1926: la famille Verdier vit à Jérusalem, parce que Marc (Maurice Schutz), le patriarche, ne pourrait pas quitter la ville sainte, ni sa petite propriété au Mont des Oliviers, qu'il partage avec son frère Septime (Léon Malavier)... Il a recueilli quand elle n'était qu'une enfant la petite Alice (Marguerite Madys), qui va bientôt sortir du couvent. Bref, tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes , s'il n'y avait le cas de Jean-Louis Verdier (Edmond Van Daële): le fils de Marc est resté à Paris, où sans que sa famille ne le sache, il agite son petit monde, car il est la figure de proue d'un mouvement anarchiste qui s'apprête à passer à l'action internationalement. Pour l'heure, il reprend contact avec ses troupes, après un séjour à l'ombre.
Le contact du mouvement à Jérusalem, Larsac (Gaston Jacquet), découvre que la famille Verdier est aussi celle de celui qu'il connaît sous le nom de Sirias. Il tombe amoureux d'Alice, qui se refuse à lui: elle attend le retour de Pierre. Jaloux, Larsac révèle la vérité à la famille: Marc part aussitôt pour confondre son fils, et le découvre, en plein meetings, galvanisant les foules en les pressant de se débarrasser de l'influence néfaste de leurs parents! Le père s'émeut, la foule s'agite: dans la bagarre, Pierre Verdier perd la vue et est rapatrié à Jérusalem, auprès des siens, qui décident de lui faire recouvrer la raison, ou la vue, voire les deux!
C'est un film fou, pour commencer: un de ces longs métrages réalisés par Julien Duvivier durant la crise de religion qui l'a pris au cours des années 20; il en a fait une trilogie (Credo ou La tragédie de Lourdes en était le premier volet) mais cette période mystique a fini par informer toute son oeuvre, en le rendant aussi compatible avec d'autres sources Chrétiennes y compris après la fin de ses illusions théologiques (Maria Chapdelaine, dont il a fait une très belle adaptation en 1934, et bien sûr l'inénarrable Golgotha avec Jean Gabin en Ponce-Pilate!). Pour cette Agonie, Duvivier a donc quitté la France et a tourné une bonne part de ses extérieurs sur les lieux mêmes du drame, revisitant des épisodes de la vie du Christ en parallèle au chemin de croix imposé à Pierre Verdier...
A propos du titre qui m'a toujours intrigué, c'est d'une double agonie qu'il s'agit: d'une part, le metteur en scène fait évidemment allusion à celle de Jésus, dont de nombreuses scènes recréent avec intensité le calvaire; d'autre part, les visites dans Jérusalem montrent aussi, lors d'un passage au mur des lamentations (qui fait l'objet d'un rappel culturel respectueux et bienvenu), la lente disparition de la civilisation du Jérusalem de la splendeur passée d'Israel. Pas un mot en revanche sur la présence Musulmane sur la ville dite Sainte. Il ne faut sans doute pas trop en demander... Mais ces efforts de replacer la ville religieuse entre toutes dans la réalité du monde me semblent bien plus louables que les truquages historiques d'un DeMille...
D'ailleurs, comment éviter la comparaison avec ce dernier, qui s'apprêtait à tourner sa propre version de la fin de la vie de Jésus (The King of Kings, 1927)? Duvivier a sans aucun doute vu, comme tant d'autres films de DeMille, la version de 1923 des Dix Commandements, et son histoire biblique mise en relation avec une intrigue de 1922. Il en a conçu une sorte de pastiche, en saupoudrant son histoire de parenthèses des Evangiles, sans jamais court-circuiter totalement le flot narratif. Et si son film est fou, voire extravagant, délirant ou que sais-je encore, il tient remarquablement debout de par sa force de conviction cinématographique. ...On l'a échappé belle!