temps, ne revient pas d'une promenade, on ne tarde pas à accuser de nouveau le comte de cette disparition suspecte...
Le film est plutôt un de ces travaux de jeunesse, un de ces nombreux tatonnements qui jalonnent le parcours du cinéaste. L'énigme posée par le film reste sans intérêt, et il semble que pour Murnau, l'essentiel du film était de pouvoir s'amuser avec les décors, à suggérer par exemple des émotions par le seul placement des personnages. La composition est donc constamment inventive, le travail des décorateurs aussi. Pourtant, pas d'expressionisme, ici, tout au plus certains intérieurs se parent-ils d'une plus grande abstraction au fur et à mesure que le mystère se dévoile... Le rythme du film a également été travaillé, de façon à jouer sur la lenteur de l'action; reste que ce film préfigure par certains cotés Tartuffe dans la façon dont Murnau et Carl Mayer placent leurs personnages au coeur du chateau, et du drame, et que le récit cruel de ce comte qui tout en cherchant à prouver son innocence, se repait de sa marginalisation, renvoie à ces nombreux personnages exclus dans l'univers du cinéaste, de Terre qui flambe à Tabu en passant par Nosferatu et Le dernier des hommes...
Marizza fait partie des films réalisés par Murnau avant Nosferatu; c'est aussi un précurseur de ses films dits "paysans", de Der Brennende Acker à City girl, films dont beaucoup hélas sont perdus. C'est justement le cas de ce long métrage situé entre Der gang in die Nacht (1920, le plus ancien des films conservés de Murnau) et le plus connu Schloss Vogelöd (1921): seule une bobine du film a pu être récupérée, sauvée de la décomposition d'une copie Italienne du film, et restaurée récemment. C'est à la fois une découverte majeure et une solide déception, mais il fallait s'y attendre: avant Nosferatu, Murnau se cherche, et surtout, il ne travaille pas encore pour la UFA... donc les films sont tournés dans des conditions extravagantes, et les scripts sont marqués par une similitude louche avec des oeuvres littéraires (Dr Jekyll & Mr Hyde pour Der Januskopf, Dracula pour Nosferatu) ou cinématographiques (Satanas, 1919, dont seul un fragment encore plus court a survécu, est un démarquage d' Intolerance, ou des Pages arrachées du livre de Satan de Dreyer)... Marizza possède quant à lui une certaine touche "Carmenienne" qui est bien en évidence dans cette première bobine, dans laquelle on soupçonne des traces d'un raccourcissement du film tellement il se passe de choses: une vieille femme envoie la sauvageonne Marizza faire les yeux doux aux douaniers afin de laisser les contrebandiers travailler en paix, un douanier moustachu un brin grotesque fait une cour plus que poussée à la jeune femme qui séduit également un homme de la ville...
Les personnages sont souvent grotesques, Murnau établissant des contrastes marqués entre les gens de la ville, et les campagnards, sales, maquillés à outrance... Mais le cinéaste plante sa caméra dans la nature, et on sent qu'il est déja motivé par la composition de ses plans, avec une inscription déja forte des personnages dans le cadre des maisons ou il situe son action. N'empêche! on voit ici un amateurisme, une impression d'archaïsme très prononcée... Mais on peut au moins noter que l'actrice principale Tzwetta Tzatschewa a sans doute motivé Murnau plus que ses compagnons, et elle dégage de fait un certain érotisme qui restera rare dans l'oeuvre de Murnau. Déception donc, pour un film qu'on aimerait quand même voir dans son entier, mais les chances pour qu'une des quatre autres bobines fassent surface de la même façon restent hélas bien minces... Tout comme les chances de voir ou revoir Der Knabe in Blau (1919), Tout Satanas (1919), Der Bucklige und die Tänzerin (1920), Der Januskopf (1920), Abend... Nacht... Morgen (1920), Die Austreibung (1923) ou The four devils (1928)... Et pour ces deux derniers, tout concourt à faire penser que la perte est immense.
Avant ces "quatre cavaliers" de 1921, Rex Ingram passe toutes ses premières années de réalisateur (1916 à 1920) à la Universal, à tourner des mélodrames, enchainés les uns aux autres... dont il ne reste rien, sinon une bobine de The reward of the faithless (1917). Si l'arrivée du réalisateur d'origine Irlandaise à la Metro est pour lui une chance incroyable, c'est en particulier à cette épopée délirante qu'il le doit: petit studio (Universal) ou grand studio (Metro), après tout, la différence dans le Hollywood de 1920 n'est pas si importante. Ce qui compte alors pour un réalisateur, c'est d'être arrivé, d'avoir un nom. L'age des studios commencera vraiment avec la fusion de Metro avec Goldwyn et Mayer en 1924; le producteur prendra vraiment le pas sur le réalisateur. C'est donc à un age d'or qu'Ingram commence sa carrière, à peu près au même moment que d'autres grands noms: Stroheim en 1919; Ford en 1917; Borzage comme lui en 1916... Ingram gardera sa conception d'être le seul auteur de ses films jusqu'à la fin, il s'y perdra d'ailleurs, comme tant d'autres artistes. Mais cette dimension est toute entière représentée dans son film spectaculaire et visionnaire de 1921, dont on a coutume de parler en raison de la présence d'un jeune premier qui va, enfin, exploser et devenir vite l'idole la plus significative des futiles années 20; Rudolf Valentino. C'est vrai, et cela fait partie intégrante de la légende du film, mais cela ne doit pas occulter le fait qu'avec ce film, son 15e, la carrière de Rex Ingram est elle aussi spectaculairement lancée...
Film-charnière, la superproduction (11 bobines, et une durée actuelle de 132 minutes) est une adaptation d'un roman de Vicente Blasco Ibanez, comme le sera plus tard Mare Nostrum. le film est une grande date du cinéma Américain, et se trouve à la frontière entre symbolisme (déja présent dans des oeuvres ambitieuses comme Intolerance de Griffith, ou Civilisation de Ince) et un certain réalisme du cinéma de genre, généralement privilégié par les cinéastes. Ingram, esthète du mélodrame, s'est plu ici à rester sur une ligne médiane... Prenant prétexte de la guerre qui vient de se dérouler, il laisse libre cours à son gout pour le spectacle et s'adonne comme un gosse au plaisir de jouer avec les moyens imposants qui lui sont alloués... D'une certaine façon, on a droit avec ce film de studio à une oeuvre d'auteur comme passée en contrebande: cette tendance allait devenir une habitude chez Ingram, avant qu'il ne quitte Hollywood pour l'Europe pour contrôler ses films de façon plus personnelle.
Le script est signé d'une grande dame, June Mathis, la forte personnalité qui dirigeait le département "Scénarios" de la Metro; à ce titre, elle allait suivre sa compagnie à la MGM, et être mélée à des films cruciaux, comme Greed ou Ben-Hur. L'histoire est celle d'une famille coupée en deux: immigré en Argentine, Madariaga a deux filles: l'une est mariée à un Français, Marcelo Desnoyers (Josef Swickard), un socialiste qui a fui la conscription en 1870, et l'autre est mariée à un Allemand, Karl Von Hartrott (Alan Hale). Celui-ci est amer: son ambition était de faire main basse sur la fortune du vieux Madariaga, et il espère que ses trois fils vont lui permettre au moins d'en tirer quelques bénéfices. mais Marcelo a un fils, qui sera forcément le premier à hériter: Julio (Valentino), hélas est un jeune homme vain, porté sur les plaisirs, égoïste et séducteur, le tout étant copieusement encouragé par son grand-père. Pourtant celui-ci ne choisira pas, il divise sa fortune par testament à ses deux filles. Après sa mort, les Desnoyers et les Hartrott retournent en Europe...Marcelo se construit un chateau au rabais, Julio devient peintre dans le but principal de s'entourer de jolies filles, et Karl ronge son frein, jusqu'à la déclaration de guerre, qui va bouleverser la France, le monde, et bien sur la descendance du vieux Madariaga, dont les uns vont se trouver à combattre les autres. Parallèlement à cette intrigue historico-familiale, on fait la connaissance de Marguerite Laurier (Alice Terry), une jeune femme mariée à un homme qu'elle n'aime pas, et qui tombe amoureuse de Julio. Celui-ci, confronté à l'amour, va changer, et Marguerite, dont le mari va s'engager, va découvrir le sens du devoir...
La mise en scène d'Ingram est impressionnante, le réalisateur ne se contentant pas de suivre avec sagesse l'intrigue. Il fait feu de tout bois, et chaque scène est pour lui l'occasion de passer constamment du récit au symbole. Il s'amuse à lier entre elles les scènes d'une façon fluide, et multiplie les niveaux de point de vue au sein d'une même scène. Par exemple, il fait avec la première apparition de valentino, la mythique scène du tango, la preuve de sa maitrise, en partenariat avec son monteur, le fidèle Grant Whytock: il nous montre le café ou aiment à se retrouver le vieux Madariaga et son petit-fils, et on a une série de plans d'exposition, pris depuis les rangs des consommateurs alors qu'un couple s'essaie sans grand succès au tango. Julio commence à s'insérer dans la danse, et dès lors, Ingram nous gratifie d'un plan de sa partenaire qui manifeste son mécontentement. Il oscille ensuite entre le point de vue de Julio, celui du vieux, qui exulte de voir son petit-fils réussir sa séduction (la métaphore sexuelle est tout sauf voilée), et les plans d'ensemble. La scène est superbe, et a beaucoup contribué à la légende de Valentino... une autre séquence montre les rapports complexes entretenus entre les scènes, dans le flot narratif extrêmement cohérent: Marguerite est en visite dans le studio de Julio, et les deux sont en discussion: elle lui avoue qu'elle a le sentiment que leur relation est juste, qu'elle n'aime pas son mari. il approuve, forcément. Ingram coupe, et on est chez un voisin, le mystique Tchernoff, sorte de prophète et philosophe; il parle à un ami de Julio en épluchant une pomme, et se met à disserter d'un air mystérieux sur le péché originel. la scène suivante montre l'impact sur la rue et ses gens de la déclaration de guerre. A la fin, Tchernoff et son ami, qui ont été témoins de l'émotion sucitée par la nouvelle, croisent marguerite qui rentre chez elle. entre ces trois scènes, on a ainsi un écheveau clair d'intrigues: la guerre set déclarée, elle va séparer les deux amants. Et par ailleurs, Marguerite et Julio ont dépassé le stade de la relation platonique...
Le film est non seulement superbe visuellement, parfaitement servi par la photo de John Seitz (un autre partenaire systématique du metteur en scène) constamment envahi par le symbolisme, depuis le "centaure" Madariaga, dont les deux parties de la famille vont se déchirer jusqu'à se retrouver face à face sur le champ de bataille, jusqu'à la vision symbolique des quatre cavaliers évoqués par l'illuminé Tchernoff (Nigel de Brulier), figure christique volontiers floue. Rex Ingram semble, à l'imitation sans doute du roman, plaider pour l' internationalisme, d'ailleurs incarné par l'Amérique (Nord ou sud, peu importe), mais il cède quand même à la tentation de charger l'ennemi allemand, représenté dans son militarisme ridicule (un pléonasme, d'ailleurs),avec ses monocles, et sa tendance à se transformer en brute épaisse, avinée et violeuse, en temps de guerre. L'intrigue est centrée sur un personnage de jeune homme lâche et égoïste, dont la prise de conscience viendra tardivement, dans des circonstances tragiques. Ingram n'hésite pas, 6 ans avant Napoléon, à mettre en scène l'exaltation patriotique dans une scène de Marseillaise folle, teintée dans certaines copies en bleu, blanc et rouge... Le film, avec ses excès, se situe dans une ligne pas si éloignée du J'accuse de Gance. mais là ou Gance concentre son talent narratif sur le drame privé d'un triangle amoureux ç tiroirs avant de passer à l'évocation des morts de la grande guerre, Ingram multiplie les personnages, Julio, Marguerite, Marcelo, Chichi la soeur de Julio, son fiancé André, Karl, ses trois fils... De cette accumulation maitrisée, un grand maelström d'images nait. Oui, diais-je, il y a des excès, des exagérations. Le mélodrame va trop loin en permanence, mais cette profusion d'émotion reste plus forte que la somme de ses défauts. Ce fim qui part dans toutes les directions porte en germe une oeuvre baroque et intense, proche de Stroheim (Un ami proche d'Ingram, qui lui confiera ainsi qu'à Grant Whytock le montage de Greed) par sa capacité à sonstruire une narration fleuvre cohérente, héritée de l'exemple de Griffith, mais louche déja du coté des esthètes fous du cinéma, que seront Sternberg, ou le disciple auto-proclamé, le génial Michael Powell... Contrairement à Stroheim chez qui chaque détail compte, et sera évoqué, ici le tout est un kaléïdoscope de détails dont l'accumulation fait sens. Vu dans de bonnes conditions, ce film tombé dans le domaine public, c'est à dire disponible dans d'ignobles copies, n'a pourtant rien perdu de sa capacité à vous clouer au sol.
Ce film occupe une place très particulière dans le cinéma Hollywoodien des années 20: il représente un étrange mélange dans l’œuvre de DeMille; d’une part, il s’agit une fois de plus d’une comédie matrimoniale, centrée cette fois sur le mari, joué par Wallace Reid, confronté bien malgré lui au choix entre la tranquillité du droit chemin, et l’attrait du péché. Ensuite, le film est une expérience visuelle quasi constante, à l’instar des mélos de 1915 et 1917, dans lesquels le réalisateur et ses techniciens utilisaient la lumière à des fins dramatiques; On remarquera d’ailleurs le nom de Karl Struss au générique… Enfin, le réalisateur invente ici le « All-stars », battant le rappel de la plupart de ses acteurs fétiches: Wallace Reid, Gloria Swanson, Bebe Daniels, Monte Blue, Agnes Ayres, Theodore Roberts, Raymond Hatton, tous sont là, dans des rôles plus ou moins importants. Et les silhouettes de domestiques, notamment, sont confiées à Lucien Littlefield ou Julia Faye. Polly Moran fait même une apparition en danseuse excentrique dans un cabaret.
Le film, inspiré d’une pièce de Arthur Schnitzler adaptée par Jeanie McPherson, est divisé en trois parties d’inégale longueur. Dans la première, Reid et Swanson interprètent deux jeunes mariés, après quelques semaines de bonheur, qui s’accordent une soirée pour s’encanailler; lors de la sortie, l’homme repère au restaurant une jeune femme (Wanda Hawley) qui ne lui est pas inconnue, une ancienne camarade d’école désormais « chercheuse d’or », accompagnée d’un milliardaire ; choqué qu’elle soit tombée aussi bas, le mari décide de la réformer; la jeune femme accepte, sachant quel parti elle pourra tirer de la situation; tout cela n’est pas du goût de l’épouse, qui verra revenir son mari lorsque celui-ci aura totalement compris ce que veut son ancienne amie.
La deuxième partie, très courte, voit se télescoper deux intrigues: les deux jeunes mariés souhaitent se retrouver après la crise seuls à la campagne, et le mari tombe suite à un quiproquo dans un piège; surpris dans les bras d’une jeune femme (Agnes Ayres) à laquelle il croit avoir sauvé la vie (Qui va d’ailleurs lui voler son argent au passage), il est bien obligé de voir partir son épouse. Dans la dernière partie les deux époux décident séparément de se laisser aller, et le mari, après toutes ces situations durant lesquelles il aura été victime de son bon cœur et de sa naïveté, va tomber pour la première fois sur une sainte en cherchant une vamp (Bebe Daniels). Inévitablement il retournera chez son épouse, après avoir eu des doutes sur la moralité de cette dernière, surpsies au bras de leur meilleur ami commun (Elliot Dexter). D’ailleurs, le spectateur a, lui, plus que des doutes…
Wallace Reid semble ne pas être tout à fait dans son élément; c'est un indécrottable naïf , systématiquement victime des agissements féminins, qu’il ne comprend pas du tout, du début à la fin du film… Il est intéressant de constater que dans ce film, DeMille et McPherson inversent les rapports Swanson /Daniels par rapport à WHY CHANGE YOUR WIFE?, même si ils jouent sur l’image de l’une et de l’autre pour semer le doute chez le spectateur: déguisée en parodie de caricature de vamp (Plus encore que la vamp typique des premières scènes de SINGING IN THE RAIN, avec des robes plus ou moins similaires, bardées de fausses toiles d’araignées), Bebe Daniels est en vérité une femme qui se sacrifie pour sauver son mari, dont la vie est sérieusement en danger suite à une blessure de guerre, alors que la frêle épouse, dont le mari clame la pudeur, organise en son absence une partie fine durant laquelle il se peut que sa vertu ait souffert… On termine le film sur ce doute, et si le mari n’en sort pas moins naïf, ce sont toutes les femmes qui en prennent pour leur grade...
Si le film n’apporte rien au cycle des comédies matrimoniales de DeMille, se contentant d’en rafraîchir la trame et de la transposer de manière à intégrer 12 acteurs de premier plan de l’époque, il en va tout autrement de la mise en scène, qui réintègre des expériences comme DeMille ne se permettait plus depuis THE WHISPERING CHORUS. l’accent est mis ici sur l’éclairage de nouveau, sur les décors, extrêmement travaillés et rendus très abstraits (Sauf dans la deuxième partie; celle-ci ne se fait pas trop remarquer, à part dans une très jolie scène entre Monte Blue et Agnes Ayres, dont les deux visages sont caressés par une lumière lunaire du plus bel effet, mais en totale contradiction avec l’action…), notamment dans les scènes de boîte de nuit, toutes différentes, représentant à chaque fois une étape vers la débauche : au final, la scène chez Bebe Daniels voit un décor envahi par le noir, le mobilier de la dame étant en harmonie avec sa robe… La lumière est utilisée dans le film pour rythmer les parties : la fin des la première partie voit le jeune couple éteindre progressivement toutes les lumières, avant de n’être plus que des silhouettes dans la pénombre, la deuxième partie se clôt sur la scène entre Monte Blue et Agnes Ayres déjà citée… La structure ainsi soulignée reste démarquée par des éléments visuels ; ce n’est pas un défaut dans un film plutôt bavard en intertitres...
La copie actuellement diffusée de ce film est teintée, colorée de diverses façons, ce qui est du plus bel effet, mais ce sont surtout les titres qui en bénéficient (avec une exception frappante, un tableau vivant de Bebe Daniels). La composition de ceux-ci tend d’ailleurs à prouver que cette coloration est d’origine. L’effet est très joli, mais il sert aussi à renforcer le texte. Celui-ci est envahissant, la majorité des gags étant fournis par les cartons. Cela renforce l’idée d’un narrateur qui prend le pouvoir, qu’on est en droit d’imaginer, mais avec un film muet, c’est gênant… Mais on a quand même des belles surprises : lorsqu’un titre ironise sur la fable du films prodigue, on se prend à rêver : venant de McPherson et DeMille qui s’apprêtent à nous donner en 1922 et 1923 les plus belles leçons de prêchi-prêcha qui soient, c’est cocasse. Et l'intrigue centrale nous montre une frêle jeune femme qui n'hésite ni à tenter de tromper son mari, ni à voler pour remettre l'argent qu'elle a dérobé dans la caisse de l'église, et son mari chrétien fondamentaliste est un incommensurable crétin; le film est riche en utilisations brillantes des détails de la vie quotidienne, voire intime, comme seuls Stroheim et DeMille savaient le faire. Et l'ironie de Schnitzler reste bien présente du début à la fin avec une morale assez élastique qui sera la même dans The marriage circle (de Lubitsch, 1924), en plus positif, et dans Eyes wide shut (de Kubrick, 1999), en franchement noir...
Continuant avec prudence à allonger ses films, Harold Lloyd arrive avec ce film à quatre bobines, comme dans une dernière étape avant le long métrage, qui viendra effectivement avec les films suivants. D'une durée de 48 minutes à peu près, cette petite comédie ne révolutionne rien, ni en matière de comédie, ni dans l'oeuvre de Lloyd, mais on peut au moins y avoir une double satisfaction: d'une part, le comédien s'y livre à une sorte d'adieu à la comédie burlesque débridée de ses débuts sans pour autant délaisser une certaine sophistication. D'autre part, il y a eu un effort pour développer certains personnages au-delà de la simple caractérisation immédiate. Le personnage de Noah Young en particulier bénéficie de cette tendance...
Sommé par le père de la jeune femme qu'il convoite de prouver sa valeur en trouvant un travail, un jeune homme riche et oisif s'engage dans la marine, et apprend à la dure la valeur du travail. Il sympathise avec la grosse brute du bord, et retrouve dans une contrée exotique sa "fiancée" (Mildred Davis, bien sur...), en croisière, qui est dangereusement convoitée par le sheik local... Il va pouvoir utiliser son courage...
Dès le titre, on est dans le monde du burlesque d'avant, celui que les courts métrages de chez Hal Roach et Mack Sennett veulent continuer à faire survivre en dépit des efforts des comédiens pour en sortir: un titre en forme d'abominable jeu de mots pour jouer sur le thème du film et son décor: la marine... Pourtant, l'effort de Lloyd et de ses scénaristes s'est porté sur l'énonciation d'un contexte intéressant, avec ce personnage de lamentable oisif, dénué d'émotions et d'intérêt dans la vie, qui se livre à tout comme s'il s'agissait d'une formalité. Les premiers plans qui nous le présentent, typiquement en trompe-l'oeil, comportent une ouverture partielle à l'iris sur le jeune homme, en veste élégante et canotier, qui semble s'adonner au plaisir de peindre... Mais la caméra nous révèle vite le pot-aux-roses: ce n'est pas lui qui tient le pinceau, et Harold est en fait en train d'observer un peintre, pas de peindre. C'est finalement typique de l'inaction dénoncée chez un homme qui n'agit en rien. Et bien sur son passage dans la marine va en faire un homme... Bien sur, il va surtout utiliser les faux-semblants et sa débrouillardise plus que ses poings.
L'intérêt principal de ce film, une comédie sympathique qui comme on l'a vu esquisse l'un des thèmes de prédilection de Lloyd, sans pour autant en faire beaucoup plus qu'un prétexte, reste pour moi l'opportunité qui est donnée à l'un des plus fascinants acteurs du studio Roach de pouvoir jouer un rôle plus long et plus nuancé que d'habitude: Noah Young, éternelle brute qui croisera souvent les routes de Charley Chase voire de Laurel et Hardy, et qui a très souvent joué les grosses brutes épaisses chez Lloyd avant ce film, est le copain du héros. Les deux hommes s'affrontent, puis sympathisent lorsque Harold prend la responsabilité de leur querelle devant un officier. Maquillé (Il est presque méconnaissable), très en avant, Young est quand même surtout le faire valoir, mais il met tout son poids dans la balance. C'est sans doute l'une des plus belles opportunités qui lui aient été données de toute sa carrière de grand baraqué génial chez Hal Roach...
Voilà, il n'est donc pas une grande étape, mais ce film a au moins servi à prouver que Chaplin n'était pas seul à pouvoir s'aventurer sur la durée, et que Lloyd était prêt à aller plus loin, et chercher à construire des films qui lui permettent d'explorer les personnages plus en profondeur. Le prochain film de sa filmographie est en fait une réussite, qui doit sans doute beaucoup à l'assurance acquise lors de l'élaboration des cinq films de 1921.
Le premier long métrage (6 bobines) de Chaplin est l'un de ses plus célèbres films, un joyau souvent vu, fêté, célébré, indéboulonnable, et c'est tant mieux. A l'époque, le film avait frappé par son sentimentalisme. En France, les surréalistes qui admiraient Chaplin s'en sont d'ailleurs plaint. La vision de la version intégrale, rare, renforce cette impression, sans qu'on songe à s'en plaindre... L'histoire est connue, je vais donc éviter de m'étaler: un vitrier qui vit dans un taudis recueille un bébé, l'élève, mais doit se battre littéralement pour empêcher les services sociaux de venir fouiner dans son histoire. Parallèlement, la mère du petit qui l'a abandonné dans un geste qu'elle a ensuite regretté croise leur route, sans pour autant savoir qui est ce petit jeune homme de 5 ans.
Les lieux renvoient autant à l'Amérique qu'à l'Angleterre Dickensienne, et le fait que la plupart des scènes aient lieu dans la zone permet à chaplin de maintenir un certain flou, mais il faut pour cela faire un voyage en voiture: le film commence en effet dans un autre monde, à la porte d'un hôpital dont Edna Purviance sort, un bébé dans les bras. Un intertitre (The woman whose sin was motherhood), une vision d'un chemin de croix, on est en plein mélodrame. Puis, on voit le père, rattrapé par son indifférence, et on retourne à la misère de la mère, qui dans un premier temps dépose son bébé dans une belle voiture, on est dans les beaux quartier, puis va se suicider; mais elle est empêchée de se jeter du haut d'un pont, par la vision d'un enfant. Elle comprend l'erreur qu'elle a commise, veut retourner en arrière, mais la voiture a disparu. En larmes, elle est recueillie par une famille riche. La voiture, pendant ce temps, a été volée par des malfrats qui abandonnent le bébé dans les quartiers mal famés, c'est là qu'à 6 mn 30, intervient le héros. La suite est connue, inévitable.
La complicité avec Jackie Coogan est bien sûr la première des qualités de ce film, et on ne se lasse pas de voir d'une part le stratagème du vitrier, qui demande à Jackie de casser les vitres du quartier, puis arrive innocemment avec son matériel sur les lieux du crime. L'ajout du policier joué à la perfection (sans aucune exagération comique, ce qui est un atout supplémentaire) par Tom Wilson achève de donner à ces scènes leur hilarante saveur, tout en prolongeant admirablement le thème de la pauvreté et de la débrouille. Parce que si on cherche du pathos dans le film, on le trouvera, mais pas dans la façon dont ces deux là vivent: ils sont, de fait, parfaitement satisfaits de leur sort, et se débrouillent, de toute évidence...
La version intégrale renforce cette impression de deux mondes, en proposant d'abord dès la première bobine deux séquences de plus qui montrent le destin tragique d'Edna, et en montrant que le temps va lui permettre d'atteindre au succès en tant que chanteuse, mais que la blessure est toujours là, incarnée par une conversation entre les anciens amants (Edna et Carl Miller, le futur héros de A woman of Paris), tous deux devenus riches et célèbres, mais rongés par la blessure du passé: lui a du remords, elle ne se remet pas d'avoir abandonné son enfant. Chaplin et Jackie, eux, s'en sortent finalement bien, et le contraste entre la party dans une vaste demeure où les deux parents se retrouvent, et gardent leur distance, et la masure délabrée dans laquelle les deux héros mangent une quantité impressionnante de crêpes, en dit long sur une certaine idée du bonheur. Donc, on est bien loin d'un apitoiement quelconque... Par ailleurs, la peinture des quartier pauvres, renforce l'idée que c'est, pour le personnage principal, le centre du monde. Après tout, s'il est peu logique qu'il vienne, après ses mésaventures avec la loi et les services sociaux, se réfugier dans un asile de nuit de son quartier (on en voit distinctement l'enseigne dans la scène de la bagarre avec le "grand frère" brutal), cela renforce l'idée de cohésion pour le personnage, qui ne souhaite pas quitter ce qui est, après tout, son univers.
La tentation du mélodrame est la plus forte dans certaines scènes; l'une d'entre elles a été mise de côté: la jeune femme et son bébé passent près d'un mariage, et elle assiste à une scène tragique: la mariée a l'air d'aller à l'exécution, et le marié est un vieux barbu, qui en partant écrase une rose blanche qui vient de tomber du bouquet de la mariée. en assistant à la scène, on remarque autour de la tête d'Edna ce qui ressemble à une auréole, c'est en fait sur un vitrail un motif circulaire, autour d'une croix. Plus tard, une jolie scène montre la chanteuse, venue dispenser la charité, qui s'assoit mélancolique sur le perron d'un immeuble dans le quartier ou habitent les deux héros. Son regard dans le vide nous renseigne qu'elle se laisse aller à sa grande tristesse, et pense à son enfant. La porte s'ouvre, et Jackie Coogan apparaît, et s'assoit, à bonne distance d'elle, mais sans pour autant la quitter des yeux...
Une autre scène montre Edna devenue si riche qu'elle en fait profiter tout le quartier pauvre, et elle va aussi prêcher la bonne parole. Ca sert bien l'histoire, mais Chaplin qui n'aimait pas les réformateurs et autres prêcheurs, va équilibrer son film en la montrant tentant de raisonner Chaplin et une grosse brute, jouant autour de la notion dure à avaler de "tendre l'autre joue". Le plus vindicatif reste Chaplin, qui assène à Charles Reisner une raclée mémorable. D'ailleurs, dans ce film, Chaplin frappe par son volontarisme: la scène la plus frappante commence par une visite des services sociaux, auxquels un docteur a lâché le morceau: c'est un enfant trouvé, il faut donc le récupérer. La façon dont Chaplin se bat, dans une scène où l'utilisation de gros plans de Jackie Coogan en pleurs, est très impressionnante. C'est principalement de drame qu'il s'agit, mais à aucun moment le vitrier ne sort de son personnage, et c'est un grand moment de cinéma physique, qui rappelle s'il en était besoin à quel point le cinéaste et l'acteur sont grands.
Endormi à la porte de chez lui, le vitrier seul rêve qu'il arrive au paradis, ou Jackie en angelot l'accueille: la scène du rêve est célèbre, et apporte deux chose: d'une part, un peu d'onirisme comique (On se rappelle le rêve de Sunnyside), et des gags plus légers, axés autour de la redistribution des rôles dans le "paradis" qui est montré. Mais aussi, Chaplin enfonce le clou: même au paradis, tout finit mal, et d'une part il se représente en ange mort alors que tout semblait aller au mieux, et ensuite, il donne au policier de Tom Wilson le mauvais rôle: c'est lui qui le tue. Tué en rêve par les forces de l'ordre, mais aussi réveillé par les forces de l'ordre, dans un final ambigu, c'est le même Tom Wilson, en policier bourru, qui le ramène chez Edna, où il est accueilli sur une fin ouverte. Le film se termine bien, on sait que Chaplin aura sans doute le droit de voir "son" John, qu'il a très bien élevé du reste. Pour le reste, le public ne verra rien de ces retrouvailles, le cinéaste ayant l'élégance de les laisser hors champ. Mais le rêve l'a montré abandonner l'enfant en mourant symboliquement, ne l'oublions pas.
On mentionnera au passage Lita Grey, qui joue ici les tentatrices (Satan étant interprété par John Coogan, tout comme le pickpocket de la scène d'asile de nuit, et un invité de la party dans la dernière des scènes coupées). On sait que Chaplin a fricoté durant le tournage avec cette (très) jeune femme, qu'il y a eu des suites, légales notamment. dans l'affaire crapuleuse qui a suivi, Chaplin a failli perdre The Kid, dont le montage a été effectué dans la crainte que des avocats ne débarquent, ou que des bandits viennent lui voler son film, afin de faire pression sur lui. Je ne mentionne cette anecdote que parce que je crois, si on se réfère à ce qui est arrivé quelques années plus tard à The sea gull, film de Josef Von Sternberg produit par Chaplin et détruit sur une décision de justice, qu'on l'a échappé belle...
Pourquoi couper? C'est la question qu'on se pose devant tous ces films que Chaplin a charcutés lui-même: A woman of Paris, The gold rush, ou encore Modern times. Ici, il souhaitait en 1971 enlever les scènes de mélo, afin de rendre le film plus proche de l'impression que le public moderne se faisait de son cinéma. Même s'il est moins percutant, plus long, c'est rappelons-le un crime de revenir sur un film, à plus forte raison 50 ans plus tard. le fait que ce soit SON film n'excuse rien.
Pour finir, je m'en voudrais de ne pas le mentionner: il y a un acteur de génie dans ce film, il s'appelle Jackie Coogan.
Il y a un avant et un après The Kid, aussi bien pour Chaplin que pour les autres... C'est un film surprenant, dans une industrie burlesque dominée par le film court, et il va faire des petits. Mais on le sait moins, il y a des précédents à cette histoire d'enfant trouvé et de héros dans la misère: Harold Lloyd a sorti le court de deux bobines From hand to mouth en 1919. Le film est sympathique, et repose sur la complicité de Lloyd avec une petite fille de la rue. Laurel et Hardy se retrouveront dans Pack up your troubles (1932) flanqués d'une autre petite fille, et bien sur Langdon tournera en 1927 un long métrage inspiré de The kid, mais en plus noir: Three's a crowd. Plus près de nous, un film muet, en noir et blanc, aujourd'hui introuvable, est sorti en 1989: Sidewalk stories, du cinéaste Afro-Américain Charles Lane. L'influence de The Kid y était évidente... Une autre trace du legs intemporel de ce chef d'oeuvre.
On connait mal l'oeuvre de King Vidor antérieure à The big parade. Ce dernier étant un classique, un film à l'aube d'une impressionnante carrière, on peut comprendre cette prépondérance. mais des copies de certains films plus anciens ont heureusement été retrouvées. Parmi les films ainsi redécouverts, on peut citer Bud's recruit, The jack-knife man, Peg o'my heart, ou le mélodrame Wild oranges qui préfigure beaucoup d'autres Vidor, et non des moindres. Love never dies est donc un autre de ces films des années de formation du grand metteur en scène, très précisément son huitième long métrage. Il a été produit par thomas Ince, et les copies disponibles ne sont pas complètes; il y a en particulier vers la fin des sautes de continuité qui sont assez embarrassantes...
John est un ingénieur dont l'avenir est sans doute tout tracé, mais sa mère est une prostituée, ce qui l'empêche d'avancer. Un jour, il rencontre Tilly, lui cache la vérité et se marie avec elle. Quand le père de Tilly apprend la vérité, il enlève sa fille. john croit que celle-ci l'a quitté, s'enfuit et se fait passer pour mort. Mais l'envie de revenir en arrière est trop forte...
On le voit, c'est du mélodrame patenté, et les invraismeblances et les coups de théâtres simplistes se succèdent à un certain rythme. le film a de la valeur, pourtant, au-delà de ses scories et de ses raccourcis incroyables (John! Ca alors! tu n'es donc pas mort dans le déraillement du train?? Viens donc prendre le thé à la maison!), par la façon dont Vidor oppose déjà à la succession d'évènements ahurissants des notations justes sur la sensibilité des personnages, comme ce moment durant lequel le héros rentre chez lui et ne trouve pas son épouse. Le vide de la maison est rendu par l'insert d'un chaton qui miaule ostensiblement, puis John s'effondre sur le lit, cherche sous l'oreiller de son épouse. il y trouve ce qui est probablement la chemise de nuit de la jeune femme, et la serre contre son coeur, intrusion intéressante d'une véritable sensualité. Le final du film voit Vidor filmer une poursuite sur l'eau, dans les rapides, avec chute d'eau et sauvetage in extremis, au plus près des corps, et le déraillement nocturne du train est lui aussi un beau moment du film, meilleur que celui de The road to yesterday de DeMille, en 1925... Oui, cette comparaison est franchement déloyale...
Vidor, en matière de mélo, fera évidemment mieux, en particulier dans Wild Oranges dans lequel il réduira le nombre de personnages et se reposera sur la tension érotique, et le suspense des situations. ci, c'est encore une commande honnête, mais terriblement conventionnelle.